Les coulisses de l’accord entre M6 et RTL Belgique

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Charly Pohu Journaliste

Récemment, RTL Belgique a annoncé la prolongation d’un “content deal” avec la chaîne française M6, pour un montant et une durée non divulgués. Les émissions de télévision comme “Top Chef” ou radio comme “Les Grosses Têtes” continueront donc à être diffusées par le média belge. Cela, alors que M6 envisageait de faire son entrée sur notre réseau câblé et notre marché publicitaire. Voici comment RTL a sauvé la mise.

Annonce importante du côté du RTL, le 16 octobre dernier: “Forts du succès de leur partenariat stratégique depuis près de 15 ans, RTL Belgique et le groupe M6 viennent de renouveler leur accord long terme portant sur la diffusion des contenus du groupe M6 sur l’ensemble de médias de RTL Belgique”. Une nouvelle de taille, car une rumeur laissait entendre que M6 envisageait de lancer sa propre chaîne sur le câble belge et d’entrer sur le marché publicitaire local, comme ce fut le cas pour TF1, tandis que RTL allait se tourner vers plus de productions locales. Pourquoi ce scénario ne s’est-il pas concrétisé?

Un peu de contexte, d’abord. Jusqu’au rachat de RTL Belgique par DPG Media et le groupe Rossel, finalisé en 2022, RTL Belgique et M6 appartenaient à RTL Group et faisaient donc partie de la même famille. Le partage de programmes allait de soi et profitait à tout le monde. Mais quand RTL Belgique a pris son indépendance, les choses ont changé: M6 a imaginé venir s’établir comme chaîne sur le câble en Belgique et diffuser des publicités belges. Les deux chaînes sont finalement arrivées à un accord pour prolonger le partage de contenus existant.

Coup de bluff ?

Cet accord arrivant à échéance, M6 a repris ses recherches et des contacts pour venir s’établir en Belgique. Etait-ce un coup de bluff? Au final, le content deal (partage de contenus) avec RTL est prolongé, rendant caduque l’arrivée éventuelle de M6 sur le marché belge. Les coulisses de cet accord illustrent combien RTL a dû se battre pour dégager un accord qui préserve son modèle. Ces émissions sont devenues de véritables marques de fabrique.

Une source proche du dossier, qui préfère rester anonyme, nous explique: “Les discussions ont été longues. L’accord intervient après un an de pourparlers. Au final, pour résumer, RTL a sorti un gros chèque”. M6 serait-il le vrai vainqueur de la négociation? “M6 vend aujourd’hui son contenu plus cher qu’avant, environ le double. De plus, sans devoir s’occuper de tous les devoirs d’une chaîne, comme le CSA, etc.”, analyse notre source. Du côté de RTL, on dément formellement le montant évoqué (qui nous est pourtant également soufflé par une deuxième source).

Wim Jansen, chief commercial officer de DPG (qui détient 50% de RTL Belgique), dément tout changement de stratégie dans le chef de RTL et balaye du revers de la main ces critiques de “concurrents et personnes avec des agendas”. “Pendant les négociations, on ne va évidemment pas annoncer des choses publiquement, dit-il. Le contrat allait arriver à échéance et nous nous sommes naturellement mis à discuter la prolongation.

Boris Portnoy (spécialiste des médias)
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“RTL paye plus cher qu’avant pour les émissions de M6. La question qu’il faut se poser est la suivante: où le groupe belge va-t-il trouver l’argent manquant?” Boris Portnoy (spécialiste des médias)

Aux yeux de Guillaume Collard, CEO de RTL Belgique, il s’agit d’un bon accord qui renforce le groupe: la continuation du deal avec M6 est avant tout un “engagement stratégique et naturel, qui entre maintenant dans sa 15e année”. RTL continue son chemin avec M6, dispose de contenus emblématiques comme Top Chef et reste maîtresse sur son terrain commercial. D’autres interlocuteurs sont moins optimistes. “RTL est rassurée à court terme, reprend notre source, mais l’accord ne l’a pas renforcée: la somme versée à M6 augmente.”

