Les vérités sur la fibre optique en Belgique
Les trois principaux opérateurs télécoms du pays rivalisent pour connecter les clients à la fibre optique. Un investissement énorme, indispensable, complexe, souvent mal compris par les clients et les investisseurs en Bourse.
Les temps sont compliqués pour les opérateurs de télécommunications en Belgique. Les investisseurs les regardent de loin. Les particuliers ont du mal à s’enticher des dernières nouveautés que sont la 5G pour la téléphonie mobile et la fibre optique pour les foyers, que Proximus, Orange et Telenet déploient à des rythmes différents. Ce sont des améliorations incrémentales, moins spectaculaires que le déploiement de l’internet rapide et des réseaux mobiles voici deux décennies et demie.
Les avantages en vitesse sont conséquents… mais les réseaux actuels en Belgique sont déjà performants ; il est possible de suivre sans souci une série sur Netflix en haute définition. Les entreprises peuvent toutefois y trouver avantage, avec le développement de l’informatique en cloud pour lequel la vitesse et la réactivité de la fibre sont précieux.
Mais les gains sont surtout importants pour les opérateurs eux-mêmes, en termes d’économies de gestion de réseau. Proximus avance que la fibre est 55% moins chère en coûts opérationnels que le fil de cuivre. Il y a également moyen de facturer un peu plus cher le service.
Un futur proche incertain
Les opérateurs n’encaisseront sans doute les avantages, en termes de marge, que dans un certain temps, après avoir affronté un mur d’investissements pour moderniser leurs réseaux. Et justement, cette perspective lointaine n’emballe pas les investisseurs. Au point que Liberty Global, le premier actionnaire de Telenet, a lancé une OPA sur les titres cotés pour sortir l’entreprise de Bourse. Il ne les achète pas très cher: 22 euros pour une action qui dépassait les 60 euros en 2018. L’OPA n’est pas réjouissante pour les actionnaires fidèles mais KBC Securities a recommandé d’accepter l’offre parce qu’elle propose 33% de mieux que le cours juste avant l’OPA (16 euros) et que le futur proche est incertain. Un concurrent dans la téléphonie mobile, Citymesh, est attendu en 2024. A la fin de l’OPA, le 12 juillet, Liberty Global a accumulé 93,23% des parts et pourrait dépasser le seuil des 95% après la réouverture de l’offre le 24 août.
Ces investissements sont considérables, en particulier quand il s’agit de relier les domiciles à la fibre (FTTH, fiber to the home), et affectent les résultats. Proximus, en tête pour le déploiement de la fibre (25% de la clientèle couverte actuellement), accuse un recul de sa rentabilité, malgré une croissance des ventes.
A cause d’une concurrence élevée et des investissements considérables consentis dans la fibre et la 5G. Ici aussi, le cours de Bourse s’en ressent: il n’a cessé de reculer, de même que le dividende, depuis 2019. La cotation a été divisée par quatre, pour tourner autour des 6 ou 7 euros actuellement.
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“La plupart des opérateurs boursiers regardent l’évolution des cours à 18-36 mois”, a déclaré le CEO de Proximus, Guillaume Boutin, en avril dernier à Trends-Tendances. “Quand vous avez, comme chez nous, un investissement d’une dizaine de milliards d’euros s’étalant sur 10 ans et qui concerne les 80 prochaines années de l’entreprise, il y a un moment où les free cash-flows sont impactés. C’est une situation différente de celle des cycles d’investissements pour la 3G, 4G, 5G, qui tournent sur cinq ou six ans.”
Orange compte sur Voo et Wyre
Orange Belgium, troisième réseau d’importance en Belgique, mise sur une consolidation pour améliorer sa position sur le marché. En juin dernier, cet opérateur historiquement mobile a acquis 75% moins une action de Voo, opérateur wallon et bruxellois d’un réseau de câble lui donnant le réseau broadband qui lui manquait sur la Wallonie et six communes à Bruxelles. Il espère couvrir tout le pays grâce à un accord croisé signé avec Telenet pour accéder au réseau de ce dernier, qui a récemment été versé dans une joint-venture avec Fulvius, Wyre.
“Le coût opérationnel de la fibre de bout en bout est moindre car c’est un réseau plus stable, moins sensible aux perturbations.” Philippe Toussaint (Orange)
Les trois concurrents déploient une stratégie fibre différente. Proximus est le plus prompt, Telenet et Orange Belgium prennent leur temps. “Proximus n’avait pas le choix car la technologie utilisée avec le fil de cuivre, l’ADSL et le VDSL2 arrive en fin de course”, explique Philippe Toussaint, chief technology officer chez Orange Belgium & Voo, en charge des réseaux fixes. Cette technologie permet jusqu’à 100 Mb/seconde “alors que les réseaux câblés, qui recourent à une technologie hybride – appelée HFC (hybrid fibre coax) – avec de la fibre partout sauf pour la connexion vers le client qui reste en câble coaxial, peuvent fournir 1 Gb/seconde et pourront monter à 10 Gb/seconde”.
