Longtemps incontournable, l’encyclopédie en ligne Wikipédia voit aujourd’hui son modèle fragilisé par l’essor de l’intelligence artificielle générative. Sa fréquentation décline, et l’organisation qui la porte commence à s’en inquiéter sérieusement.
Il y a encore quelques années, Wikipédia était la ressource la plus consultée par les étudiants du monde entier pour réaliser leurs devoirs ou préparer leurs exposés. Aujourd’hui, ces mêmes étudiants se tournent machinalement vers ChatGPT, Claude ou encore Gemini. Résultat : l’encyclopédie collaborative, longtemps pilier de la recherche d’information sur Internet, perd peu à peu du terrain.
Baisse de trafic
Entre mars et août 2025, la plateforme a enregistré une baisse de fréquentation de 8 % comparé à la même période l’an dernier, selon les chiffres de la fondation Wikimedia, la maison mère de Wikipédia. Une érosion liée en grande partie à la montée en puissance de l’IA générative, qui simplifie radicalement la recherche d’informations.
Avec ces outils, plus besoin de parcourir plusieurs pages Wikipédia : l’IA rassemble et reformule en quelques secondes des données issues de multiples sources pour en faire un texte clair et synthétique. En somme, elle mâche le travail.
Les moteurs de recherche utilisent de plus en plus l’IA générative pour fournir des réponses directement aux internautes, souvent basées sur le contenu de Wikipédia, et ce, sans les renvoyer vers les sites sources, déplore Marshall Miller, directeur principal des produits de la fondation Wikimedia, dans son rapport.
Et Wikipédia n’est pas la seule victime. « De nombreux autres éditeurs et plateformes de contenu signalent des évolutions similaires, les utilisateurs passant plus de temps sur les moteurs de recherche, les chatbots d’IA et les réseaux sociaux pour trouver des informations », ajoute-t-il.
Une menace financière et éditoriale
Cette baisse de fréquentation pourrait avoir des conséquences bien plus graves qu’un simple recul d’audience. Moins de visiteurs, c’est aussi moins de dons – la principale source de financement du site. « Cela signifie moins de moyens pour maintenir le site, et pour assurer les évolutions techniques et technologiques nécessaires », alertait récemment Rémy Gerbet, directeur de Wikimedia France, sur France Inter.
Mais au-delà de la question financière, Wikimedia s’inquiète d’un double phénomène : la transformation des habitudes d’information et la contamination de son contenu.
D’un côté, les internautes se reposent désormais trop sur l’IA et sur les contenus générés automatiquement, notamment sur les réseaux sociaux. Or, ces outils produisent encore de nombreuses erreurs et peuvent propager de fausses informations, parfois délibérément.
De l’autre, la fondation observe une prolifération de faux sites d’information créés à l’aide d’IA, souvent repris comme sources dans Wikipédia. « Cela génère un surcroît de travail pour nos communautés, qui doivent détecter et supprimer ces ajouts de fausses informations », explique encore Rémy Gerbet.
Pas encore mort
Créée en 2001 par Jimmy Wales et Larry Sanger, Wikipédia est aujourd’hui l’un des derniers vestiges de l’Internet libre. Sans publicité, ouverte à tous et riche de millions d’articles, elle a permis à des milliards d’utilisateurs d’accéder à la connaissance. Ironie du sort : ce sont justement ces contenus, patiemment rédigés par des bénévoles, qui ont nourri les modèles d’intelligence artificielle qui la concurrencent aujourd’hui.
Faut-il pour autant enterrer Wikipédia ? Pas si vite, selon certains de ses contributeurs. « Si l’IA est le meilleur moyen de diffuser des informations précises dans le monde entier, alors c’est ce qu’il faut utiliser », estime Mike Peel, membre du conseil d’administration de Wikimedia, cité par le Financial Times.
Selon lui, l’intelligence artificielle ne fera pas disparaître Wikipédia, mais transformera la manière dont elle est utilisée. Mieux encore : dans un monde saturé de contenus artificiels, le travail humain, transparent et vérifiable, pourrait retrouver toute sa valeur.