Pieterjan Bouten (Showpad): “On ne veut pas grandir à n’importe quel prix”
Cofondateur de Showpad, Louis Jonckheere est reparti aux Etats-Unis afin d’y assurer les fonctions de “chief operating officer”. A charge pour son comparse Pieterjan Bouten de s’investir à nouveau dans la vente et le marketing.
“Les gens se demandent parfois pourquoi Showpad peut avoir besoin de plus de 150 millions de dollars de capital-risque, s’étonne son CEO Pieterjan Bouten. C’est parce qu’en Belgique, on ne réalise pas toujours combien il est complexe de développer une toute nouvelle catégorie de logiciels. ” Showpad a pourtant déjà considérablement évolué : le ” simple ” outil de présentation destiné à aider les vendeurs lors des foires et salons est devenu une plateforme apte à soutenir les équipes sales et marketing. ” Ces dernières années, les entreprises ont lourdement investi dans des logiciels de gestion de la clientèle et de marketing automatisé ( les mails personnalisés par exemple, Ndlr), poursuit le CEO. Aujourd’hui, elles veulent optimiser leurs activités commerciales en ayant recours à des logiciels comme les nôtres. Et offrir à leurs clients la meilleure expérience d’achat possible. En d’autres termes, leur montrer la bonne information au bon moment. ”
Je serais un peu déçu si, d’ici cinq ans, nous n’étions que numéro deux ou trois. ” Pieterjan Bouten (CEO Showpad)
TRENDS-TENDANCES. Louis Jonckheere, qui a fondé avec vous Showpad et est responsable des produits, s’est à nouveau envolé pour les Etats-Unis…
PIETERJAN BOUTEN. S’il était revenu de San Francisco il y a trois ans, c’est que nous souhaitions centraliser le développement de nos produits à Gand. Depuis, le département s’est sérieusement étoffé puisqu’il compte désormais plus de 130 personnes, dirigées par un management de qualité. Louis a donc pu repartir l’esprit serein, mais à Chicago cette fois, car c’est là qu’est basé le plus gros de nos effectifs. La nouvelle dynamique qu’il va insuffler doit nous permettre de poursuivre notre croissance aux Etats-Unis. Il a toujours voulu travailler là-bas, du moins tant que ses enfants sont en âge d’école. C’est donc le bon moment. Il restera chef de produit et continuera de diriger l’entreprise avec moi. En fait, rien ne change.
La branche américaine a été dirigée pendant près de trois ans par votre ex-” chief operating officer ” Jason Holmes, un ancien de chez Adobe et Oracle, qui est parti cet automne. Sera-t-il remplacé ?
Jason a accompli de l’excellent travail, surtout les deux premières années. Notre branche américaine a connu une croissance incroyable. En accord avec lui et après consultation de notre conseil d’administration, son poste a été supprimé. Cet été, les entretiens que nous avons eus avec lui sur l’avenir de Showpad ont fait apparaître des visions divergentes sur des points essentiels. Il pense qu’il faut se concentrer sur des objectifs à court terme alors que Louis et moi ne voulons rien sacrifier à notre potentiel à long terme. En outre, comme je souhaite m’investir à nouveau dans la vente et le marketing, nous n’avons plus besoin d’un poste intermédiaire.
Cette décision n’est pas la conséquence de mauvais résultats ?
Non, Showpad se porte bien. L’année 2019 a été très productive à bien des égards. Nous avons poursuivi notre croissance, avons réalisé la plus grosse levée de fonds de notre histoire ( 70 millions de dollars, Ndlr) tandis que nos clients et nos contrats sont de plus en plus importants. Même si nous n’avons pas atteint tous nos objectifs, fort ambitieux il est vrai, ce fut une excellente année au plan commercial.
Sur quoi tablez-vous pour vous différencier ?
Nous disposons désormais d’une plateforme extrêmement complète grâce, notamment, aux acquisitions de Learncore ( formation et coaching en ligne, Ndlr) et de Voicefox ( transcription automatique des entretiens de vente, Ndlr). Etant donné que personne d’autre ne propose ce type de solution, nous pouvons pratiquer des prix élevés. L’intégration de Learncore n’a pas été facile mais j’ose enfin dire aujourd’hui que cette acquisition est un succès.
