Les agences de communication, “actrices de la transformation du monde”

Christian de La Villehuchet.
Christian de La Villehuchet. © Frédéric Sierakowski
Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances  

A l’échelle mondiale, il porte déjà le costume de “global chief integration officer” du groupe Havas, mais aussi la casquette, plus locale, de CEO de sa filiale belge. A 56 ans, le Français Christian de La Villehuchet ajoute une nouvelle corde à son arc publicitaire: il préside désormais l’European Association of Communications Agencies (EACA), un organisme qui représente quelque 2.500 agences et plus de 120.000 professionnels de la communication en Europe.

C’est un homme pressé mais paradoxalement détendu qui nous reçoit, en ce jour ensoleillé, dans les bureaux de Havas Belgique, en plein cœur de Bruxelles. Expert du monde de la pub, Christian de La Villehuchet jongle avec un agenda surchargé et différents mandats qui le font voyager tout autour de la planète. Ce quinqua passionné est global chief integration officer du groupe Havas (notamment en charge de la transformation et des acquisitions), CEO de sa filiale belge et, depuis peu, président de l’European Association of Communications Agencies (EACA). Il multiplie dès lors les challenges et les rendez-vous. Pour Trends- Tendances, il a toutefois accepté de se poser, le temps de cet entretien, et d’analyser ce qui l’anime depuis de longues années déjà: l’évolution du secteur publicitaire au fil des mutations qui l’ont secoué et le secouent encore.

TRENDS-TENDANCES. Pourquoi avez-vous accepté cette nouvelle mission au sein de l’EACA?

CHRISTIAN DE LA VILLEHUCHET. On fait un métier fabuleux et on ne le dit pas assez. On a presque honte. Quand j’ai pris cette fonction, c’est d’ailleurs ce que j’ai tout de suite affirmé: il ne faut pas qu’on hésite à dire ce que l’on fait. Nous sommes une industrie qui est au cœur de la transformation positive du monde, mais nous ne sommes pas vus de la sorte. Les gens ont l’impression que nous sommes à la remorque des annonceurs pour faire consommer toujours plus, mais ce n’est pas la réalité. Nous sommes la seule industrie qui a un double impact, sur les annonceurs et sur les consommateurs.

“Nous avons un rôle majeur, mais on ne le dit pas assez. Il faut réaffirmer le rôle de ce métier.”

Tout d’abord, on travaille beaucoup l’agenda des annonceurs, leurs propositions de valeur, leurs actes, leurs produits et leur communication. On les aide à redéfinir leur purpose et à adopter une communication responsable. Donc, on a un impact sur les annonceurs. Et dans cette logique, on peut aussi faire changer les comportements des citoyens consommateurs en leur adressant les bons messages par rapport à la diversité, l’équité, l’inclusion et le développement durable. On a une vraie utilité.

Un exemple?

Je vais vous en donner un très concret. Quand on travaille avec Adidas au Moyen-Orient pour l’aider à être aux avant-postes de l’émancipation de la femme, de sa liberté, et que pour cela on crée une campagne qui s’appelle Liquid Billboard avec une piscine publique en hauteur, transparente, où l’on voit les femmes plonger en maillot de bain et se baigner en liberté, hé bien j’estime que l’on fait progresser la société moyen-orientale beaucoup plus que n’importe quel discours politique. On affirme de manière assertive qu’Adidas est aux côtés des femmes libres. Il n’y a pas de plus beau métier. Alors, quand je raconte ça à des étudiants, ils me répondent: “C’est génial, mais pourquoi on ne nous le dit pas?”

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Souffririez-vous du syndrome des “cordonniers les plus mal chaussés”?

