L’espace, nouvel eldorado des marques

Columbia Sportswear Company: Il y a quelques semaines à peine, ce spécialiste des vêtements "outdoor" a déployé son logo sur Odysseus, la première sonde privée à avoir réussi un alunissage parfait. © PG
Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances  

On l’appelle la “new space economy”. Une nouvelle économie de l’espace davantage portée par des acteurs privés. Une galaxie de nouvelles opportunités où les marques et les entreprises pourront non seulement puiser dans une infinité de données géolocalisées, mais aussi installer leur notoriété tout autour de la Terre.

Columbia n’est pas seulement le nom de la première navette spatiale américaine lancée en 1981. C’est aussi le nom d’une marque de vêtements, fondée en 1938 aux Etats-Unis et qui est aujourd’hui valorisée à près de 5 milliards de dollars. Très prisée par les amateurs de sports extrêmes, la Columbia Sportswear Company est tout autant fascinée par l’exploration spatiale que la célèbre Nasa. Il y a quelques semaines à peine, ce spécialiste des vêtements outdoor a en effet déployé son logo sur la Lune, ou plus exactement sur Odysseus, la première sonde privée à avoir réussi un alunissage parfait, grâce au savoir-faire de l’entreprise américaine Intuitive Machines.

Inédite, la collaboration entre ces deux acteurs privés ne s’est toutefois pas limitée à l’exhibition d’un simple logo sur une sonde spatiale. La marque Columbia a également participé au succès de la mission lunaire en fournissant son tissu innovant Omni-Heat Infinity, une technologie thermo-réfléchissante qui a permis à la société Intuitive Machines de préserver Odysseus des températures glaciales de l’espace. Un sacré coup de pub pour le fabricant de vêtements sportifs qui peut non seulement tirer parti de cette expérience unique pour concevoir de nouveaux produits, mais qui affiche aussi désormais le slogan Tested tough in space (Testé rudement dans l’espace) sur son site internet et dans toute sa communication sur Terre.

Un nouvel écosystème

Si l’événement peut sembler anecdotique aux yeux de certains, il est pourtant révélateur d’un véritable courant qui monte en puissance dans le monde des affaires : la new space economy (la nouvelle économie de l’espace) portée par des acteurs privés qui prennent de plus en plus d’envergure dans la conquête spatiale. Satellites de télécommunications, collecte et exploitation de données GPS, fusées et lanceurs réutilisables, plateformes de services en orbite, tourisme spatial… Les domai­nes couverts par cette économie sont vastes et ne ces­sent de se diversifier au fil des années.

Attentifs et parfois visionnaires, les entrepreneurs milliardaires suivent le mouvement avec leurs propres business, de Richard Branson (Virgin Galactic) à Elon Musk (SpaceX et Starlink), en passant par Jeff Bezos (Blue Origin) qui rêve de finaliser son projet Orbital Reef, la première station spatiale privée, histoire de remplacer l’ISS (la station spatiale internationale) quand elle cessera ses activités à l’horizon 2030.

Et ce n’est que le début : si l’on compte aujourd’hui moins de 10.000 satellites en activité tout autour de la Terre, leur nombre risque bien d’exploser dans les prochaines années. Ainsi, pour son offre Starlink d’accès à Internet par satellite, Elon Musk rêve d’en envoyer à lui seul plus de 40.000 pour tisser sa toile dans l’espace, à l’instar de la Chine qui envisage la mise sur orbite de 25.000 satellites pour développer son propre réseau concurrent à moyen terme.

On notera que notre pays n’est d’ailleurs pas en reste dans cette course à l’espace : au cœur de sa future usine de Charleroi qui devrait être inaugurée en 2025, la société belge Aerospacelab vise la production de 500 satellites par an dans les prochaines années.