Maintenant que nous sommes confrontés à la crise du coronavirus, on peut dire que le timing de la levée de fonds de l’an dernier a été parfait.
Les entreprises performantes réussissent toujours à lever des fonds mais il est clair que le coronavirus, entre autres, entraînera une certaine pression sur les évaluations. De toute façon, nous n’avions pas prévu de nouvelle levée de fonds cette année.
Tout serait donc réuni pour atteindre cette année un chiffre d’affaires de 100 millions de dollars comme vous l’aviez prédit en 2014 ?
Pour nous, c’est une barre symbolique. En 2014, nous affirmions vouloir gérer dans les six ans une entreprise très importante et durable. Nous serons très proches des 100 millions en 2020 mais il faudra peut-être patienter un an de plus pour les atteindre. Cela dépendra notamment du coronavirus… Nous n’allons de toute façon pas grandir à n’importe quel prix pour atteindre ce montant symbolique. La rentabilité est loin d’être acquise même si, l’an dernier, nous sommes devenus deux fois plus efficaces pour attirer les très grandes entreprises. Nous commençons aussi à bénéficier d’économies d’échelle. L’époque est révolue où je passais encore moi-même la serpillière en fin de journée… Showpad emploie 450 personnes, ce qui garantit une croissance plus durable et une baisse de la consommation de trésorerie.
Pensez-vous à vous implanter en Asie ?
Pas dans l’immédiat et certainement pas cette année, à cause du coronavirus. Nous avons des clients au Japon, dont Fuijfilm, mais se lancer sérieusement à l’assaut du marché asiatique signifierait nous priver des ressources humaines et financières nécessaires à la poursuite de notre développement en Europe et aux Etats-Unis. A Chicago, par exemple, nous allons bientôt disposer de locaux beaucoup plus grands, tandis qu’à Munich et Londres, nous employons désormais respectivement 30 et 50 personnes.
Vous avez engagé 200 personnes l’an dernier…
Nous prévoyons d’en recruter encore 120 cette année, ce qui signifie que nous aurons augmenté nos effectifs de 350 unités en deux ans. Je crois qu’il sera ensuite temps de temporiser un peu. On ne gravit pas l’Everest en une fois : nous devons avoir la patience de nous acclimater par paliers pour assurer une croissance durable. Nous agissons à l’encontre des pratiques de notre secteur : grandir coûte que coûte. Avec le recul, je constate qu’il nous est arrivé de faire surchauffer le moteur de Showpad. Dans ces moments-là, il y a risque que vos collaborateurs ne comprennent plus très bien quels objectifs vous poursuivez ou que les structures ne soient plus adaptées pour en former de nouveaux. Faire passer une entreprise de 100 à 500 personnes nécessite une approche totalement différente que de passer de 20 à 50. Nous en avons tiré de précieuses leçons.
Opérez-vous sur un marché compétitif ? Vos concurrents Seismic et Highspot ont, eux aussi, procédé à de lourds investissements.
Louis et moi aimons avoir affaire à forte partie. Je trouverais même problématique de pas avoir de concurrents d’envergure parce que cela signifierait que notre marché a peu d’intérêt. Une douzaine d’acteurs se font concurrence, mais j’estime que c’est un avantage. Cela confirme le potentiel d’un marché sur lequel nous investissons collectivement pour l’élargir. Si vous considérez trois éléments essentiels (notre offre complète, notre forte présence aux Etats-Unis et en Europe et notre croissance régulière), nous jouons les premiers rôles dans notre secteur. Les années à venir s’annoncent passionnantes car il y a encore beaucoup de choses à améliorer.
Nous n’évoluons pas sur un marché de type the winner-takes-it-all mais nous avons la volonté ferme de faire de Showpad ” la ” référence en matière de sales enablement. Je serais un peu déçu si, d’ici cinq ans, nous n’étions que numéro deux ou trois.
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