Le danger des dark patterns: quand les sites vous manipulent à l’aide de leur interface

dark patterns cookies internet
© Getty Images
Mailys Chavagne
Mailys Chavagne Journaliste

Acheter des produits supplémentaires, télécharger des logiciels inutiles, souscrire un nouvel abonnement, partager nos données personnelles… Les sites web abusent de stratagèmes visuels pour nous inciter à faire des choses contre notre gré. C’est ce qu’on appelle le deceptive design, c’est-à-dire le design trompeur, également appelé dark pattern.

Vous pensiez échapper aux pièges d’Internet? Vous avez tort… Depuis l’essor du commerce en ligne, les marques cherchent à tout prix à augmenter leurs ventes, mais aussi à recueillir des données sur leurs clients. Quitte à utiliser des subterfuges borderline, voire carrément trompeurs.

Comment? Les entreprises utilisent l’architecture ou le design de leur interface (éléments graphiques, couleur, taille de boutons…) pour influencer le comportement des clients. Leur objectif est d’encourager les gens à cliquer sur un bouton qui provoquera notamment un achat, un abonnement ou le partage des données personnelles. Le dark pattern est ainsi né.

Le dark pattern, une mauvaise expérience utilisateur

Au cœur de cette forme d’escroquerie? L’expérience utilisateur, ou design UX. A l’origine, ce processus de conception a pour mission d’offrir une expérience utilisateur optimale. Pour cela, le designer cherche à diminuer au maximum les interrogations que peut avoir un utilisateur lors de sa navigation sur un site web. En d’autres termes, un bon design UX amène les internautes là où ils doivent aller.

Mais avec les dark patterns, c’est tout l’inverse qui est recherché. « Il s’agit d’embrouiller les esprits et de provoquer des erreurs qui soient profitables à l’activité d’une entreprise », explique Harry Brignull, à l’origine de ce terme. Les dark patterns conduisent intentionnellement les consommateurs à des résultats qu’ils n’ont pas nécessairement désirés, mais qui sont plutôt voulus par la marque.

Le cas des données privées

Depuis la mise en place du RGPD – Règlement Général sur la Protection des Données -, nos données privées sont a priori mieux protégées. Cela se traduit, par exemple, par des petites fenêtres qui demandent à l’internaute s’il accepte (ou non) les cookies, ces fameux fichiers qui traquent les données de navigation. En réalité, les internautes sont indirectement contraints d’accepter les cookies, s’ils veulent pouvoir poursuivre leur navigation.

Ces petites fenêtres pop-up constituent donc des dark patterns. Plutôt que de présenter un choix clair entre « J’accepte les cookies » et « Je les refuse », certaines entreprises créent des entourloupes visuelles et/ou fonctionnelles pour maximiser le nombre d’acceptations. Par exemple un gros bouton d’acceptation à côté d’un petit lien pour le refus. Ou un refus qui n’est accessible qu’après avoir validé une série de paramètres… Parfois, le simple fait de refuser les cookies éjecte immédiatement l’utilisateur du site web.

Il s’agit d’embrouiller les esprits et de provoquer des erreurs qui soient profitables à l’activité d’une entreprise

Se désabonner, un parcours du combattant

Certaines entreprises ne permettent pas à leurs clients de se désabonner facilement. Tout sera fait pour les décourager à partir. On appelle ça la technique du Roach Motel, ou Obstruction. Cet élément de conception consiste à compliquer intentionnellement un processus par des étapes inutiles pour dissuader les consommateurs d’agir.

L’un des exemples les plus célèbres d’Internet: Amazon Prime. L’entreprise a en effet déployé beaucoup d’efforts pour compliquer la suppression d’un compte. Premièrement, l’intitulé n’est pas nécessairement très clair. Pour se désabonner d’Amazon Prime, il faut accéder à « Votre compte », puis cliquer sur « Votre compte Amazon Prime », et sélectionner « Renoncer aux avantages Amazon Prime ».

Une fois que c’est fait, le client n’est pas immédiatement redirigé vers la page dédiée. Amazon fait d’abord miroiter à ses utilisateurs divers avantages auxquels ils ont eu droit grâce à leur abonnement: les économies réalisées sur les achats, les commandes expédiées gratuitement, le nombre de vidéos visionnées… L’objectif est clair: encourager les clients à rester pour qu’ils puissent profiter encore de ces bonus.

Lorsqu’ils ont confirmé que oui, ils souhaitent bel et bien continuer à annuler, ce n’est pas encore fini. Les utilisateurs sont amenés vers une nouvelle page qui leur signale en rouge que s’ils poursuivent, ils vont définitivement perdre leurs avantages. Bref, Amazon insiste: ses clients ne doivent surtout pas partir. Et si cet argument ne suffit pas, le site propose de retarder la décision à l’aide d’une notification : « me rappeler 3 jours avant la date de renouvellement ou de conversion de mon adhésion ».

Un essai pas si gratuit que ça

Il faut également se méfier des interfaces qui proposent un essai gratuit de plusieurs jours. Leur objectif? Forcer l’utilisateur à entrer ses données privées et se créer un compte. Le problème, c’est que bien souvent, aucune notification n’est envoyée au client pour lui rappeler que sa période d’essai touche à sa fin. Résultat: l’abonnement est prolongé automatiquement en compte payant et une somme est réclamée à l’internaute. C’est ce qu’on appelle la perpétuation d’abonnement: c’est le fait de débiter le compte de l’utilisateur dès la fin de la période d’essai sans l’avertir.

Vigilance constante

Il existe de nombreuses techniques de dark patterns qui peuvent être utilisées conjointement, dont notamment:

  • les publicités déguisées: un bouton peut sembler faire partie du processus de navigation standard, mais il vous mènera en fait à une publicité ;
  • les détournements d’attention: l’entreprise mettra en avant à l’aide de couleur, de texte en gras ou d’un joli design l’option qu’elle veut vous faire choisir. Quant à l’autre option, elle sera étonnamment beaucoup plus discrète;
  • le faux sentiment d’urgence: un compte à rebours vous incite à profiter d’une « offre exclusive » qui n’est finalement pas si exclusive que ça, une notification vous indique le nombre d’articles encore disponibles… Tout vous encourage à vous dépêcher, sans trop réfléchir.

On le voit, le design trompeur est particulièrement répandu et se diversifie à mesure que l’e-commerce, les sites de divertissement et autres pages nécessitant un paiement ou un abonnement prennent de l’essor. C’est pourquoi il faut toujours vérifier toutes les informations disponibles avant de confirmer un achat ou un abonnement, conseille le Centre européen des consommateurs. Et de rappeler qu’en cas d’erreur ou de regret, « le consommateur dispose d’un droit de rétraction d’au moins quatorze jours » pour les achats effectués en ligne.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content