Paul Vacca

“L’I.A. va-t-elle tuer l’auteur ?”

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

De même que l’on annonce l’arrivée de la voiture autonome, certains prévoient l’apparition prochaine de “l’auteur autonome”, appelons-le le robauteur. Car, par la grâce de l’intelligence artificielle, des robots pourraient générer des textes en lieu et place des auteurs en chair et en os.

Ainsi, on peut imaginer que cette tribune pourrait bientôt s’écrire toute seule grâce au machine learning – à savoir l’apprentissage automatique – en s’inspirant des tribunes déjà écrites avec juste quelques paramétrages. Et le tout sur 4.300 signes. Et voilà, le tour serait joué.

Mais mieux qu’une tribune, pourquoi ne pas imaginer que des romans puissent être écrits par des machines ? Alpha Go, un logiciel dopé à l’IA, a bien été capable de battre les champions d’échecs et de go avec un apprentissage de quelques heures seulement. Alors pourquoi pas un Alpha Go littéraire ? Accordons-lui quelques semaines d’immersion dans tous les chefs-d’oeuvre de la littérature mondiale – d’Homère à Houellebecq – pour produire celui de demain. Ou alors dans Twilight, After ou Hunger Games pour espérer lancer la nouvelle saga young adult à succès. On pourrait envisager des alchimies textuelles inédites : mixer Tchekhov avec Brett Easton Ellis, Cioran avec Guillaume Musso… Ou même donner naissance à une ” robautrice ” qui ne lirait qu’exclusivement des écrivains féminins. Bref, ce pourrait être amusant, sans compter les avantages industriels qu’en tireraient les éditeurs, soulagés de ne plus avoir à gérer des problèmes de deadlines, d’ego, de promotion… et de droits d’auteur avec leurs écrivains imprévisibles et gourmands.

Pour certains évidemment, cela relève de la pure science-fiction. Jamais machine, même la plus sophistiquée, ne sera en mesure de remplacer la créativité humaine d’un auteur, disent-ils la main sur le coeur. Les échecs, c’est une chose, la littérature une autre, voyons ! On pourrait leur rétorquer avec un brin de cynisme qu’une grande part de la production littéraire actuelle semble déjà avoir été écrite par des robots. Et que depuis longtemps, on a affaire à une fabrication industrielle de textes comme avec la ” petite entreprise ” d’Alexandre Dumas et ses ” collaborateurs ” obéissant à des lignes de code comme de véritables machines à produire du feuilleton. Après tout, l’auteur n’est peut-être qu’une béquille appelée à disparaître comme on se soucie assez peu de savoir qui écrit ou réalise tel ou tel blockbuster ou série ?

Pour ma part, je suis convaincu que les machines seront un jour tout à fait capables de produire des textes objectivement aussi crédibles que ceux d’écrivains humains. Et peut-être le sont-elles déjà ? Pour autant, je ne crois pas à la disparition de l’auteur. Si je doute du texte sans auteur, c’est pour la même raison que je suis sceptique sur l’avènement, même lointain, de la voiture sans chauffeur.

C’est certain, les ingénieurs de la Silicon Valley parviendront techniquement à mettre au point une voiture autonome. Pour autant, le problème de l’environnement de la voiture restera à mon avis insoluble. Comment se comportera une voiture autonome dans un environnement urbain chaotique ou face à d’autres véhicules automatisés ? Bref, la voiture techniquement autonome ne pourrait l’être réellement que dans un univers lui-même autonomisé ou en vase clos.

Pour le texte autonome, c’est la même chose. C’est une question d’environnement. Lorsque nous achetons des romans – quel que soit leur label de qualité littéraire -, nous ne lisons pas de simples textes, mais des mots et des phrases habités par un style, une atmosphère, une voix ou une réputation, bref une intentionnalité que, faute de mieux, il faut bien appeler auteur.

Personne, même aujourd’hui, n’achète un simple texte. Il en regorge partout. En revanche, on achète un texte de Tatiana de Rosnay, de Tom Clancy, d’Adeline Dieudonné ou de Philip Roth. Pour des raisons altruistes ? Parce que nous voulons soutenir les auteurs comme on soutient les petits producteurs ? Pas du tout. Pour la même raison prosaïque que nous n’achetons pas une voiture, mais une Fiat ou une Volvo ou même pas un baril de lessive, mais du Ariel ou du Skip…

En d’autres termes, nous humains, lorsque nous achetons un livre, nous n’achetons pas un produit, mais une marque. Et cette marque, c’est l’auteur. Alors tant que nous ne serons pas des lecteurs-robots, il y a de fortes chances qu’il y ait toujours des auteurs.

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