Pluie de datas

Encore balbutiante, la new space economy sera “the next big thing“, promet Damien D’Ostuni, head of innovation & activation au sein de l’agence médias Wavemaker Belgium. L’homme a obtenu une certi­fication du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) sur le sujet et sensibilise aujourd’hui entreprises et annonceurs sur les enjeux économiques et stratégiques de cette nouvelle révolution spatiale. Son agence vient justement d’organiser deux séminaires à Bruxelles pour éveiller l’attention de ses clients à ces nouvelles opportunités de business.

“La new space economy génère déjà énormément de création de valeur grâce à la collecte de données via les satellites existants pour différents secteurs comme l’agriculture, les assurances ou la pharmacie, expli­que Damien D’Ostuni. Bien sûr, l’espace peut être vu comme un terrain d’innovation, mais c’est surtout une opportunité pour l’exploration de nouveaux marchés avec l’utilisation intelligente des datas déjà disponibles et des nouveaux outils technologiques qui se mettent progressivement en place.”

Pour illustrer son propos, le responsable de l’innovation au sein de Wavemaker Belgium épingle des compagnies d’assurances comme, par exemple, Swiss Re qui peut évaluer les zones à risque en matière de catastrophes naturelles grâce aux don­nées météorologiques et satellitaires, pour mieux adapter les primes en conséquence. Ou encore cet autre acteur, AdSquare, qui peut créer des campagnes publicitaires très ciblées et donc efficaces grâce au croisement de plusieurs données GPS.

“Et puis, il y a tout le tourisme spatial qui est promis à un bel avenir, enchaîne Damien D’Ostuni. Il va fortement se développer dans les prochaines années et devrait déjà peser 400 millions de dollars à l’horizon 2030. Les voyages dans l’espace constitueront, eux aussi, une nouvelle chaîne de valeur et ils devraient dès lors stimuler une demande pour des biens et des services spécifiques. Sur ce terrain-là, les marques devront aussi se positionner pour mieux se distinguer.”

La conquête spatiale fascine les marques depuis de nombreuses années déjà, au point de les inciter à signer d’étonnants coups de pub.

Fascination spatiale

Ce n’est pas nouveau : la conquête spatiale fascine les marques depuis de nombreu­ses années déjà, au point de les inciter à signer d’étonnants coups de pub. Comme par exemple Coca-Cola qui, en 1985, avait développé une vraie “canette spatiale” pour permettre aux astronautes de boire son soda en apesanteur. Ou Pizza Hut qui, en 2001, avait bousculé les habitudes publicitaires en devenant la première chaîne de restauration à livrer une pizza dans l’espace. Coût : près d’un million de dollars.

On se souvient aussi que, le 6 février 2018, le fantasque Elon Musk, patron du cons­tructeur Tesla et de la société SpaceX, avait envoyé sa fusée Falcon dans l’espace avec, à son bord, une décapotable Roadster, “conduite” par un astronaute en mousse, sur fond de Space Oddity chanté par David Bowie. Résultat : un énorme buzz, similaire à celui créé, six ans plus tôt, par la marque Red Bull dans la stratosphère. En 2012, “la boisson qui donne des ailes” avait logiquement choisi de sponsoriser le fameux saut en chute libre d’un certain Felix Baumgartner depuis une capsule juchée à près de 40.000 mètres au-dessus du Nouveau-Mexique, le tout filmé en quasi direct pour 8 millions d’internautes scotchés sur YouTube.

Champagne Mumm: la célèbre maison a créé une nouvelle bouteille et des verres spécialement conçus pour les vols spatiaux.

Une magnifique opération de com’ qu’a tenté d’égaler, en vain, la marque de produits de beauté Estée Lauder en s’offrant, en 2020, un shooting dans l’espace pour la modeste somme de plus de 100.000 dollars payée à la Nasa, avec la complicité d’un astronaute de l’ISS. Certes, la marque aurait pu facilement s’offrir un décor cosmique par la magie de l’informatique, mais l’idée était justement de créer un vrai événement, un happening spatial, pour inonder les réseaux sociaux et, au final, faire parler d’Estée Lauder grâce à la magie des étoiles.

