En marketing, Instagram n’est plus ce que vous pensiez

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Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

Aujourd’hui, poster de belles photos sur le réseau social n’est plus la technique la plus efficace. Car depuis quelque temps, les usages des membres ont énormément évolué. Ceux-ci utilisent désormais plus la messagerie, les “reels” et les “stories” que le “feed”. Voici ce qui a changé.

Oubliez tous vos réflexes d’utilisation d’Instagram! Si votre entreprise a pris l’habitude, pour son marketing, de miser sur la publication de belles photos dans le feed, cet espace regroupant les clichés partagés par les utilisateurs sur leur compte et qui apparaissent dans le fil des autres, il est temps de se remettre à niveau. Vous n’êtes plus totalement dans le bon.

En effet, le deuxième réseau social le plus populaire de la galaxie Meta, le groupe de Mark Zuckerberg, est probablement celui qui a connu le plus de mouvements ces derniers temps, avec des nouvelles fonctionnalités, de nouvelles tendances, de nouveaux usages.

“Les gens imaginent le plus souvent Instagram comme un feed de photos carrées. Mais en réalité, si l’on observe la manière dont les gens effectuent leurs partages, la plus grosse croissance sur ces cinq dernières années se trouve dans le partage de stories et dans les messages privés.” Voilà le propos révélateur du CEO d’Instagram, Adam Mosseri, dans une interview donnée au podcasteur anglais Harry Stebbings qui ne manque pas d’intérêt pour comprendre à quel point le réseau social a évolué. Le patron y dévoile aussi que les jeunes passent aujourd’hui plus de temps dans la messagerie Instagram que dans les stories. Et plus de temps dans les stories que sur le feed.

Cela signifie que le feed n’est plus que le troisième lieu d’audience sur Instagram. Et donc que ses utilisateurs n’y partagent plus autant leurs moments privés et instantanés comme c’était le cas au début. Aujourd’hui, ces moments-là, ils les échangent via des messages directs ou des stories.

“Les ‘reels’ ont une portée cinq à six fois plus grande et de meilleurs engagements.”

L’impact est majeur. Au point que, selon le patron, l’organisation interne du réseau social a été totalement chamboulée: “Nous avons déplacé énormément de ressources internes vers la messagerie, a admis Adam Mosseri. Je pense avoir mis la quasi-totalité de l’équipe stories sur messaging. Notamment parce que si on retire l’aspect texte, les gens partagent aujourd’hui encore plus de photos et vidéos dans leur messagerie qu’en stories.”

Si pour l’utilisateur, cette évolution ne se remarque pas vraiment, cela n’a rien d’anodin pour les pros des réseaux sociaux et pour tous ceux pour qui la visibilité et les audiences comptent. Entreprises, marques, personnalités, influenceurs doivent désormais changer leur fusil d’épaule s’ils veulent s’assurer un maximum de visibilité. Longtemps, on leur a expliqué comment alimenter le fil d’images avec de chouettes clichés et des images travaillées et pleines d’émotion. Désormais, les agences doivent leur expliquer que les choses ont changé.

Tous sur la vidéo

“Avec l’arrivée et le succès de TikTok, une nouvelle tendance s’est développée, qui ramène les lieux et les personnes au centre des contenus, analyse Mathieu Hosselet, patron de l’agence MKKM. Les utilisateurs préfèrent voir des vidéos avec de l’authenticité, des gens tels qu’ils sont et pas arrangés et mis en scène comme dans Instagram par le passé.” Sans oublier que le réseau chinois de vidéos a popularisé ce nouveau format de courtes séquences verticales.

Avec quelles conséquences du point de vue des entreprises? “Il est important pour les marques de privilégier autant que possible le format vidéo pour les stories, et évidemment les reels(littéralement, les bobines, Ndlr). De préférence en intégrant leurs clients et en les incitant à jouer avec la marque”, répond Pierre Dermine, stratégiste chez MKKM. Et de citer ce resto qui, admettant les chiens, a choisi de partager une vidéo d’un client entrant avec son chien, en le suivant et en lui posant des questions sympas.

