Paul Vacca

L’épiphanie de la cassette audio

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Dans une ère où tout est dématérialisé, il y a paradoxalement quelque chose de l’ordre de la communion dans l’incarnation matérielle d’un artiste.

On la croyait morte et enterrée, à ranger définitivement au rayon des souvenirs, tout juste bonne à servir de marqueur temporel dans les films, les séries ou les devinettes sur les réseaux sociaux. Or, la voilà qui renaît: la cassette audio se revendrait même comme des petits pains, et des icônes pop comme Dua Lipa ou Lady Gaga sortent désormais leurs titres sur ce support à l’obsolescence certifiée.

Ne feignons pas d’être étonné. Le vinyle avait déjà vendu la mèche en dépassant les ventes de CD en 2020. Le remake de la cassette audio ne fait qu’enfoncer le clou: le fantasme du “grand remplacement numérique” n’a pas encore eu lieu. Et même si les plateformes numériques audio explosent, elles n’ont toujours pas tué les vieux supports.

De fait, les nouveaux rituels culturels semblent plus obéir aux thèses de Lavoisier qu’à celles de Darwin. En matière de supports, “rien ne se perd et tout se transforme”. Le retour de la cassette obéit au phénomène que nous avons maintes fois observé ici et auquel nous avons donné le nom d'”analogique 2.0″, celui de la réinvention des vieux supports – vinyle, livres, radio, etc. – à l’ère numérique. Un retour en grâce qui obéit principalement à deux règles. D’une part, il ne se fait pas “en dépit” des avancées technologiques mais bien “grâce” à elles. C’est en effet parce que notre horizon se numérise toujours plus que le besoin d’analogique se fait sentir ; voilà pourquoi il ne faut pas parler de “résilience” mais bien de “renaissance”. D’autre part, la résurgence de la cassette audio, comme celle du vinyle, incarne une toute nouvelle expérience. Voilà pourquoi, plus que de “retour”, il convient de parler de “réinvention”.

Dans une ère où tout est dématérialisé, il y a paradoxalement quelque chose de l’ordre de la communion dans l’incarnation matérielle d’un artiste.

Car le come-back de la cassette ne s’explique pas uniquement en termes de nostalgie. Bien sûr, il y a l’effet “filtre vintage” comme dans un film de Wes Anderson, la série Stranger Things ou Les Gardiens de la galaxie de Marvel, films dans lesquels le héros écoute une cassette avec une compilation léguée par sa mère. Ou si nostalgie il y a, ce serait plutôt une nostalgie fantôme (comme on parle de douleur fantôme) puisqu’elle est ressentie par une génération qui n’a pas vécu la période en question.

Il existe des raisons plus profondes. Economiques, d’abord. La cassette audio se révèle en effet moins chère à l’achat (10 euros en moyenne au lieu de 23 euros pour un vinyle) mais aussi à produire. Ainsi les groupes indépendants se transformant en makers trouvent-ils aujourd’hui, surtout en cette période sans concerts, un moyen de financement autre que les maigres royalties perçues via les plateformes numériques.

Mais aussi, parce qu’en 2021, la cassette présentée comme une innovation au salon international de la radiodiffusion de Berlin de 1963, s’est transmuée en une toute nouvelle expérience: à l’heure des AirPods, la matérialité cheap du support, sa fragilité et même le souffle de la bande en font un rituel ludique, presque un happening. Et à l’heure des playlists randomisées où l’on peut en un seul clic passer d’un titre à un autre, suivre une liste de titres imposée sans pouvoir intervenir transforme l’écoute en moment de partage avec le groupe ou la personne qui a réalisé la compilation.

Mais il y aurait peut-être encore quelque chose de plus… L’expérience de la cassette, comme celle de tout support analogique, rejoint dans une certaine mesure celle de la transsubstantiation. La matérialité du support produit une forme d’épiphanie. Dans une ère où tout est dématérialisé, il y a paradoxalement quelque chose de l’ordre de la communion dans l’incarnation matérielle d’un artiste. Malraux ne disait-il pas que le 21e siècle serait spirituel ou ne serait pas?

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