C’est déjà le cas sur le réseau de Telenet. Et Voo, le réseau câblé racheté par Orange Belgium, investit pour arriver à ce niveau de performance en 2024. Il y a donc moins d’urgence pour passer à la fibre jusque chez l’utilisateur final. Cela permet d’étaler les investissements. KBC Securities confirme cet atout. “La Belgique a l’un des meilleurs réseaux HFC en Europe, surtout chez Telenet dont 100% du réseau utilise cette technologie”, indiquait une étude publiée en mars dernier.
Tous les opérateurs, même les câblo-opérateurs, sont conscients des atouts de la fibre de bout en bout du réseau. “Le coût opérationnel est moindre car c’est un réseau plus stable, moins sensible aux perturbations. Sa capacité n’a pas de limite”, avance Philippe Toussaint.
Proximus met donc le paquet dans sa communication sur les atouts de la fibre et cherche à en faire un avantage concurrentiel, parlant même d’une performance jusqu’à 8,5 Gb/sec (dans des conditions idéales quasiment jamais atteintes! ). La société bénéficie de l’avantage du “first mover” (premier arrivé), en particulier en Flandre où elle est le challengeur face à Telenet. Actuellement, 25% du marché belge est couvert avec la fibre de Proximus alors que Telenet et Orange démarrent seulement.
Au moins 1.000 euros par foyer
Le gros inconvénient est son coût de déploiement: 1.000 euros par foyer connecté en ville. KBC Securities indique que le prix monte même à 2.300 euros par foyer dans les zones moins denses, pour un revenu potentiel identique.
Ce qui conduit les opérateurs à utiliser des approches complexes de partenariat, avec des joint-ventures, pour réduire l’investissement frontal. Proximus y a recours via Unifiber (en joint-venture avec Eurofiber) en Wallonie, Fiberklaar (avec EQT Infrastructure) en Flandre et Go Fiber (avec Ethias et la Communauté germanophone) dans les cantons de l’Est, et se réserve en propre les grands centres urbains. Telenet a démarré une entreprise commune, appelée Wyre, avec Fluvius dont l’opérateur détient 66,8%, pour déployer un réseau de fibre optique jusque chez l’utilisateur. Le premier foyer a été connecté en juillet dernier à Malines. Fluvius opère des réseaux de distribution d’électricité et des stations d’épuration pour des communes flamandes, actionnaires de l’entreprise.
L’autre manière de réduire le poids des investissements est de les étaler dans le temps et de faire l’impasse sur les zones isolées. Telenet devrait à terme relier 80% des abonnés avec la fibre et conserver le câble via la technologie HFC, qui pourrait monter à 10 Gb/seconde, pour les 20% restants. Orange envisage une approche similaire.
Partager les réseaux?
Dernière solution pour réduire les frais: partager un réseau entre opérateurs. Le CEO d’Orange Belgium, Xavier Pichon, a proposé cette idée en juin dans une interview à nos confrères de L’Echo. “Un seul réseau passif permettrait d’effectuer d’importantes économies”, a-t-il indiqué. Un peu comme pour les réseaux de distribution d’électricité… Son confrère de Proximus, Guillaume Boutin, se limite à proposer des réseaux communs uniquement dans les zones peu denses.
Cette approche de réseau partagé ne pourrait s’envisager qu’avec l’assentiment du régulateur du secteur, l’IBPT, qui préfère visiblement une concurrence entre les infrastructures. Il examine le sujet et devrait se prononcer d’ici la fin de l’année. Ensuite, les opérateurs discuteront. Le principe a déjà été mis en œuvre pour les réseaux mobiles. Proximus et Orange Belgium partagent cette infrastructure depuis peu à travers une joint-venture, MWingz, qui permet notamment de partager les investissements pour la 5G.
Une vraie concurrence possible ?
Les réseaux de fibre actuels ou en gestation sont, du reste, tous ouverts à d’autres opérateurs… mais à des conditions différentes. Proximus, par sa taille, a l’obligation d’ouvrir le réseau de fibre qu’il possède en propre. Les joint-ventures dans la fibre mentionnées plus haut sont aussi ouvertes à tous les opérateurs. Orange Belgium estime que l’accès au réseau propre de Proximus, tel que ce réseau est conçu, est trop rigide pour développer une véritable concurrence entre opérateurs.
“Nous préférons des réseaux dits ‘passifs’, point à point, comme celui de Wyre (Telenet): il nous laisse plus de latitude, précise Philippe Toussaint. Il en va de même pour les joint-ventures conclues par Proximus.” L’approche du réseau passif permet à chacun de proposer une offre différenciée, avec son propre matériel, comme le permet la joint-venture MWingz dans le réseau d’antennes GSM. Orange Belgium a un accès gigabit, selon ses vœux, sur quasi tout le pays: via son réseau Voo en Wallonie et sur un tiers de Bruxelles, et via Wyre en Flandre, dans la botte du Hainaut et sur les deux tiers restants à Bruxelles.
Pour les utilisateurs finaux, toutes ces considérations constituent la cuisine interne des opérateurs. Les réseaux partagés et les joint-ventures ne les concernent pas directement. Ce qui compte, pour eux, c’est le service, les tarifs et les offres. Ce seront sans doute eux qui seront les grands gagnants de ces grandes manœuvres car la concurrence va s’intensifier sur tous les fronts, tant pour la ligne fixe et que pour le mobile.
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