La finesse de l’IA au service de l’employabilité

Claire Lebarz, Leïla Maidane et Margot Wuillaume, dans leurs entreprises respectives, désirent, chacune, mettre la puissance de l’IA au service de l’emploi et des entreprises. Elles démontrent que ce n’est pas tant l’outil qui compte vraiment que son intégration dans sa vie quotidienne et l’utilisation qu’on en fait.

Trentenaire, Claire Lebarz, aujourd’hui chief technology officer chez Malt, la plateforme leader du freelancing en Europe qui dispose d’une agence en Belgique, a déjà, derrière elle, une carrière impressionnante. Ingénieure, détentrice d’un master en analyse et politique économique, et docteure en philosophie de l’université de Berkeley et de l’École d’économie de Paris, elle fut ainsi, notamment, en charge des datas clients pour Airbnb.

Claire Lebarz,
Pour Claire Lebarz, il existe aujourd’hui en Belgique des modèles de “matching” très efficaces.

Le CV de Leïla Maidane est tout aussi impressionnant. Fondatrice d’InterSkillar, qui vise à l’accompagnement professionnel et au développement des jeunes talents, elle émarge, depuis trois ans, au Top 100 des entrepreneures européennes les plus influentes. Elle siège aussi au conseil d’administration d’Agoria et a été diplômée du programme 40under40, une initiative destinée à promouvoir l’émergence de jeunes entrepreneurs et lancée par des personnalités de haut niveau comme Pierre Gurdjian (président du CA de Solvay), Gaëtan Hannecart (Matexi), Diane Thibaut de Maisières (Neurolead, Sapienti) et Laurent Coulie.

Autrice d’un livre remarquable (Leader NextGen) sur le leadership dans un monde du travail qui change, Margot Wuillaume est la fondatrice d’eBloom, une HRtech qui permet aux entreprises d’être réellement aux prises avec les besoins de ses collaborateurs. Nous les avons réunies toutes les trois pour évoquer l’apport réel de l’IA dans les ressources humaines.

Du “matching” de pointe

Assez logiquement, Malt, qui met en contact les entreprises avec des freelances (70.000 entreprises et 700.000 freelances en Europe !), utilise l’intelligence artificielle au service d’un outil de matching de haut niveau. Depuis l’an dernier, elle a pris un virage supplémentaire en intégrant un modèle de langage.

“L’idée est de définir le métier précis qui correspond à la recherche réelle, explique Claire Lebarz. Un data scientist dans une entreprise n’en est pas un dans une autre. L’IA aide à affiner la demande et aussi l’offre. Chez nous, nous sortons un bon match théorique en quelques secondes désormais. Dans 70 % des cas, ce match se termine par un accord dans les deux heures. Cette agilité et cette vitesse sont cruciales quand on a besoin de talents qui ne sont pas souvent disponibles.”

Cet ajout du modèle de langage entend également casser les biais : âge, genre, ethnie, etc. Mais casser les vieilles habitudes des recruteurs qui recherchent parfois systématiquement les talents issus d’écoles bien précises ou qui sont passés par de grands noms de la consultance.

“L’outil permet aujourd’hui de sortir de ces biais pour se focaliser sur les compétences, poursuit Claire Lebarz. L’idée est de traduire l’expérience. À un freelance, nous ne lui demandons pas ses compétences mais plutôt de décrire, avec détails, les choses qu’il a accomplies. C’est donc un outil bidirectionnel. Nous avons tout développé en interne et j’avais déjà beaucoup travaillé sur le matching chez Airbnb, même si ce n’était pas sur le même sujet. Je dispose d’une équipe très agile qui travaille sur le machine learning. Nous avons pour politique de développer de petits modèles très performants qui sont, du coup, beaucoup plus durables puisqu’ils sollicitent moins les data centers. Les clients sont très sensibles à cet argument aujourd’hui. Nous constatons d’ailleurs une forte progression dans les demandes pour les profils dits environnementaux et pour ceux capables de gérer des transformations sur une durée allant jusqu’à 18 mois.”

Des ressources sous-utilisées

Ce qui frappe quand on écoute Claire Lebarz, c’est qu’il existe, aujourd’hui, en Belgique, des modèles de matching très efficaces. Comme ceux aussi que Superlinear (ex-Radix), une scale-up belge, a développés pour le VDAB, l’office flamand de l’emploi. Or, du côté francophone, ni Actiris ni le Forem ne disposent encore d’un tel outil basé sur l’IA.

“J’ai été soutenue par Bernard Clerfayt et la Région bruxelloise, confie Leïla Maidane. Nous aurions pu collaborer avec Actiris mais ce sont les données du VDAB que nous avons pu utiliser pour entrainer nos modèles sur les compétences des jeunes. Il n’y a pas de porte d’entrée chez Actiris, c’est dommage, alors que nous collaborons avec la Cité des Métiers. La Région bruxelloise a finalement beaucoup à perdre avec l’absence de passerelles, dans de nombreux domaines, entre les start-up et leurs produits innovants, et les institutions publiques.”

Comme Malt, InterSkillar se focalise sur les compétences réelles plutôt que les diplômes. La scale-up entend être le Robin de Batman et permettre aux jeunes de trouver leur voie sur le marché de l’emploi. Un domaine crucial quand on examine les chiffres du chômage des jeunes générations. Elle dispose de plusieurs outils dont certains étudient la personnalité ou recommandent les bons jobs. Elle travaille sur un algorithme destiné à proposer des parcours de formation et vient de lancer un outil de mentorat. L’idée est de proposer de l’expertise de professionnels confirmés et de les mettre en contact, avec une adéquation parfaite en termes de culture et de personnalité, avec des jeunes sur des domaines divers. Ce sont des sessions en ligne courtes (trois fois une heure ou une heure et demie) et ciblées.