“Space designers”

Voilà pour “l’ancienne économie de l’espace”. Car au cœur de la new space economy, il n’agit plus seulement, pour les marques, de “faire le buzz pour le buzz”, mais bien d’imaginer de nouveaux produits (ou dérivés de produits existants) pour répondre à une réelle demande naissante.

“Dans cette nouvelle économie de l’espace, il y aura aussi de nouvelles opportunités de jobs, détaille Damien D’Ostuni. On aura besoin d’experts en space monitoring pour détecter et analyser toutes les données disponibles au service des mar­ques. L’Oréal pourrait très bien développer des crèmes de soins par pays et même par région en fonction de la qualité de l’air analysée et répertoriée. On aura aussi besoin de space designers pour créer de nouveaux produits adaptés au tourisme spatial et donc à l’apesanteur. Et ce n’est pas de la science-fiction : chez Mumm, on est déjà passé à l’action avec une nouvelle bouteille de champagne et des verres spécialement créés pour les vols spatiaux.”

Et cette fois, ce n’est plus un “one shot”. A la tête de l’agence parisienne Spade spécialisée dans le design spatial, Octave de Gaulle a en effet conçu une version Cordon Rouge Stellar pour la marque Mumm dans le cadre d’un partenariat inédit entre la maison de champagne française et la société américaine Axiom Space. Cette entreprise propose des vols à des astronautes privés vers l’ISS. Et pour célébrer l’événement, quoi de plus festif qu’un champagne qui se déguste littéralement en “boule”, à l’instar du whisky du capitaine Haddock dans On a marché sur la Lune ?

Avec sa bouteille futuriste, Octave de Gaulle a réussi une vraie prouesse technique qui permet de servir aujour­d’hui le champagne Mumm de manière inédite et ludique.

Nouvelles expériences

Sans aller jusque dans les hautes sphères de l’espace, d’autres initiatives de tourisme décalé commen­cent aussi à pointer le bout de leur nez, comme ce restaurant français qui sera inauguré en 2025 dans une capsule pressurisée, à 35 km d’altitude, avec vue imprenable sur la Terre. Cette expérience unique dans la stratosphère sera proposée par l’agence française ApoteoSurprise, spécialisée dans la conception et la réalisation de demandes en mariage spectaculaires.

Dans la gamme des projets extravagants, il y a aussi l’idée d’afficher, dans la nuit étoilée, des logos de grandes marques visibles depuis la surface terrestre, via des nano-­satellites appelés Cubesats. En 2019, la société russe StartRocket avait bien avancé sur ce projet techniquement réalisable et même conclu un premier accord avec Pepsi, mais devant la levée de boucliers des scientifiques dénonçant cette pollution visuelle et les premières critiques des consommateurs effarés, le géant du soda avait rapidement fait machine arrière. Aucune autre grande marque ne s’est manifestée depuis…

Il n’en reste pas moins que la new space economy est bien enclenchée et que les entreprises doivent être vigilantes pour ne pas rater le train ou plutôt la fusée de l’innovation. “Beaucoup de marques investissent déjà dans cette nouvelle économie de l’espace, conclut Thierry Brynaert, CEO de l’agence média Wavemaker Belgium. Nous y sommes très attentifs, comme nous l’avons été précédemment pour d’autres courants émergents. Il y a sept ans, nous avons été les premiers dans les agences médias à parler d’intelligence artificielle, bien avant l’avènement de ChatGPT. Aujourd’hui, nous sommes convaincus d’être à nouveau en avance avec cette new space economy. Les marques doivent commencer à réfléchir aux investissements qui seront nécessaires en termes d’outils pour pouvoir utiliser toutes les datas qui sont et seront générées par les satellites, afin de mieux considérer les nouveaux touchpoints, tout en assurant aussi leur présence dans cette nouvelle conquête spatiale.” Et le CEO de citer Coco Chanel en guise d’ultime conclusion : “Je veux être de ce qui va arriver”.

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