Inconvénient: ce format vidéo est forcément un rien plus lourd. “Produire des reels se révèle évidemment moins simple qu’un post, relativement facile à concevoir, surtout quand il s’agit de grosso modo dupliquer des posts Facebook, souligne Jérôme Naif, social media manager au sein de l’agence Mountain View. D’autant que pour devenir vraiment impactant avec des reels, une certaine fréquence est nécessaire: il faut en poster plusieurs par semaine. Pas mal de marques ne sont pas outillées pour cela.”

Pourtant, vidéo et reels prennent très clairement le dessus . “Dans les statistiques, on voit en effet que les reels ont une portée cinq à six fois plus grande et de meilleurs engagements”, note Pierre Dermine, qui soulève une autre statistique observée: “Aujourd’hui, on remarque que les jeunes ouvrent 10 à 20 fois leur appli Instagram juste pour regarder les stories des autres. Certains ne regardent même jamais leur fil d’actualité. D’où l’importance des stories, qu’il faut donc amplifier.”

A fond la vidéo, donc, même si cela peut mener à repenser son fonctionnement et ses budgets. D’autant qu’aujourd’hui, de petites agences peuvent réaliser des montages corrects pour à peine quelques centaines d’euros. Mais attention, tout cela ne signifie pas que partager moins ou seulement des photos n’ait plus de sens. C’est simplement devenu un peu moins impactant.

Moteur de recherche visuel

Un autre usage s’est fortement développé sur Instagram et il ne doit pas faire plaisir à Google: la recherche! Aujourd’hui, les jeunes (mais pas seulement…) démarrent des recherches directement dans Instagram (ainsi que sur TikTok). Il devient dès lors intéressant de s’assurer d’apparaître comme il se doit dans les résultats de recherche d’Instagram.

Le réseau social contient d’ailleurs des pages dédiées qui expliquent le fonctionnement des recherches et qui intègrent les éléments qui permettent de sortir du lot. On y découvre des conseils assez généraux par rapport aux comptes eux-mêmes: “Utilisez un nom de profil et un alias appropriés, incluez des mots-clés et des lieux pertinents dans votre bio…”. Mais aussi un rappel clair pour l’usage quotidien d’Instagram: “Utilisez des mots-clés et des hashtags pertinents dans les légendes. Pour qu’une publication puisse être retrouvée via la fonctionnalité ‘Rechercher’, placez des mots-clés et des hashtags dans sa légende et non dans les commentaires…”

“Les internautes préfèrent de plus en plus obtenir des résultats visuels plutôt que des hyperliens.”

Miser sur les recherches devient donc un enjeu pour les marques et entreprises. “Surtout dès qu’il y a un lieu physique, comme pour un resto, un musée, une ville, détaille Mathieu Hosselet de MKKM. Les acteurs peuvent d’ailleurs en jouer en développant des stratégies pour inciter les utilisateurs à poster des photos ou vidéos, en utilisant les hashtags ou en postant des stories.”

Ainsi, la ville française d’Arcachon a développé un certain nombre de “lieux instagrammables”, comme cette chaise rose géante sur laquelle pas mal de visiteurs se font prendre en photo et où apparaît clairement le nom de la ville. L’idée est claire: proposer de l’insolite que les utilisateurs voudront partager avec leur communauté.

Cela s’applique notamment pour un restaurant, un hôtel ou un lieu culturel parce que “les internautes préfèrent de plus en plus obtenir des résultats visuels plutôt qu’une liste d’hyperliens”, commente Jérôme Naif. Un coup d’œil sur Instagram suffira pour découvrir l’ambiance d’un resto, mais aussi l’allure de ses plats. Au point que certains restaurateurs, par exemple, abandonnent l’idée de créer un site web et misent essentiellement sur un compte Instagram pour toucher leur cible. C’est notamment le cas de Malmö, nouveau resto de fruits de mer du côté de la très branchée place du Châtelain, à Ixelles.

