Détenteur des droits du foot sur notre territoire, le groupe DAZN va-t-il lâcher les clubs belges, faute d’accord avec les opérateurs télécoms? Si oui, la Pro League aurait-elle intérêt à créer son propre canal de diffusion, comme son équivalente française? Eléments de réponse avec le consultant Pierre Maes, spécialiste de la problématique des droits du foot en télé.
L’heure est grave pour le football belge. Vu le blocage total des discussions avec les opérateurs télécoms, le groupe DAZN, détenteur des droits audiovisuels de la Pro League, veut renégocier son contrat avec cette instance et pourrait même renoncer à tous ses engagements. Une catastrophe pour les clubs belges qui envisagent dès lors la création de leur propre chaîne télé, à l’instar de leurs voisins français. Une option réaliste? Etat des lieux avec le consultant Pierre Maes, auteur du livre Le business des droits TV du foot.
Sans jouer à Madame Irma, comment voyez-vous l’évolution de cet épineux dossier?
Pierre Maes : Même en jouant à Madame Irma, on peut dire que ça ne sent pas bon. Ça, c’est sûr! Au final, quoiqu’il arrive, ce ne sera pas une bonne affaire pour les clubs belges. Dès que les problèmes de négociation ont été connus entre DAZN et les opérateurs télécoms au début de l’été, je l’avais déjà dit: si les telcos restent fermes et unis, ça ne pourra aller que vers une renégociation entre DAZN et la Pro League. Et là, on y est! Donc, pour moi, c’est zéro surprise…
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Mais quelle sera la suite des événements?
Alors, soit il y aura une renégociation forcée, soit DAZN sortira, avec le scénario qu’on a connu en France, c’est-à-dire la création d’une chaîne par la Ligue. Chez nous, les clubs ont d’ailleurs communiqué par la bande pour dire qu’ils étaient prêts à lancer leur propre chaîne.
Vous y croyez?
Oui, car aujourd’hui, créer une nouvelle chaîne, ce n’est pas quelque chose de très compliqué. Le plus compliqué, c’est de garantir des recettes. Car les clubs vont se retrouver face au même problème que DAZN, c’est-à-dire aller chercher l’argent dans la poche des telcos. Parce que l’enjeu, c’est ça! Si la Pro League monte sa propre chaîne, elle va devoir, elle aussi, aller frapper à la porte des telcos pour faire un deal avec eux.
Si ce scénario est envisageable, pourrait-il se mettre rapidement en place?
Il faut d’abord que les droits se libèrent. Pour l’instant, ces droits sont chez DAZN jusqu’en 2030. Donc, d’une manière ou d’une autre, les droits doivent d’abord être libérés avant que la Pro League ne décide de les exploiter elle-même. C’est le préalable administrativo-juridique. Après, faire une chaîne, je le répète, ça peut aller très vite. Si la Pro League trouve les bonnes personnes, quelques semaines suffisent et elle pourrait donc être prête pour le début des playoffs et même avant, très facilement. Donc, il ne faudra certainement pas attendre une nouvelle saison, mais en revanche, pour s’assurer un niveau de revenu convenable auprès des telcos, ça risque de prendre du temps. Parce que le vrai problème, c’est que les abonnés foot des telcos sont déjà partis en nombre. Maintenant, il faut récupérer ces désabonnés et ce sera très difficile car une partie a choisi le piratage de l’IPTV.
Le pourrissement de la situation actuelle prive les clubs belges d’une importante source de revenus. On parle de 25% en moyenne de leur budget. Certains clubs risquent-ils la faillite?
Effectivement, 25%, ça doit être une moyenne. Pour les clubs avec les plus gros budgets, je pense qu’on n’atteint même pas 10%. Par contre, plus le club est petit, plus les droits télé représentent un pourcentage important. Pour certains, ça peut aller jusqu’à 70% de leurs revenus. Si, à un moment donné, ils n’arrivent plus à payer leurs joueurs, alors oui, c’est un gros problème.
Pour les sponsors des clubs, c’est aussi un désastre…
Oui, tout le monde souffre et, pour la Pro League, il est quand même urgent de trouver une solution. Pour les sponsors, c’est embêtant. Mais pour le produit, c’est encore plus embêtant!
Vous voulez dire que ça dévalorise le foot belge?
Absolument! Les gens se disent: ‘‘Je ne peux plus voir les matchs ? Ok, je vais regarder autre chose!’’ C’est ça, le drame.
On est en train de créer une espèce de ‘‘vide médiatique’’?
Aujourd’hui, on sait que, avec la guerre de l’attention, le vide est rapidement rempli par autre chose. Jusqu’ici, le foot belge avait une situation extrêmement privilégiée qui était cette non-exclusivité permettant aux clubs d’être présents sur les plateformes de toutes les télés en Belgique. Ça, c’était unique en Europe! Et donc là, on passe d’une situation merveilleuse à une situation catastrophique au niveau de l’exposition, avec tous les dommages dont on vient de parler au niveau des clubs, du sponsoring et du produit.
La conclusion?
En France, on a acté la fin des droits du foot en télé. Il se pourrait qu’on arrive à la même situation chez nous.