Plus de linéarité de carrière

Leïla Maidane (InterSkillar) – “Les entreprises belges, qui restent très conservatrices, doivent comprendre qu’il n’y a plus de linéarité de carrière : une expérience équivalente vaut un diplôme.”

“J’ai 33 ans, mais je travaille depuis mes 14 ans, poursuit Leïla Maidane. En 20 ans, j’ai dû avoir 15 titres différents de métier, alors que je suis toujours la même personne. Il faut faire comprendre aux entreprises belges qui restent très conservatrices qu’il n’y a plus de linéarité de carrière et ouvrir leurs esprits : une expérience équivalente vaut un diplôme. C’est d’autant plus vrai en période de pénurie de talents. Vous avez compris que nous travaillons peu pour des institutions publiques ou parapubliques. Pour cette question de diplôme qui agit aussi sur le salaire et les barèmes.”

Dans cette optique, Claire Lebarz insiste fortement sur le rôle de la formation en alternance et de l’expérience pratique. Elle engage plus de profils français que belges car cette formation n’est pas assez développée chez nous. C’est le même souci avec les stages en entreprises pendant les études.

“Chez Agoria, nous discutons beaucoup de cette formation pratique, confirme Leïla Maidane. La Belgique tend à mieux valoriser les universités que les hautes écoles qui ont pourtant un cursus plus pratique et des stages de fin d’étude plus longs. Ces stages montrent aux jeunes la réalité de la vie en entreprise et les y préparent. Nous constatons aussi chez InterSkillar que les jeunes que nous avons placés et qui ont eu la chance de rejoindre les programme du genre Young Graduates dans de grandes entreprises s’adaptent très bien. Cela a un coût, certes, mais c’est très efficace.”

L’enjeu crucial de la rétention

Bien s’adapter et rester, tel est tout l’enjeu d’eBloom, qui vise à créer au sein des entreprises clientes, la culture et le leadership qui leur permettent de répondre aux besoins actuels des collaborateurs, diminuer l’absentéisme, créer des environnements épanouissants et rester attractives. En résumé, elle a pour vocation de stimuler l’engagement des employés.

“Notre plateforme soutient le développement d’une culture du feed-back et d’un esprit participatif, explique Margot Wuillaume. Il existe un espace collaboratif qui permet de propager des idées et nous encourageons nos clients à faire des sondages (trois questions) toutes les semaines. Nous collectons énormément de datas que nous exploitons via un dashboard qui donne à la direction une bonne idée sur la santé de leurs équipes et sur le développement des leurs compétences.”

Margot Guillaume de la société eBloom

eBloom vient de recruter un profil pour y ajouter de l’IA et de lancer une levée de fonds de 500.000 euros à cet effet. “Nous utilisons déjà l’IA mais pas dans notre outil. Pourquoi ? Parce ce que c’est un levier important qui doit rester au service du client et avoir une véritable valeur ajoutée. Il faut faire cela de façon responsable, notamment pour des raisons de durabilité. Nous travaillons sur plusieurs axes. D’abord l’aide aux managers d’équipe sur qui reposent énormément de responsabilités désormais. Leur direction leur demande beaucoup sans qu’ils soient réellement formés pour cela. Nous avons les datas, l’idée est donc d’utiliser l’IA pour faire des suggestions sur des actions à mener au quotidien pour augmenter le bien-être dans leurs équipes.”

L’IA doit nous permettre d’ajouter un outil de performance qui permette des évolutions fines de carrière et une véritable mobilité interne. – Margot Wuillaume

Ajouter un outil de performance

L’entreprise de Margot Wuillaume ambitionne de devenir la référence en termes de soutien à 360 ° : rétention, engagement et performance. “L’IA doit nous permettre d’ajouter aussi un outil de performance qui permette des évolutions fines de carrière et une véritable mobilité interne. C’est clairement le souhait de nos clients qui sont typiquement des PME entre 100 et 300 personnes en pleine croissance. Elles craignent, en grandissant, de perdre la proximité des débuts. C’est particulièrement vrai chez celles qui comptent des profils qui ne sont pas au bureau. Elles veulent faire le lien entre ces profils avec les équipes au siège et le maintenir. Je dis toujours qu’eBloom est un moyen d’écouter ceux qu’on n’entend pas.”

Les unes comme les autres entendent que l’IA demeure un outil au service des employés et pas une obligation. “Nous sommes une HRTech et expérimentons beaucoup notamment via nos outils internes, conclut Claire Lebarz. L’intelligence artificielle demande de réapprendre son métier. Ce qui m’intéresse moi, c’est de mettre un outil à disposition et de voir ce que nos employés en font pour réinventer leur métier, pour l’intégrer dans leur quotidien. Je n’ai pas vocation à imposer.

Huit pour cent des employés sont des changemakers. Ce sont eux qui réinventent les workflows de l’entreprise par leur intégration intelligente de l’IA. Nous avons un système interne lié à la rétention et au matching des compétences. Nous nous en servons pour la mobilité interne. Pour mieux comprendre les ponts réels et casser les habitudes. Pourquoi quelqu’un employé dans le département juridique ne serait-il pas dans son environnement dans le commercial ? Des clients sont intéressés par notre outil évidemment.” 

L’intelligence artificielle est présente dans la plupart des secteurs, ou presque, avec ses partisans et ses détracteurs, mais quel est son impact?

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