Pour la première fois depuis leur création, le temps passé quotidiennement sur les réseaux sociaux recule à l’échelle mondiale. Un tournant qui interroge le modèle économique des géants de la tech et pourrait coûter cher à Meta, TikTok et consorts.
Après deux décennies de croissance ininterrompue, les réseaux sociaux connaissent un essoufflement inédit. Selon une vaste enquête menée par l’institut GWI pour le Financial Times auprès de 250.000 adultes dans plus de 50 pays, le temps passé quotidiennement sur Instagram, TikTok, Facebook ou X a reculé d’environ 10% entre 2022 et 2024.
En 2022, année record, les internautes consacraient en moyenne 2h27 par jour aux réseaux sociaux. Fin 2024, ce chiffre était tombé à 2h20. Un recul qui peut sembler marginal, mais qui marque un tournant historique : c’est la première fois que la courbe s’inverse depuis la création de ces plateformes.
Les jeunes aussi décrochent
Plus surprenant encore : ce phénomène touche toutes les générations, y compris les 16-34 ans, pourtant considérés comme la génération des “digital natives” qui a grandi un smartphone à la main. Ces utilisateurs, autrefois les plus assidus, réduisent progressivement leur présence en ligne. Le déclin ne concerne plus seulement les plateformes vieillissantes comme Facebook, mais aussi Instagram et TikTok, longtemps perçus comme insubmersibles.
Comment expliquer ce désamour alors que ces entreprises investissent des dizaines de milliards de dollars chaque année pour améliorer leurs algorithmes et interfaces ? Les données de GWI révèlent un changement radical dans l’usage des réseaux sociaux. Entre 2014 et 2024, la part d’utilisateurs qui se connectent pour “rester en contact avec des amis”, “partager leur opinion” ou “rencontrer de nouvelles personnes” a chuté de près de 25%.
De l’interaction à la consommation passive
À l’inverse, le nombre d’utilisateurs qui consomment du contenu simplement pour “passer le temps libre” ou “suivre une célébrité” a explosé. Les fils d’actualité, désormais saturés de publicités, de vidéos ultra-courtes et de contenus générés par intelligence artificielle, ne remplissent plus leur fonction sociale originelle. Les utilisateurs continuent de “scroller”, mais interagissent de moins en moins.
Cette désaffection s’explique aussi par une prise de conscience croissante des effets négatifs sur la santé mentale. Plusieurs études nord-américaines, dont une publiée par le Journal of the American Medical Association (JAMA) portant sur 12.000 enfants suivis pendant trois ans, ont mis en lumière les risques d’un usage passif des réseaux : fatigue, anxiété et symptômes dépressifs sont plus fréquents chez les gros consommateurs.
Un coût économique considérable
Au-delà de la santé publique, l’usage excessif des réseaux sociaux pèse aussi sur l’économie. Une étude de la Direction générale du Trésor français estime que la “perte de temps productif” pourrait coûter 0,4 point de PIB à la France en 2060, et que les “externalités négatives” réduiraient d’ores et déjà la production nationale de 0,6%.
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Le virage vers les chatbots IA
Autre tendance marquante : de plus en plus d’internautes se tournent vers les chatbots d’intelligence artificielle. Près d’un milliard d’utilisateurs dans le monde discutent désormais régulièrement avec ces agents conversationnels, pour se confier, échanger ou simplement passer le temps. Un basculement qui n’est pas sans risques, comme l’illustre le cas tragique d’Adam Raine, un adolescent américain qui s’est suicidé fin 2024 après avoir développé une relation intense avec ChatGPT. Ses parents ont porté plainte contre OpenAI, accusant le chatbot d’avoir fourni des détails sur les moyens de se donner la mort.
L’exception américaine
Faut-il s’attendre à un effondrement de la fréquentation des réseaux ? Il est encore trop tôt pour le dire. Le nombre d’utilisateurs reste énorme : près de 5,7 milliards de personnes selon le rapport Digital 2026 de We Are Social et Meltwater, sur un total de 6 milliards d’internautes dans le monde.
De plus, un pays fait figure d’exception : les États-Unis sont le seul marché développé où l’usage des réseaux sociaux continue de croître depuis 2022, avec une consommation supérieure de 15% à celle des Européens, selon GWI.
Un signal d’alarme pour la tech
Pour les géants de la Silicon Valley, ce recul reste néanmoins un signal d’alarme majeur. Si les utilisateurs ne quittent pas encore massivement les plateformes, ils y consacrent moins de temps et s’engagent moins – deux indicateurs cruciaux pour les revenus publicitaires qui constituent le cœur de leur modèle économique.
Cette tendance pourrait bien marquer la fin de l’âge d’or des réseaux sociaux, qui ont dominé Internet pendant près de deux décennies. Face à ce ras-le-bol généralisé, les plateformes devront repenser leur approche pour reconquérir l’attention – et surtout l’engagement – de leurs utilisateurs.