Paul Vacca
En 1615, il y avait déjà des “fake news”
S’il fallait encore se convaincre que la problématique des fake news – qu’il s’agisse de légendes urbaines, de rumeurs, de théories du complot, de propagande, etc. – n’est pas nouvelle, il suffit d’ouvrir le IDon Quichottede Cervantès qui, rappelons-le, date de 1615.
Au chapitre VIII, il y a le célébrissime épisode où le héros, fièrement installé sur sa Rossinante, sonne la charge contre des moulins à vent qu’il prend pour des géants car, selon lui, le monde entier est organisé comme un roman de chevalerie. Et dans ces romans, les chevaliers s’attaquent tout naturellement à des géants. Sancho Pança, plus terre-à-terre, lui fait aussitôt savoir qu’il s’agit de moulins à vent et que ce que don Quichotte prend pour des grands bras ne sont en fait que des ailes qui font tourner la meule qui mout le grain quand le vent les pousse. Imparable. Mais le chevalier ne veut rien entendre : il ne reculera pas devant le danger. Une fois son maître envoyé à terre par une des ailes, Sancho revient à la charge : il lui avait dit que c’était des moulins ! Et don Quichotte de fulminer : peut-être, mais c’est parce que l’enchanteur Freston a transformé les géants enmoulins pour lui ravir l’honneur de les avoir vaincus !
Cervantès soulignait déjà les défaillances du fact checking : lorsqu’un fait avéré vient contredire une de nos opinions, nous ne changeons pas nécessairement d’opinion ; nous l’adaptons. On peut lire le Don Quichotte en entier comme une expérimentation sur la diffusion des croyances. Comment les opinions, même les plus absurdes – en l’occurrence ” le monde est un roman de chevalerie ” – peuvent se propager dans l’espace social. Prenons Sancho Pança : sûr de son bon sens paysan, il ne souscrit pas à la vision chevaleresque de son maître… sauf quand cela sert ses intérêts. Celui-ci lui a en effet promis de lui faire don d’un royaume.
C’est évidemment une des forces comiques du roman : comment l’entourage, et en premier lieu Sancho Pança, réagit aux fake news de don Quichotte. C’est également un message universel et intemporel car on a tous quelque chose en nous de Sancho Pança. Notamment sur les réseaux sociaux : il nous arrive de relayer des opinions sans nous soucier de savoir si elles soient fondées ou non, simplement parce qu’elles rejoignent nos intérêts – professionnels, partisans, image de soi… – et viennent conforter ce en quoi nous croyons déjà.
Il nous arrive de relayer des opinions sans nous soucier de savoir si elles soient fondées ou non, simplement parce qu’elles rejoignent nos intérêts.
“Crédulité & Rumeurs “,sorti cette année aux éditions Le Lombard, traite justement de cette problématique. Ce court essai graphique du sociologue Gérald Bronner et du dessinateur Krassinsky est destiné aux adolescents. Il devrait aussi être mis entre les mains des adultes. Il analyse comment nos deux réseaux – celui d’Internet et celui de nos neurones – combinent leurs effets pour nous aider à souscrire (ou simplement à relayer) à une croyance telle qu’une légende urbaine ou une théorie du complot. Il met à nu les mécanismes de production de ces croyances en se basant sur les rumeurs qui circulent couramment sur Internet, comme celles concernant le 11 Septembre, les vaccins ou les attentats de Charlie Hebdo (notamment sur la couleur des rétroviseurs de la voiture des frères Kouachi). Ce faisant, les deux auteurs mettent au jour les défauts d’argumentation – les ” biais ” – qui apparaissent comme autant d’illusions de rationalité : biais cognitifs ou de confirmation, effets des bulles cognitives, etc. Au-delà du fact-checking, la vérification des faits, cet ouvrage offre une première boîte à outils précieuse pour débunker les fake news. C’est ainsi que l’on désigne aujourd’hui la démarche qui consiste à démonter le trompe-l’oeil argumentatif qui sous-tend les croyances en scrutant les biais, les erreurs ou les raccourcis qui le composent. Un travail sisyphéen car, tous les jours, en apparaissent de nouvelles.
Par bonheur, il arrive que des mystificateurs se chargent eux-mêmes du travail. Comme dans cet épisode délicieux concernant la Flat Earth Society (oui, une organisation qui soutient depuis 1956 que la Terre est plate !). Dans un tweet (disparu depuis), elle se serait vantée de ce que ” la Flat Earth Society possédait des membres tout autour du globe “… Imparable.
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