C’est tout le paradoxe! Nous sommes tellement au service des annonceurs que nous oublions de défendre notre propre industrie. Nous sommes un acteur de la transformation du monde. Nous avons un rôle majeur, mais on ne le dit pas assez. Il faut réaffirmer le rôle de ce métier et c’est ce que je veux faire aujourd’hui avec cette association européenne des agences de communication. D’ailleurs, chez Havas, on dit: “We want to make a meaningful difference” (”Nous voulons faire une différence significative”). On ne dit pas: “On est dans 100 pays, on travaille pour des milliers d’annonceurs et on fait 2,5 milliards de chiffre d’affaires”. Ce n’est pas le sujet! On dit: “On veut aider les marques à avoir du sens et on veut aussi aider les gens, la société, à aller dans le bon sens”. Nous sommes les metteurs en scène des marques et nous sommes là pour qu’elles portent des valeurs, des combats, et qu’elles répondent à des aspirations.

Mais l’EACA, c’est aussi un lobby pour contrer, par exemple, certains partis qui voudraient interdire la pub pour les SUV?

On représente les agences de communication, donc nous avons évidemment des relations avec les décideurs politiques de l’Union européenne. L’EACA, c’est le syndicat de la profession. C’est une organisation qui doit être la voix, si possible porteuse et affirmée, de notre profession au sens large. Nous avons, comme vocation, de défendre et de valoriser notre industrie. Et aussi, de façon très pragmatique, d’aider les 2.500 agences qui sont membres à avoir tous les outils, toutes les armes, pour être les plus compétitives possible. Car il y a plein d’enjeux. Prenez l’exemple du Digital Service Act. Cela va interdire les contenus illicites, les produits illégaux et l’usage abusif de la donnée sur un certain nombre de sujets. Le monde d’internet, qui est à la fois le meilleur des mondes et le far west, va être enfin régulé à peu près de la même manière que le monde réel…

Vous visez les Gafam?

Aujourd’hui, ils sont tellement importants qu’on ne peut pas faire sans eux. Mais ce ne sont pas que des diffuseurs. Ce ne sont pas que des tuyaux. Ce sont des médias. Et donc, ils ont des responsabilités. C’est trop simple de dire: “Moi, je suis une autoroute et je ne contrôle pas les voitures qui y passent”. Donc, tout ce qui va dans le sens d’un renforcement de la législation pour amener les Gafam à se comporter de manière plus responsable, dans le meilleur respect du consommateur, nous, à l’EACA, on le soutient!

© FRÉDÉRIC SIERAKOWSKI

Les géants de la tech sont aussi derrière l’intelligence artificielle qui bouleverse votre secteur. Certains métiers de la pub sont clairement menacés…

C’est mon patron Yannick Bolloré qui le dit et j’adore cette formule: quand la photographie est arrivée, elle n’a pas supprimé la peinture, elle a supprimé les mauvais peintres mais les peintres créatifs, eux, sont restés. Je trouve que c’est très juste. En fait, toute innovation crée des mutations, mais elle crée aussi forcément le progrès. Parce qu’elle démultiplie les possibilités. Donc oui, il y a des fonctions qui se substitueront, mais cela va obliger les agences à redoubler d’efforts et à démultiplier leur créativité.

Mais ne craignez-vous pas justement que l’IA soit plus forte, un jour, en termes de créativité?

Dans la créativité, il y a le mot création. On crée quelque chose qui n’existait pas avant. Or l’intelligence artificielle, aujourd’hui, ne crée pas. Elle réplique l’existant de manière très rapide et très sophistiquée, certes, mais elle ne fait que répliquer. Elle digère et restitue. Cela me fait penser à un proverbe chinois qui dit: “Ce à quoi vous vous attendiez est l’ennemi de l’efficacité”. L’IA, c’est ça: c’est très bien, mais c’est attendu. Alors que le véritable acte créatif, c’est l’acte qui surprend.

“Les annonceurs sont un peu perdus et ils ont besoin d’une boussole.”

Mais l’IA n’est-elle pas pour autant une menace dans la mesure où les annonceurs pourraient être tentés de travailler en direct avec ces outils, pour leur communication, sans passer par les agences de pub?

