Jusqu’à 80.000 euros d’amende pour un youtubeur: le conflit entre la protection de la vie privée et la transparence loin d’être résolu
Une amende colossale, pouvant aller jusqu’à 80.000 euros, attend le célèbre Youtuber flamand Acid parce qu’il ne rend pas son adresse publique sur les réseaux sociaux.
Nathan Vandergunst est un Youtubeur et influenceur très célèbre dans le nord du pays, sous le nom d’Acid. Ce dimanche, il a publié une vidéo qui fait du bruit. En cause : il a reçu un procès-verbal de l’Inspection Économique du SPF Économie lui faisant part de manquements. Une proposition de transaction suivra. Les amendes peuvent aller jusqu’à 80.000 euros. Il indique qu’il ne paiera pas et qu’il ne publiera pas son adresse.
On lui reproche de ne pas avoir publié son adresse sur ses réseaux sociaux. C’est que comme personnalité numérique, il est payé pour faire de la publicité en ligne. Il est donc vu comme un “prestataire de services de la société de l’information” et il est considéré comme une entreprise-personne physique. En cette qualité, lui comme d’autres Youtubeurs et influenceurs doivent disposer d’un numéro d’entreprise et d’une adresse de contact. Et ces informations doivent être communiquées sur leur site web et leurs réseaux sociaux (en “bio”).
Harceleurs
La règle est pensée comme une mesure de transparence, pour protéger les clients et consommateurs. Mais le hic, c’est qu’elle peut être dangereuse pour les créateurs de contenu, car il s’agit souvent de l’adresse de leur domicile.
“Pourquoi est-ce qu’ils ne le comprennent pas ? Une Miss Belgique qui est sur Instagram et qui est une influenceuse, des mannequins… elles peuvent alors être harcelées tous les jours. C’est exactement la raison pour laquelle les Pays-Bas, la France et l’Allemagne n’ont pas adopté cette mesure”, explique Acid dans sa vidéo. Le risque est en effet que des personnes mal-intentionnées viennent stalker ces personnalités numériques, menaçant leur intégrité physique et psychique. Acid pourrait par exemple devoir craindre des représailles. Dans l’affaire Sanda Dia, un étudiant mort lors d’un baptême du cercle de la KULeuven Reuzegom, il avait publié les noms des personnes inculpées. La justice les avait condamnées à une légère peine de travaux d’intérêt général, mais n’a pas communiqué leurs noms.
“Peut-être que je vais devoir mettre mon adresse en ligne et filmer ce qu’il va arriver, pour montrer que ce n’est pas sûr. Parce qu’en Belgique, il faut toujours qu’il arrive quelque chose avant qu’on ne comprenne que ce n’est pas une bonne idée”, se demande-t-il ironiquement.
Bref, Vergunst ne veut pas en rester là. En plus de ne pas payer l’amende et de ne pas publier son adresse, il annonce vouloir porter plainte contre l’autorité fédérale, pour atteinte à la vie privée. L’affaire, qui avait commencé il y a un an avec l’envoi d’un avertissement à Acid mais aussi à d’autres stars du net, comme Average Rob, semble loin d’être terminée.
Quelle solution ?
Il y a donc un conflit entre le devoir de transparence des entreprises et la protection de la vie privée des personnalités numériques. Une solution envisagée par Eva De Bleecker, ancienne secrétaire d’Etat à la Protection des consommateurs, était que les créateurs de contenu se regroupent et indiquent une adresse commune. Dans la foulée de l’avertissement envoyé en juin dernier, la FeWeb, fédération des professionnels du web, a mis sur pied une solution, de concert avec le ministère de l’Economie et De Bleecker, pour que les influenceurs puissent utiliser son Centre d’Affaires comme adresse.
Mais dans la lettre reçue par Acid, il est écrit qu’une telle adresse commune, ou celle d’un centre d’affaires ne serait pas possible, car il n’y exerce pas son activité – il tourne ses vidéos dans sa chambre à coucher, comme bon nombre de membres de la profession. Qu’utiliser une telle adresse ne soit pas possible surprend un expert du marketing digital, Maarten Kesteloot d’Influo, relayé par la VRT. Lui aussi souligne que les pays voisins ont pu trouver une solution dans ce conflit, qui protège les personnalités.
Indiquer une adresse virtuelle ou une adresse de boîte postale n’est pas possible non plus, indique le Youtubeur en lisant le procès-verbal. C’est une solution que Bpost propose pour des entreprises ou des particuliers, justement pour récupérer du courrier en toute discrétion ou pour externaliser ce service. Elle ne peut cependant pas compter comme siège social et juridique d’une entreprise.
Une piste pourrait être de passer par une société de domiciliation, où l’on peut enregistrer son siège social Celui sert donc aussi de point de contact. Youtubers et influenceurs peuvent également louer un studio pour enregistrer leur contenu et l’utiliser comme adresse légale de leur entreprise. Mais cela engendre des frais supplémentaires.
Pas que les Youtubeurs et Instagrameurs
Au-delà des personnalités des réseaux sociaux, tous les indépendants et autres entreprises-personnes physiques peuvent d’ailleurs se plaindre d’une certaine violation de leur vie privée. Nombre d’entre eux utilisent en effet leur adresse personnelle et leur numéro de téléphone privé pour exercer leur activité. Ceux-ci sont enregistrés sur la Banque Carrefour des Entreprises et publiquement accessibles… ce qui permet un ballet incessant d’appels et de courriers de démarchage publicitaire. Là aussi, à côté du devoir de transparence, la publicité des informations ouvre la porte à des dérives.
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