Paul Vacca
“Fake news”: l’art du flou
Le recours aux anglicismes n’est pas propre à notre époque. Au 18e siècle déjà, l’anglais était très fashionable partout en Europe. Evidemment, aujourd’hui, avec le parler start-up, on frise souvent le bullshit. Mais il n’y a pas lieu de condamner l’usage des anglicismes par principe. Question de choix et de modération.
Leur usage peut se révéler utile lorsqu’ils développent un sens qui n’existe pas dans la langue de destination. Si le mot running, par exemple, n’engendre aucune plus-value sémantique et peut aisément être traduit par ” course à pied “, le mot jogging en revanche développe des nuances dont on trouve difficilement un équivalent dans la langue de Molière, sinon par une périphrase du style ” activité physique pas nécessairement sportive, souvent urbaine, effectuée à vitesse moyenne. ”
Alors que penser de ” fake news “, cet anglicisme qui a fait irruption récemment dans notre débat de société ? Se révèle-t-il indispensable ou bien faut-il lui préférer ” fausses nouvelles ” comme le préconisent certains ? Le problème, c’est que passé en français, cela ne rend absolument pas l’étendue du terme anglais. En effet, fake peut désigner ” faux “, mais aussi ” truqué “, ” factice ” ou ” fabriqué “, qui nous renvoient dans des zones plus grises et pas nécessairement dans une opposition manichéenne à ” vrai “…
D’autres soulignent que l’emploi même d’un anglicisme est trompeur. Que l’appellation fake news serait elle-même une fake news dans le sens où elle induirait de façon fallacieuse qu’il s’agit d’un phénomène nouveau d’essence technologique. Le terme renvoie en effet à des manifestations anciennes du mensonge et de la désinformation. Pour autant, – et le terme anglais l’atteste – c’est le mode de diffusion jusque là inédit : mondial et sans frontière puisque lié à Internet et au fonctionnement des réseaux sociaux. Un terme globalisé pour une réalité globalisée.
Fake news ” devient dès lors le label pour désigner et discréditer ce avec quoi l’on n’est pas d’accord. Un carton rouge que l’on brandit sans que l’on ait même besoin d’argumenter.
D’autres enfin lui reprochent son caractère flou, attrape-tout. Mais le flou qui entoure le terme fake news n’est-il pas justement en symbiose parfaite avec le phénomène qu’il entend décrire ? Le flou du mot renvoie à celui du phénomène qui englobe à la fois la bonne vieille rumeur colportée dans le village devenu mondial mais aussi la croyance personnelle, relayées par les réseaux sociaux, les détournements de contenus antidatées ou maquillés, des publicités mensongères, de la désinformation délibérée jusqu’à la propagande organisée… La nébuleuse fake news va du simple on-dit colporté à la manipulation politique.
Or si le sfumato qui entoure le terme lui permet d’englober efficacement le phénomène, c’est ce qui, dans le même temps, le rend inapte à le combattre. Son côté attrape-tout l’ouvre à tous les usages. Même contre lui. A force de tout couvrir, il couvre tout et son contraire. La preuve : le terme est constamment employé par Donald Trump pour discréditer les paroles adverses. Il a même décerné ses Fake News Awards. Fake news devient dès lors le label pour désigner et discréditer ce avec quoi l’on n’est pas d’accord. Un carton rouge que l’on brandit sans que l’on ait même besoin d’argumenter. Aussi pavlovien que le point Godwin.
Alors, si l’on veut s’attaquer au problème, il faut dissiper le flou qui entoure l’appellation et s’atteler à un travail de définition et de clarté : a-t-on affaire à une rumeur ? A de la désinformation ? A de la propagande ? A un montage… Se livrer à un travail de déconstruction des discours, car chaque cas nécessite une posologie et un traitement différents.
Sans oublier la racine même du phénomène : les réseaux sociaux. Leur nature hybride – réseau social et média – produit structurellement des fake news. Agissant comme des mitigeurs où l’opinion prend la couleur des faits et l’information se mue en états d’âme. Le terrain de jeu idéal pour les populistes de tous poils qui aiment rien tant que déguiser une rumeur en information et transformer une (dés)information en indignation. Le flou leur va si bien. Il va bien falloir un jour que les réseaux sociaux sortent de cette zone floue. Même si l’on sent Mark Zuckerberg plus occupé à jouer la montre, soucieux de préserver le plus longtemps possible son modèle économique fondé sur l’ambiguïté. Car le jour où les réseaux sociaux devront sortir de l’ambiguïté, ce sera évidemment à leurs dépens.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici