Jean-Michel De Waele (ULB) : « Il y a une régression de l’exigence entre le Qatar et l’Arabie Saoudite »

© Belga
Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances  

L’Arabie Saoudite serait-elle « the new place to be » sur la planète foot ? Après Ronaldo, Benzema et Kanté, c’est au tour de Neymar d’embrasser la Saudi League, le championnat de football saoudien.

La star brésilienne vient en effet de rejoindre le club d’Al-Hilal pour un salaire astronomique de 100 millions d’euros par an – et toute une série de petits caprices – dans une compétition sans doute peu attractive sur le plan sportif, mais qui sera toutefois retransmise chez nous sur l’application DAZN Eleven.

Une réalité médiatique qui a poussé Jean-Michel De Waele, sociologue du sport à l’ULB et spécialiste de la géopolitique du football, à oser ce tweet sarcastique : « On est dans une période où diffuser la Saudi League, totalement contrôlée par un des régimes les plus répressifs au monde, ne suscite aucun débat, aucune gêne ! Les valeurs du sport sans doute ! »

Pourquoi cette sortie, Jean-Michel De Waele ?

Je m’étonne que la retransmission de ces matchs par DAZN Eleven ne fasse l’objet d’aucune réflexion, d’aucun débat… Comme si c’était une évidence ! Or, pour moi, ce n’est pas une évidence de diffuser des matchs qui appartiennent à un état qui viole les droits humains, qui soutient le terrorisme et dont l’homme fort a du sang sur les mains (cfr l’assassinat de l’opposant Jamal Khashoggi, Ndlr). Je suis extrêmement déçu de la part des médias car j’ai le sentiment qu’il y a une régression de l’exigence entre le Qatar et l’Arabie Saoudite. A l’occasion de la Coupe du Monde au Qatar, beaucoup se sont indignés des conditions de travail dans ce pays, mais ici, on ne débat même pas des droits humains, ni de la situation des femmes en Arabie Saoudite. C’est assez étonnant que l’on ne se pose pas ces questions.

Vous appelez au boycott ?

Je n’appelle à rien du tout. Personnellement, je ne regarderai pas ces matchs. C’est un spectacle qui ne m’intéresse pas car il ressemble davantage à un cirque ou un combat de catch. Mais ce qui me frappe surtout, c’est cette question : peut-on en débattre ? Aujourd’hui, la presse manque d’esprit critique par rapport à cela. Comment peut-on avoir d’un côté DAZN et la Pro League qui organisent des journées contre la discrimination dans le football et, de l’autre, diffuser des matchs organisés par un pays qui ne respecte pas la diversité ni les droits humains ?

Pensez-vous que le centre de gravité du football mondial est vraiment en train de se déplacer vers le Moyen-Orient ?

Le football se mondialise, se globalise. Cela ne se passe plus seulement en Europe et en Amérique latine. D’autres « puissances » émergent et l’on voit aussi pas mal de progrès en Afrique. L’Europe ne va plus diriger, seule, le football mondial, mais cela dit, je ne pense pas que les dirigeants saoudiens visent aujourd’hui la construction d’une vraie politique sportive. C’est plutôt le côté bling-bling qui les intéresse…

Le football comme outil de « soft power » ?

Je ne pense pas que l’investissement dans le sport, qui est extrêmement coûteux et risqué, peut changer l’image d’un pays. La Chine en est un très bon exemple. Elle a essayé, elle s’est plantée. Par ailleurs, j’attends toujours les études qui me démontreront que l’image du Qatar est meilleure depuis que ce pays a organisé la Coupe du Monde de football. J’ai plutôt l’impression que les gens sont aujourd’hui beaucoup plus sensibles aux droits humains au Qatar qu’ils ne l’étaient avant la Coupe du Monde. Peut-être faudra-t-il attendre de nouvelles exécutions en Arabie Saoudite pour relancer le débat…

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