Meta et l’IA secouent les agences médias

Mark Zuckerberg estime que les annonceurs pourraient bientôt se passer définitivement des agences médias en s’en remettant exclusivement à Meta. © REUTERS
Frederic Brebant
Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances 

Mark Zuckerberg veut se passer des intermédiaires dans sa nouvelle stratégie publicitaire. Pour le patron de Meta, il n’y aura bientôt plus d’agences médias car tout sera réglé par l’intelligence artificielle. Une vision simpliste qui fait sourire les acteurs du marché, cependant soumis au nouveau défi de l’IA.

C’est un véritable pavé dans la mare publicitaire qu’a jeté l’ambitieux Mark Zuckerberg. Il y a quelques jours à peine, le patron de Meta a partagé sa vision stratégique pour ses plateformes Facebook, Instagram et WhatsApp, avec l’espoir d’un futur imminent où elles n’auraient plus besoin d’intermédiaires dans leurs relations publicitaires. Grâce à la toute puissance de l’intelligence artificielle, les annonceurs pourraient en effet bientôt s’en remettre exclusivement à Meta et donc se passer définitivement des agences médias.

Hyper-confiant, Mark Zuckerberg évoque ainsi une étape charnière où, dit-il, “n’importe quelle entreprise souhaitant atteindre un objectif commercial puisse simplement s’adresser à nous, sans avoir à produire de contenu, ni à connaître ses clients” (sic). En résumé : donnez-nous votre argent et laissez faire Llama, notre assistante IA, car elle connaît, mieux que vous, votre audience sur nos plateformes et peut donc délivrer le message idéal, sans le moindre conseil extérieur.

Bousculer le marché

Sans équivoque, la vision du patron de Meta signe purement et simplement la fin des agences médias, avec une automatisation totale du processus “fait maison”, nourri à l’intelligence artificielle. Disruptive, l’approche de Mark Zuckerberg est-elle réaliste pour autant ? L’avenir de la publicité, immanquablement boosté à l’IA, passe-t-il nécessairement par la suppression de tous les intermédiaires entre un annonceur potentiel et un média, quel qu’il soit ? Et surtout, une marque peut-elle exclusivement confier son identité à des algorithmes contrôlés par un seul “empire” ?

D’ores et déjà perçue comme provocatrice, la solution “idéale” prônée par le milliardaire américain débouche sur une refonte totale du paysage publicitaire qui fait évidemment bondir les acteurs du secteur. “C’est quand même curieux de faire une déclaration de guerre à des gens qui vous rendent aussi riches !”, ironise Hugues Rey, CEO de l’agence Havas Belgium et président sortant de l’UMA, l’association belge des agences médias.

“Je sais que c’est dans l’air du temps de parler vite et fort, enchaîne-t-il, mais l’annonce de Mark Zuckerberg est non seulement brutale, elle est surtout simpliste : elle nie le fait que la publicité est un accélérateur de transmission de messages qui se nourrit de différenciation, de dissonances et d’émotions qui ne sont pas, par essence, uniquement des statistiques ou des moyennes. Le patron de Meta pourra peut-être se passer des intermédiaires dans son petit écosystème, mais personnellement, je n’y crois pas car ce modèle ‘court-termiste’ ne sera pas adapté à une vision long terme de construction des marques qui ont besoin de se distinguer et qui ont besoin de réflexions stratégiques.”

“Une démarche dangereuse”

Pour Mark Zuckerberg, c’est surtout l’efficacité qui est privilégiée car avec sa vision, les annonceurs réaliseraient des économies de temps et d’argent en évitant les intermédiaires. Sa galaxie Meta prendrait en charge l’intégralité du process, porté par son IA qui générerait les messages publicitaires tout en optimisant le ciblage sur ses plateformes.

Si ce modèle peut séduire des PME peu familières de l’ensemble de la chaîne de valeur publicitaire, il y a très peu de chance, en revanche, que les gros annonceurs succombent à la tentation de la facilité cadenassée par Meta.

“Je comprends que le commerçant du coin puisse être séduit par ce genre de proposition, mais à partir du moment où une grande marque doit nécessairement mobiliser différents canaux pour communiquer, la proposition de Mark Zuckerberg n’a tout simplement aucun sens, réagit Bernard Cools, chief intelligence officer de l’agence médias Space. Cela m’étonne peu de sa part, car c’est dans la droite ligne de ce que les Gafam essaient de faire depuis un certain temps, à savoir supprimer ou du moins neutraliser les intermédiaires pour négocier directement avec les annonceurs en tant que partenaires hégémoniques. Cette démarche me semble assez dangereuse pour les marques car cela consiste à s’en remettre à cette grande black box qu’est Meta sans savoir comment tout est organisé. Sans parler des scandales qui ont déjà secoué Facebook. Au niveau du média, ça veut clairement dire : tout aux plateformes ! Du point de vue créatif, c’est la voie ouverte vers encore plus de standardisation. Bref, ça appauvrit globalement l’ensemble des contacts et de tout ce que peut faire une marque.”

Le défi de l’IA

Pour Thierry Brynaert, CEO de l’agence média Wavemaker Belgium, il est également acquis que “jamais un annonceur ne va faire 100% de son plan média dans Meta”. Il n’en reste pas moins que l’intelligence artificielle brandie par Mark Zuckerberg reste aujourd’hui le sujet n°1 chez tous les acteurs du secteur publicitaire.

