L’ambitieux studio de jeux vidéo Larian ne cache pas son inquiétude pour l’avenir du secteur
Le jeu de rôle “Baldur’s Gate 3”, basé sur le monde de “Donjons et Dragons”, a été nommé jeu vidéo de l’année lors des Game Awards, principale cérémonie de remise de prix dédié aux jeux vidéo, organisée à Los Angeles jeudi soir. Il s’agit de la dernière création des Larian Studios, un studio gantois, qui se veut ambitieux après cette récompense.
Au total, le jeu, situé dans un royaume fantastique de sorciers, elfes, barbares et autres personnages, a remporté six prix jeudi soir (“meilleur soutien de la communauté”, “meilleur jeu de rôle”, “meilleur multijoueur”, “meilleure performance” (pour l’acteur britannique Neil Newbon, qui incarne le personnage d’Astarion) et le prix du public).
Dans la bataille pour le meilleur jeu vidéo de l’année, “Baldur’s Gate 3” s’est imposé contre des titres populaires tels que “Super Mario Bros. Wonder”, “Marvel’s Spider-Man 2”, “Resident Evil 4”, “The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom” et “Alan Wake 2”.
Le mois dernier, le jeu des Larian Studios qui emploient 400 personnes au total, avait également été récompensé lors de la cérémonie des Golden Joystick Awards, où c’est essentiellement le public qui choisit les gagnants. Jamais un jeu belge n’avait connu un tel succès sur la scène internationale.
Le Premier ministre Alexander De Croo n’a d’ailleurs pas manqué de souligner ce succès. “Pourquoi les Belges ont parfaitement le droit d’être audacieux et ambitieux”, a-t-il ainsi écrit sur X, l’ancien Twitter, évoquant une “grande victoire”.
« Nous sommes là pour rester ! »
“L’équipe de Larian a consacré corps et âme pendant six ans à ce jeu, parfois dans des circonstances très difficiles“, a déclaré le fondateur et directeur du studio, le Belge Swen Vincke, en acceptant le prix. Il était, pour l’occasion, vêtu d’une armure, à l’image d’un personnage du jeu qui a conquis des millions de fans depuis sa sortie début août.
La récompense conforte les dirigeants du studio gantois dans leurs projets. “Dans les jeux précédents, nous faisions figure d’outsider. Les gens semblaient attendre les projets suivants“, explique ainsi David Walgrave, responsable de la production. “Je pense que nous avons maintenant été clairs: nous sommes là pour rester ! Et nous sommes prêts à rejoindre les grands acteurs (du secteur).”
La liberté de choix rend “Baldur’s Gate 3” unique, analyse-t-il. “Nous créons un monde très vaste avec une histoire complexe. Le joueur y est immergé et peut faire toutes sortes de choix qui modifient le monde et l’histoire. Dans de nombreux jeux, les choix sont limités. Ce n’est pas notre cas. Nous allons très loin dans la technologie et la philosophie pour y parvenir. Il y a très peu d’entreprises qui peuvent le faire, mais elles ne vont pas assez loin.”
Les six prix décrochés ouvrent de nombreuses perspectives à l’entreprise gantoise. “En remportant un prix aux Game Awards, vous savez que l’industrie vous a vu”, se réjouit David Walgrave. Selon lui, grâce aux récompenses, obtenues face “aux plus grands”, dont certains noms existent depuis 40 ans, le studio renforce sa crédibilité et va engranger plus d’audience.
Droits d’auteur
Tout n’est pas rose pour autant dans le monde des jeux vidéo en Belgique. Les changements dans le système des droits d’auteur pour les professions créatives posent ainsi “problème”, déplore le responsable de la production. Environ 70 des 90 personnes que son entreprise emploie en Belgique travaillent sur la partie créative du jeu vidéo. “Tout le monde semble être fier que Larian Studios soit une entreprise belge. Mais nous ne pouvons pas être compétitifs en Belgique ni nous attaquer à de grands projets. Avec ces droits d’auteur, nous en étions toutefois un peu plus proches. C’est dommage”, a regretté David Walgrave.
Le travail du personnel de Larian sera en effet systématiquement plus lourdement taxé dans les années à venir. Le personnel créatif gagnera moins pour le même travail, parfois jusqu’à 10.000 euros par an, en raison d’une charge fiscale croissante. Larian Studios est toujours à la recherche de solutions pour faire face à cette situation.
“Certains créent des modèles 3D à partir de rien. Ensuite, un animateur se met au travail. Des sons et des effets doivent également être ajoutés. Ce sont les concepteurs de jeux et les rédacteurs qui s’en chargent. Pour la plupart des personnes qui travaillent ici, nous avons démontré qu’elles pouvaient profiter d’un régime fiscal avantageux“, situe David Walgrave.
Ce régime a également été appliqué à d’autres catégories professionnelles, mais dans une moindre mesure. “Outre les créatifs, il y a les programmeurs. Nous travaillons dans un secteur tellement innovant que certains programmeurs inventent souvent des choses qui n’existent pas encore. Dans un secteur comme celui des technologies de l’information, où il y a une pénurie de personnel qualifié, un employeur doit payer ses travailleurs de manière compétitive”, justifie le responsable de Larian Studios.
La volatilité des gouvernements fédéraux qu’il constate sur une question fiscale aussi fondamentale est particulièrement inquiétante à ses yeux. “C’est un système. Et soudain, ce n’est plus un système.”
La suppression inattendue du régime favorable oblige le studio de logiciels gantois à allouer des ressources supplémentaires pour employer son personnel à Gand. Si cela est faisable pour Larian Studios, ce ne le sera peut-être pas pour d’autres entreprises. “Il est regrettable pour l’ensemble du secteur – et pour tous les créateurs – que ce soient ces derniers qui en fassent les frais”, conclut M. Walgrave.