Le Palais 12 bientôt rebaptisé ING Arena
Un lion dans l’arène du Palais 12. Surfant sur la tendance du “naming”, le Palais 12 de Brussels Expo deviendra bientôt l’ING Arena. Avec son nom associé à ce temple de la musique, la banque au lion s’offre une nouvelle visibilité. A quel prix? Décryptage d’un courant marketing.
Dans deux mois, le Palais 12 n’existera plus. Pas de panique! Cette salle mythique n’aura pas disparu du paysage bruxellois, elle aura tout simplement été rebaptisée ING Arena. Si le mystère plane encore sur le nouveau logo qui habillera ce lieu festif, un élément semble toutefois acquis aujourd’hui: dans la communication de Brussels Expo (le gestionnaire de la salle de spectacles) et les médias qui relayeront son agenda, c’est le nom de la célèbre banque qui triomphera à l’avenir. On ne dira plus “Angèle en concert au Palais 12”, mais bien “Angèle en concert à l’ING Arena”.
Certes, cela prendra un peu de temps avant que la nouvelle appellation bancaire entre dans les mœurs musicales, mais il ne fait quasiment pas de doute que le nouveau label finira par s’imposer, comme cela s’est passé en France avec le Palais Omnisports de Paris-Bercy devenu, en 2015, l’AccorHotels Arena, du nom de ce puissant groupe hôtelier.
Le point commun entre ces deux temples de la musique? Ils ont succombé à la tentation du naming, une tendance marketing qui consiste à associer le nom d’une marque à un stade ou une salle de concert, moyennant une rétribution financière aux propriétaires de ces infrastructures de loisirs.
Gagnant-gagnant
Véritable opération win-win, le naming permet à une marque ou à une entreprise de doper considérablement sa visibilité dans le paysage médiatique tout en assurant une belle somme d’argent aux gestionnaires de ces arènes sportives ou culturelles, qui gardent toutefois la mainmise sur la programmation et l’opérationnel. A l’étranger, on ne compte plus les exemples qui ont émergé dans ces opérations de “rénovation”: Mercedes-Benz Arena à Stuttgart et Berlin, The O2 Arena (du nom d’un opérateur télécom) à Londres depuis 2005, Decathlon Arena à Lille qui supplante désormais le Stade Pierre Mauroy, etc.
Il arrive même aux marques de se succéder dans les opérations de naming. Inauguré avec un nom commercial en 1999, le Staples Center de Los Angeles (en référence à l’entreprise spécialisée dans les fournitures de bureau) est ainsi devenu la Crypto.com Arena en 2021, juste après que cette plateforme de cryptomonnaies eut décroché le précieux contrat pour les 20 années à venir.
Chez nous, la tendance est encore timide, même si on compte une grande salle de concert et deux beaux stades dans le paysage belge du naming depuis quelques années déjà. Précurseure dans le mouvement, il y a d’abord la Lotto Arena qui, depuis 2007, peut accueillir 8.000 spectateurs à Anvers pour ses spectacles et ses événements. On trouve ensuite la Ghelamco Arena à Gand qui porte le nom de son promoteur immobilier depuis son inauguration en 2013 (soit 10 ans après l’annonce d’un nouveau stade pour l’équipe de football de La Gantoise). Et enfin, n’oublions pas le Lotto Park qui a effacé en 2019 le nom du Stade Constant Vanden Stock (l’enceinte mythique du RSC Anderlecht) peu après le rachat du club bruxellois par le serial entrepreneur Marc Coucke.
Un nom “neutre”
Mis à part l’une ou l’autre salle moins connue dans le paysage culturel, comme le Lotto Mons Expo et la Trixxo Arena à Hasselt, la future ING Arena sera donc la prochaine élue sur la liste des grandes opérations de naming en Belgique.
C’est un sacré tournant pour le Palais 12 qui, en 10 ans d’existence, a su imposer sa marque dans le paysage musical. Avec plus de 300 spectacles et 2 millions de spectateurs au compteur, ce temple bruxellois va donc abandonner son nom pour une appellation beaucoup plus commerciale. “Nous avions envisagé ce type de partenariat dès le début, raconte Denis Delforge, CEO de Brussels Expo, l’ASBL qui gère le Parc des Expositions sur le plateau du Heysel. C’est la raison pour laquelle nous avions choisi un nom neutre à l’époque, le Palais 12, parce que c’est tout simplement le douzième palais. Nous avons été plusieurs fois proches de la signature d’un contrat mais cela ne s’est pas fait. Il a fallu du temps pour que la salle s’inscrive dans le paysage des salles de spectacle en Belgique.”
“C’est une façon de tisser un lien émotionnel encore plus durable avec le public.”
Il y a trois ans, la pandémie de Covid-19 est également venue mettre un sérieux coup de frein aux premières tentatives de naming, mais aujourd’hui, un nouveau partenariat a enfin été conclu entre ING Belgique et Brussels Expo. “Il faut rappeler que nous sommes sponsors du Palais 12 depuis 2013, souligne An Caers, responsable marketing et communication chez ING Belgique. C’est un partenariat très solide qui nous a permis de toucher nos clients mais aussi des non clients en vivant des moments inoubliables. Dix ans plus tard, nous souhaitons renforcer ce partenariat avec cette opération de naming signée jusqu’en 2030. C’est une façon de tisser un lien émotionnel encore plus durable avec le public et de créer une love brand autour d’ING.”
