À quoi bon cliquer quand l’IA répond à tout ? Avec l’arrivée des “aperçus d’IA” dans les moteurs de recherche, l’accès à l’information en ligne change de visage. En proposant directement des réponses synthétiques dans les résultats, Google réduit drastiquement le besoin — et l’envie — de visiter les sites web. Une révolution technologique aux conséquences économiques majeures pour les éditeurs, dont le modèle repose encore largement sur le trafic issu des clics.
À quoi bon consulter plusieurs sites Internet lorsqu’on peut obtenir une réponse simple et rapide à notre question ? Si ChatGPT, dans sa première version, avait déjà chamboulé notre accès au savoir – non sans quelques erreurs factuelles -, la possibilité pour l’intelligence artificielle générative d’OpenAI de consulter le web en temps réel pour répondre aux requêtes de ses utilisateurs a initié une révolution dans notre accès à l’information. Google, menacé dans son modèle même par ces nouveaux agents conversationnels, a riposté en lançant ses “AI Overviews” — ou aperçus d’IA —, redéfinissant l’usage du moteur de recherche… au risque de faire des victimes.
Quelques phrases générées par Gemini, l’IA de Google, suffisent désormais à fournir une réponse claire et immédiate aux utilisateurs, rendant presque superflue la consultation des sites référencés. Une évolution qui menace directement l’économie du web, surtout pour les sites dont le modèle repose sur le trafic généré par les clics.
Une réponse simple et rapide
Désormais placés en tête des résultats de recherche, ces aperçus prennent la forme de réponses textuelles synthétiques, même lorsque la requête n’est pas formulée comme une question. Ils peuvent également proposer des listes d’extraits issus de différents sites, des liens vers ceux-ci, ainsi que des listes, tableaux ou images générés automatiquement.
Concrètement, l’IA générative de Google se charge de scruter le web et de proposer en moins de 2.000 signes une réponse à une requête. L’information est réduite à son plus simple appareil – même si des sites sont listés en dessous pour compléter le texte généré par l’IA –, avec les biais et les hallucinations potentiels que l’on connait de l’intelligence artificielle.
Une nouvelle ère est née
La firme de Mountain View n’a pas inventé le concept, mais avec 90% de parts de marché de moteurs de recherche, elle a décuplé le potentiel des aperçus d’IA. À l’origine, en mars 2023, c’est Bing, le moteur de recherche de Microsoft, qui a proposé des réponses d’actualité générées par intelligence artificielle. Bien évidemment, l’agent conversationnel par excellence, ChatGPT, en a rapidement profité. De ce fait, le recours aux moteurs de recherche semblait de moins en moins nécessaire.
Ce n’est qu’en mai 2024 que Google annonce l’arrivée des AI Overviews aux États-Unis, puis leur déploiement un an plus tard dans 200 autres pays, dont la Belgique. L’ère du web sans clic était née.
Entre 30 et 70 % de clics en moins
À l’époque, le PDG de Google, Sundar Pichai, avait assuré lors d’une interview pour The Verge que cette nouvelle fonctionnalité serait bénéfique pour les sites Internet : “Si vous placez du contenu et des liens dans les aperçus AI, ils obtiennent des taux de clics plus élevés que si vous les placez en dehors”, alors que de nombreux médias s’inquiétaient de l’arrivée d’une telle nouveauté.
Et le fait est que plusieurs études ont déjà confirmé que leurs inquiétudes étaient fondées. En l’espace d’un an, de nombreux sites Internet ont vu leur taux de clics chuter de manière significative : un effondrement de plus de 34 % pour les sites classés en première position, selon l’étude d’Ahrefs. Mais d’autres chercheurs évoquent une baisse de près de 70 % de trafic sur des sites Internet depuis l’apparition des aperçus d’IA.
Des conséquences tragiques
De quoi mettre en péril un modèle économique déjà fragilisé : celui de la publicité en ligne. De nombreux sites Internet, notamment des sites d’information, génèrent des revenus grâce aux publicités affichées lorsque des internautes consultent leur contenu. Or, pour négocier ces revenus, les éditeurs s’appuient principalement sur leur volume de trafic.
Avec la baisse des taux de clics induite par les aperçus d’IA, les sites disposent de moins d’arguments pour négocier avec les annonceurs, ce qui entraîne une chute de leurs recettes. De quoi s’inquiéter pour la survie des médias en ligne.
C’est tout un écosystème qui se retrouve bouleversé : celui du trafic web, de la monétisation des contenus et, plus largement, de la stratégie SEO. Au-delà des médias, l’ensemble des sites Internet va devoir repenser sa manière de proposer du contenu, pour le rendre plus engageant et réussir à attirer, malgré tout, des visiteurs.
Des pistes de solution
Si les éditeurs – pour ne citer qu’eux – sont conscients depuis des années de la menace de la Big Tech – une part toujours plus importante d’individus s’informe via les réseaux sociaux plutôt que les sites d’informations –, cette fonctionnalité ressemble à un coup de grâce. Comment parvenir à exister malgré tout ?
Difficile d’imaginer avoir le dessus sur les aperçus d’IA – c’est tout de même Google qui se cache derrière. La solution serait alors de vivre avec et donc, d’une certaine façon, de collaborer pour, justement, faire en sorte que son site Internet soit bien placé dans ces aperçus ? Une logique qui n’est pas sans rappeler celle des SEO et qui pose énormément de problèmes aux éditeurs, en raison des algorithmes et critères mystérieux et changeants du géant américain.
Mais, paradoxalement, Google ne peut continuer dans cette voie et accaparer l’ensemble du trafic Internet à son seul profit. En effet, sans site Internet à partir desquels aspirer les données, pas d’aperçu d’IA. À cela s’ajoute la pression toujours plus pesante des autorités européennes et américaines, qui s’interrogent justement sur son monopole en ligne.
D’un point de vue plus pragmatique, on peut souligner que les aperçus d’IA ne sont pour l’instant pas monétisés. On peut donc s’interroger sur les intentions futures de Google. La firme de Mountain View pourrait exploiter sa position dominante pour pousser les sites Internet à payer pour se retrouver dans les aperçus d’IA ou tout au-dessus des sites listés et ainsi générer une nouvelle source de revenus.