“Si l’on fait les calculs, RTL paie plus cher qu’avant pour les émissions de M6, réfléchit aussi Boris Portnoy, homme de médias qui est passé par RTL et a cofondé LN24. La question qu’il faut se poser est la suivante: où le groupe belge va-t-il trouver l’argent manquant?” Bien que les chiffres de RTL Belgique (près de 19 millions d’euros de résultat net en 2022) n’aient “rien de miséreux”, il se demande si des coupes dans le personnel pourraient tôt ou tard être à l’ordre du jour.

Question que se pose aussi Bart Decoster, CEO de la régie publicitaire Ads & Data, parlant d’une “pression sur le futur de la chaîne”. Ce dernier réfléchit également à ce que TF1 pourrait penser de l’accord, du montant fixe que gagne M6 et des devoirs et tâches auxquels le groupe français échappe. De quoi convaincre TF1 de revoir sa position et conclure un content deal avec un groupe belge? Le hic, c’est que RTL Belgique qui fait déjà office de régie publicitaire pour TF1 en Belgique. Le groupe français voudrait-il placer son contenu sur les ondes de RTL alors qu’il y a déjà l’offre de son concurrent?

Là aussi, Wim Jansen se défend: aucune coupe de personnel n’est à prévoir. Au contraire, l’accord permettrait de renforcer une chaîne de création de valeur, protégeant l’emploi, chez RTL comme chez des parties prenantes.

Opportunité manquée

Avec la reconduction de la vente de son contenu à RTL, le groupe M6 se soustrait également à la volatilité du marché publicitaire et s’assure un revenu fixe, estime Bart Decoster. L’homme, notoirement critique à l’égard de RTL, se dit très surpris du deal et du changement de stratégie. “RTL a pris peur et a voulu assurer son audience. Le groupe a joué la carte de la certitude, à l’heure où l’audience de son contenu belgo-belge était en baisse de 2 à 3 points”, estime-t-il.

“Les annonceurs, les agences et le marché publicitaire attendaient l’arrivée de M6 sur le câble belge avec enthousiasme, reprend le CEO d’Ads & Data. D’autant qu’il apporte un contenu très qualitatif.” Il y avait là une fenêtre de tir car le marché est actuellement régi par un “duopole qui monopolise tous les annonceurs”, explique-t-il. Avis que partage aussi notre source proche du dossier: “L’arrivée de M6 sur le marché publicitaire aurait pu aider à briser l’hégémonie de DPG, qui peut fixer les prix”.

Rappelons encore que DPG (VTM, Het Laatste Nieuws, etc.) et Rossel (Le Soir, Sudinfo, etc.) ont racheté RTL Belgique à RTL Group il y a environ deux ans. Des plaintes contre cette concentration (notamment par IPM et Ads & Data) avaient été déboutées. La non-venue de M6 serait donc une opportunité manquée pour accroître la concurrence sur le marché publicitaire. Le CEO d’Ads & Data ajoute d’ailleurs qu’il faut également voir l’accord entre RTL Belgique et M6 via ce prisme. En gardant les contenus populaires de M6 sous la main, le mastodonte DPG protège son monopole. “Je suis convaincu qu’il faut travailler avec des alliances internationales. Mais cela doit être dans un but de diversification, pour proposer une meilleure offre aux annonceurs, et non simplement pour se protéger”, dit-il. Ads & Data sert d’ailleurs de régie publicitaire pour les émissions des groupes américains Paramount et (dès 2024) Warner Bros. Discovery, tout en travaillant pour la commercialisation de VRT MAX (la plateforme vidéo de la VRT).

Guillaume Collard (RTL Belgique)
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“Notre volonté, c’est de proposer les contenus préférés des Belges francophones.” Guillaume Collard (RTL Belgique)

Wim Jansen ne partage pas cet avis: “La concentration chez DPG est justement un bon élément pour les annonceurs. C’est une stabilité, un écosystème avec du contenu qualitatif”. Et elle permettrait de défendre la Belgique contre l’arrivée des géants américains, précise- t-il.