Opération séduction
Quelque peu obscur, le concept de love brand est apparu il y a une quinzaine d’années déjà pour évoquer des marques qui ont réussi à développer au fil du temps une relation quasi amoureuse ou du moins affective avec leurs consommateurs. Nike, Apple, Lego, Dior, Coca-Cola, etc., sont considérées aujourd’hui comme des love brands. Mais pour une banque, il est évidemment plus compliqué de prétendre à un statut aussi enviable.
Dans cette quête de reconnaissance quasi charnelle, le naming peut donc apparaître comme une technique de rapprochement, voire de séduction supplémentaire, envers le public. “L’entreprise qui recourt au naming cherche avant tout de la visibilité, explique Jean-Claude Jouret, professeur de marketing à l’Ichec. La marque veut être associée aux valeurs d’un lieu culturel pour doper son capital sympathie même si, in fine, celui-ci sera difficile à mesurer. Il y a donc une notion de notoriété et de transfert de valeurs à travers cette forme de sponsoring qui peut certainement amener un petit supplément d’âme au niveau de la reconnaissance. Mais de là à penser qu’un jeune couple va opter pour un prêt hypothécaire chez ING parce qu’il aura vu le nom de cette banque sur une salle de concert, il y a un pas que je ne franchirais pas. Donc, quid du retour sur investissement?”
C’est tout le nœud du problème: l’argent investi dans une telle opération de communication va-t-il rapporter davantage à la marque? Car on parle ici de plusieurs centaines de milliers d’euros par an (voire plus) pour que le nom d’une entreprise figure au sommet d’un stade ou d’une salle de spectacles. Ainsi, au Sporting Club d’Anderlecht, la Loterie nationale débourse 1,35 million par an depuis 2019 pour voir sa marque Lotto associée au stade. Ce naming Lotto Park se termine en 2024 (soit près de 7 millions investis sur cinq ans) et la société négocie actuellement une éventuelle prolongation du contrat.
Un choix réfléchi
Pour le responsable des partenariats à la Loterie nationale, le jeu en vaut la chandelle: “Pour le Lotto Park comme pour la Lotto Arena, nous calculons un maximum de choses en termes de visibilité, confie Olivier Alsteens. La méthode est certes compliquée mais nous touchons énormément des gens et c’est donc rentable en termes de visibilité. Nous sommes confrontés à une disparition rapide de nos points de vente, comme les librairies où il y avait un vrai lien émotionnel, et nous devons donc garder ce lien affectif d’une autre manière, avec des moments d’attachement à la marque à travers des concerts ou des matchs de football.”
ING Belgique débourserait entre 700.000 et 900.000 euros pour an pour cette opération de “naming”.
ING Belgique est elle aussi confrontée à une disparition progressive de ses points de vente physiques. Alors que la banque comptait encore 450 agences en juin 2021 sur notre territoire, l’objectif avoué de son CEO Peter Adams est de limiter le réseau à 150 à 200 agences dans les prochaines années. Bien sûr, le client ING peut toujours compter sur son application mobile pour rester en contact avec la marque mais dans l’espace public, le nom de la banque s’estompe petit à petit. Rebaptiser le Palais 12 en ING Arena apparaît donc comme une manière de continuer à toucher les Belges au quotidien.
“Selon une étude de l’institut Nielsen, la musique et le football touchent ensemble 94% des Belges, rebondit An Caers, responsable marketing et communication chez ING Belgique. Pour nous, ce sont deux piliers qui sont devenus essentiels dans notre stratégie pour établir une connexion émotionnelle avec le public. Car nous sommes aussi sponsors des Diables Rouges et des Red Flames. Ce nouveau partenariat avec Brussels Expo à travers l’ING Arena servira aussi à créer du lien et donc à accroître la considération des Belges envers notre marque.”
Une bouffée d’argent frais
Selon nos informations, ING Belgique débourserait entre 700.000 et 900.000 euros pour an pour cette opération de naming qui la conduirait, dans un premier temps, jusqu’en 2030. Ni la banque ni Brussels Expo ne souhaitent s’exprimer à ce sujet (”clause de confidentialité”, répondent-ils en chœur) mais pour l’ASBL qui gère les Palais des Expositions, cet apport d’argent frais est évidemment le bienvenu. Avec la crise sanitaire, Brussels Expo a en effet vu son chiffre d’affaires chuter de 50 millions d’euros avant le covid à quasiment zéro durant deux ans et demi, et le groupe a dû tailler dans ses effectifs qui sont passés de 115 collaborateurs à l’époque à 72 aujourd’hui.
“Il ne faudrait pas faire de raccourci et penser que cette opération de naming est due à notre situation financière actuelle, répond Denis Delforge, CEO de Brussels Expo. Bien sûr, cet argent est bienvenu, mais encore une fois, nous y avions pensé dès le début. Il faut plutôt voir aujourd’hui dans ce partenariat privé-public un symbole de ce que l’on peut faire de manière encore plus forte, à l’avenir, d’un point de vue structurel.”
Si l’ASBL espère renouer avec un chiffre d’affaires annuel de 35 à 40 millions d’euros, elle n’en reste pas moins en fâcheuse posture financière. Brussels Expo a donc rédigé un nouveau plan stratégique avec un repositionnement qui privilégie davantage de présence sur le marché des conférences et des expositions, une meilleure gestion des palais existants (un tiers de 120.000 m2 de surface événementielle pourrait être sacrifié) et, idéalement, un plan de rénovation qui pourrait flirter avec les 150 millions d’euros. Dans cette optique, de futurs partenariats privé-public et de nouvelles opérations de naming pourraient donc à nouveau s’inviter sur le plateau du Heysel.
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