“Le monde des agences médias, tout comme celui des agences créatives, va fondamentalement changer grâce ou à cause de l’IA, enchaîne Thierry Brynaert. Personnellement, je dirais plutôt grâce à l’IA car cela représente de nouveaux challenges. Nous sommes aujourd’hui au croisement de deux modèles, un peu comme à l’époque où Kodak était au croisement de l’argentique et du numérique. D’un côté, nous devons continuer à servir nos clients pour les métiers et les médias de base, mais de l’autre, nous devons investir massivement dans des outils de développement d’IA au service des marchés et aussi trouver les bons profils pour ne pas rater ce virage, comme des data scientists ou des développeurs de software. Le gros enjeu aujourd’hui, pour les agences médias, c’est d’avoir les meilleures plateformes d’IA au service de leurs équipes et des annonceurs.”

“Le gros enjeu aujourd’hui, pour les agences médias, c’est d’avoir les meilleures plateformes d’IA au service de leurs équipes et des annonceurs.” – Thierry Brynaert (Wavemaker Belgium)

Forcées d’embrasser la révolution de l’intelligence artificielle, les agences médias doivent donc s’adapter, voire se réinventer pour rester indispensables sur un marché que Mark Zuckerberg aimerait voir fortement “rétréci”. Grandes consommatrices de tableaux Excel et de présentations PowerPoint, elles devront à l’avenir déléguer ces tâches rébarbatives aux “robots” pour se concentrer davantage sur leur véritable plus-value : la réflexion stratégique, la construction des marques et l’intelligence humaine au service de la subtilité créative.
Au risque de voir la panique s’installer si les agences médias ne relèvent pas le défi de l’IA ?

“Quand j’entends certains dire que l’IA les empêche de dormir, je ne peux qu’approuver : elle me fait me lever plus tôt ou me coucher plus tard tant l’enthousiasme et l’envie de tester des nouvelles solutions sont grandes !, sourit Hugues Rey, CEO de Havas Belgium. Chez nous, l’IA est utilisée quotidiennement et de manière exponentielle. Elle est aujourd’hui intégrée à nos systèmes de planning, d’intelligence et d’achat, mais aussi utilisée de manière très ouverte et exploratoire pour résoudre des problèmes du quotidien. Je qualifierais l’IA comme un assistant pour les tâches répétitives et un réel ‘sparring-partner’ pour les réflexions créatives, stratégiques et exploratoires.”

Les agences médias devront à l’avenir jouer sur une forme d’intelligence hybride, mi-humaine, mi-IA. © pg/pixabay/T hansen

Destruction créatrice

Associée à l’économiste Joseph Schumpeter, la notion de “destruction créatrice” envahit désormais le monde de la pub et des agences médias avec cette montée en puissance de l’intelligence artificielle. L’IA va en effet détruire certains aspects désuets des métiers de la communication, mais elle va en même temps ouvrir des voies inédites sur le terrain de la créativité. Les acteurs du secteur n’ont donc plus d’autre choix que de dompter l’IA et de se l’approprier pour, in fine, se montrer plus subtils en proposant de nouveaux services au client.

“Chez nous, l’IA est utilisée quotidiennement et de manière exponentielle.” – Hugues Rey (Havas Belgium)

“Soyons clairs : avec l’IA, dans les métiers créatifs et intellectuels, on va tous déguster à un certain moment !, prévient Bernard Cools, de l’agence médias Space. Il n’y a que la créativité qui nous sauvera, et aussi le fait d’aller là où on ne nous attend pas. Je pense que pour comprendre une marque et développer un concept qui soit vraiment relevant, la vérité humaine fera encore la différence.”

Si l’intelligence artificielle peut engendrer des textes bluffants, des visuels imprévisibles et des croisements de données à la vitesse de l’éclair, elle reste en revanche “faiblarde” sur le terrain de l’émotion humaine et de l’expertise stratégique, surtout lorsqu’un marché se révèle particulier.

“N’oublions pas que nous avons ici, chez nous, des besoins précis, typiquement belges, que l’IA ne peut pas cerner, rappelle Thierry Brynaert, de l’agence Wavemaker. La Belgique est quand même un marché complexe, avec trois langues, trois cultures, bref trois marchés, en tous les cas pour le média. Nous ne sommes pas dans un marché facile avec une seule langue comme en Grande-Bretagne ou en France. Au-delà de l’IA, nous avons donc aussi besoin de gens qui sont très, très calés en stratégie pour maîtriser toutes ces subtilités.”

Intelligence hybride

Trouver le subtil équilibre entre l’intelligence naturelle des humains et l’intelligence artificielle des algorithmes, voilà sans doute le défi qui attend les agences médias dans la réinvention de leur métier. Un métier d’intermédiaire qui, n’en déplaise à Mark Zuckerberg, sera toujours indispensable pour les annonceurs qui ne veulent pas se limiter à la seule bulle de l’écosystème Meta et qui auront donc besoin de cette forme d’intelligence hybride, mi-humaine, mi-IA, pour mieux séduire leurs clients.

Flexible, le secteur de la pub a d’ores et déjà entamé sa transition, histoire que les agences médias deviennent enfin des agences “méd-IA-s”.

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