“Notre volonté, c’est de proposer les contenus préférés des Belges francophones”, souligne de son côté Guillaume Collard. Ces programmes seraient ainsi une aubaine pour les annonceurs et le marché publicitaire belge. “RTL Belgique, avec ses régies DPG et Rossel, offre une vraie opportunité pour le marché de développer et de soutenir un véritable écosystème local autour de contenus RTL”, ajoute-t-il. Si les annonceurs voyaient l’arrivée de M6 comme une opportunité, elle n’était pas perçue de la même manière par les médias belges francophones. “Cela aurait été une très mauvaise chose pour eux. La somme que M6 espérait pouvoir engranger aurait été prise au détriment des médias belges”, estime Boris Portnoy. Leurs parts de marché auraient diminué avec l’arrivée d’un nouvel acteur, surtout de la taille de M6. Le gâteau serait resté le même, mais il aurait été coupé en davantage de parts.

M6 aurait étouffé le marché. Tout nouvel acteur y est un défi. Surtout que la télévision est le segment qui rapporte le plus. M6 aurait pu en plus négocier une baisse du prix”, estime David Domingo, professeur en socio-économie des médias à l’Université libre de Bruxelles. Ce dernier souligne un “coup malin” de la part de RTL, qui évite de voir M6 devenir un concurrent. Un peu comme Proximus qui propose le contenu de Netflix dans certaines formules. En outre, RTL était mise sous pression. Sans les contenus M6, assez rémunérateurs, le domaine de l’information (comme le journal télévisé) en aurait souffert. De son côté, M6 n’aurait pas forcément investi dans l’information en Belgique, en créant un JT belge par exemple. La pluralité des informations en aurait pâti. Les médias, dans leur ensemble, du papier jusqu’au web en passant par la radio, bénéficient donc aussi grandement de cet accord.

Producteurs sur le carreau?

Selon le bruit qui courait, au lieu des émissions de M6 (ou de certaines d’entre elles), RTL voulait s’appuyer davantage sur du contenu produit en Belgique. Il a en tout cas annoncé des investissements il y a un an environ. Mais avec la poursuite du partage de contenus, certains craignent que les producteurs belges ne soient désormais laissés sur le carreau.

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“On a créé une attente, rappelle Boris Portnoy. Mais y aura-t-il encore de la place pour les productions belges ? RTL Belgique va-t-elle commander ce à quoi elle s’était engagée? Il y a du contenu de qualité, bien sûr, comme Septante et un, qui ne devrait pas être impacté, mais par rapport à l’espoir donné, c’est dommage.” “Les dents vont grincer, estime aussi notre source anonyme. Les deux grands perdants de cet accord sont les producteurs et le marché belge”. Mais comme dit plus haut, il y a aussi des gagnants, dont les médias.

“Il n’y a pas d’impact”, affirme de son côté le CEO de RTL Belgique, rappelant qu’il y a justement eu des actionnaires belges pour faire arriver RTL en Belgique. “Nous avons énormément investi et nous continuons d’investir. Nous avons lancé de nouvelles productions locales, comme La meilleure friterie ou Cache Cash, nous avons réinvesti dans le traitement de l’actualité pour être toujours plus proche des gens, et avons également couvert l’Euro de hockey cet été. Nous sommes sur une stratégie de long terme”, explique-t-il, notant un équilibre et une importante complémentarité entre les contenus. “L’un n’empêche en effet pas l’autre”, renchérit Wim Jansen: “avec le contenu de M6 et ce qu’il rapporte, on investit dans du local”.

La production locale tient à cœur à Guillaume Collard pour une autre raison encore: c’est une manière de se distinguer des Gafan (Google, Amazon, Facebook, Apple et Netflix). Les réseaux sociaux et les plateformes de streaming sont en effet les concurrents directs de la télévision. Là aussi, c’est une question de parts de gâteau. Et celle de la télévision risque de diminuer, à présent que Netflix et Disney proposent des formules avec publicité. L’avenir nous dira l’impact de cet accord, qui fait déjà couler beaucoup d’encre.

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