“Cela peut se révéler une bonne alternative aux sites internet, analyse Mathieu Hosselet. Les restaurateurs se choisissent un partenaire pour les réservations de table, s’assurent une présence limitée sur Google, puis développent leur Instagram. Ils épinglent au-dessus de leur feed les infos clés (heures d’ouverture, menu). Puis jouent sur les stories en intégrant des moyens d’engagement (des jauges, des sondages, etc.) et des reels.”

Max de temps en DM

Enfin, dernière autre grande tendance à observer: le développement phénoménal de la messagerie. Le boss d’Instagram le confirmait: le temps passé dans la messagerie par les jeunes est de plus en plus important. Difficile à ce stade d’effectuer son marketing via les DM (direct messaging, messages directs) de l’application, mais nul doute que les équipes du réseau social sont à l’œuvre pour développer de nouveaux outils. D’ailleurs, depuis peu, les utilisateurs d’Instagram reçoivent de plus en plus d’invitations à “rejoindre des canaux de diffusion”.

De quoi s’agit-il? D’une fonctionnalité qui permet à un compte d’envoyer des messages directement dans la messagerie des utilisateurs. Pour le moment, ce sont essentiellement des influenceurs ou des personnalités qui utilisent ces canaux. Soit ils racontent leur quotidien, soit ils choisissent une thématique sur laquelle ils communiquent. Des humoristes partagent leurs blagues ou les meilleures séquences de leur spectacle, d’autres y shootent des infos, des humeurs… Cela ressemble un peu à un fil X (Twitter) unique, sans possibilité de répondre.

L’enjeu? Investir ce nouveau canal de manière intelligente et, surtout, trouver le bon ton et l’angle d’approche pas trop intrusif. Nul doute que ces canaux seront aussi bientôt envahis par les marques.

Malmö: “Instagram donne envie de vivre une expérience”

Lancé en juin 2023, le restaurant de fruits de mer Malmö, près de la place du Châtelain à Ixelles, a investi Instagram depuis fin 2022 en alimentant progressivement le réseau afin de créer sa communauté. Aujourd’hui, près de 3.000 personnes suivent son compte. Instagram est d’ailleurs devenu son principal centre d’information.

“Le site web a un côté obsolète, explique Lakhdar Hamina, cofondateur du lieu avec Stéphane Winkel. Aujourd’hui, on met nos infos sur Google et gérons un compte Instagram. Cela nous permet de centraliser toute l’attention et la communication sur un seul vecteur. Surtout qu’aujourd’hui, tous les foodies, même s’ils ont 65 ans, sont sur Instagram. C’est facile, visuel et bien plus attractif de photographier un lobster roll ou le plat de la semaine que d’en parler. C’est ce que cherchent les gens. De plus, Instagram permet de mieux partager l’ambiance du resto, la vie des équipes, etc. La force d’Instagram? Donner envie de vivre une expérience.”

Pour y parvenir, le restaurateur s’adresse à une agence. “On pourrait le faire nous-mêmes mais c’est comme la salle de sport: au début, on le fait et puis on laisse progressivement tomber.” Il gère néanmoins lui-même la messagerie: “Les gens adorent qu’on leur réponde rapidement. Parfois, ils ont des questions sur les allergies et aiment poser directement des questions à quelqu’un”.

Pour Malmö, le restaurateur ne prend pas de réservations. Mais pour son autre restaurant, Verigoud, les clients peuvent même passer par la messagerie d’Instagram pour réserver. Pour le resto de fruits de mer, il prévoit un budget total d’un peu plus de 1.000 euros par mois pour l’animation du compte Instagram. “C’est une certaine somme mais dans les pays anglo-saxons, payer pour la gestion d’un compte Instagram n’est même plus une question: cela fait partie du business, alors qu’en Europe, on y consacre peu de budget.” Voilà qui semble changer…

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