Havas vient de s’offrir la plus belle agence créative anglaise qui s’appelle Uncommon (le studio de création le plus primé du Royaume-Uni, Ndlr). Les gens nous disent: “Mais pourquoi avez-vous acheté Uncommon?” Parce qu’il nous faut justement monter le niveau de la créativité! Il faut qu’on soit exemplaire, excellent, above. Et l’intelligence artificielle nous oblige à accélérer. Il faut un impératif d’excellence que seule l’imagination humaine peut amener. Aujourd’hui, il y a beaucoup de rapaces pour se partager le gâteau publicitaire. Et l’intelligence artificielle, indépendante ou pilotée par des spécialistes qui se positionneraient comme tels, arrive dans le lot.

Que voulez-vous dire?

La journée d’un annonceur, c’est quoi? C’est rencontrer une agence d’influence à 9 h qui va lui dire qu’il n’y a qu’une seule chose qui compte: les influenceurs. Puis, c’est rencontrer une agence digitale à 10 h qui va lui dire que les gens passent x heures par jour sur les sites web et qu’il doit absolument être dans cette expérience consommateur-là. Ensuite, c’est rencontrer une agence de publicité à 11 h qui va lui dire que, s’il ne fait pas un grand film, il est mort! Et puis, ce sera une agence média qui lui dira: “Attendez, aujourd’hui, si vous n’avez pas autant de GRP et que vous n’occupez pas la scène, vous êtes fini!” Et il y aura même une agence de consultance dans l’après-midi qui va lui dire: “Tout ça, c’est de la foutaise! Il faut transformer entièrement votre entreprise, changer vos produits et trouver de nouveaux canaux de vente”.

Maintenant, on ajoute l’intelligence artificielle. Moi, je pense plutôt que les annonceurs sont un peu perdus et qu’ils besoin d’une boussole. La force des agences intégrées, c’est qu’elles sont garantes d’une cohérence et d’une continuité. Elles aident les annonceurs à définir leurs priorités, à bâtir les bonnes séquences et à faire les bons arbitrages dans ce magma où il y a beaucoup de marchands du Temple. L’intelligence artificielle en est un de plus.

Justement, aujourd’hui, comment se porte le marché de la publicité?

Nous ne sommes plus, aujourd’hui, dans la publicité. On est à peine dans la communication et je dirais même que l’on se trouve plutôt dans la connexion. Parce que notre job, c’est de connecter des marques, des business, avec des audiences internes, externes clientes, externes prospects, externes actionnaires, etc. Et donc, qui dit connexion, dit multiplication des techniques et des canaux, dont la publicité telle que vous et moi la connaissons et qui n’est, en réalité, qu’une infime partie.

“Il y a de plus en plus de gens qui ont les moyens de consommer.”

Et comment se porte ce marché de la “connexion”?

On me regarde toujours un peu comme un ostrogoth quand je le dis, mais c’est pourtant assez évident: globalement, il y a de plus en plus de gens qui ont les moyens de consommer. Alors, ils ne sont pas tous en Europe, ils sont en Inde, en Chine, au Brésil et encore ailleurs dans le monde. Et contrairement à ce que l’on dit, il y a de plus en plus de marques qui, notamment grâce au digital, existent. Attention, il y a de moins en moins de grandes marques chez les grands annonceurs parce qu’ils rationalisent leur portefeuille. Mais la réalité, c’est qu’il y a de plus en plus de besoins, de services et de marques derrière. Et enfin de plus en plus de canaux. Le flux s’est densifié de manière considérable. Donc le marché est porteur du fait de ce triple phénomène. Et les agences, parce qu’elles maîtrisent la créativité et qu’elles connaissent finalement assez bien le consommateur, en ont gardé une part prédominante.

Profil

· 1967: naissance à Boulogne-Billancourt (France)

· 1990: diplômé de HEC Paris et premier poste dans la pub comme account executive chez Euro RSCG Paris

· 1998:executive vice president & director of development chez Euro RSCG Europe

· 2002: CEO d’Euro RSCG Belgique, puis en 2007 d’Euro RSCG Benelux qui seront ensuite rebaptisées Havas Worldwide

· 2016: global chief integration officer du groupe Havas, en plus de sa fonction de CEO de Havas Belgique

· 2023: président de l’European Association of Communications Agencies (EACA)

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