Paul Vacca
Eloge de la réunion classique à l’âge de Zoom
Au fond, le véritable progrès serait de résoudre le mystère même de l’efficacité des réunions en entreprise.
Qui se souvient encorede la réunion, cette activité qui consistait à enfermer des gens dans une salle pour un laps de temps variable dans le but d’échanger des informations, s’organiser ou trouver des idées en commun? Son utilité fut toujours un mystère, a fortiori quand ont commencé à se développer des outils collaboratifs. Souvent, sa seule avancée concrète se réduisait, disait-on, à fixer la date d’une autre réunion, générant ainsi sa propre perpétuation appelée “réunionnite”. C’était aussi le lieu du simulacre du pouvoir avec sa commedia dell’arte et ses jeux de rôle hiérarchiques. Bref, unanimement détestée, la réunion était un fléau dont les entreprises, malgré tous leurs efforts, ne parvenaient pas à se débarrasser.
Au fond, le véritable progrès serait de résoudre le mystère même de l’efficacité des réunions en entreprise.
Heureusement advint la pandémie qui fit le job: la réunion fut annulée. Zoom (et toutes les plateformes de visioconférences dont Zoom est devenu l’antonomase) arriva comme le messie pour nous aider à maintenir le lien rompu. Comme la panacée, aussi: on découvrait la réunion… sans ses défauts. L’efficacité était possible. Au point que certains jurèrent que dans le “monde d’après”, ils continueraient quoi qu’il en soit de “zoomer”.
Mais après la lune de miel, vinrent quelques signes de désamour. La praticité même de l’outil produisit sa propre prolifération. On pourrait parler de “Zoomite” ou “Zoomporn”: le fait d’enchaîner des réunions non-stop. D’autant que, contrairement à la réunion dans la vraie vie, on peut se rendre disponible pour Amsterdam, Bruxelles, Tokyo ou Clermont-Ferrand en un seul clic. Puis, les effets pervers de l’outil lui-même se firent sentir, que l’on a désignés sous le terme de “Zoom fatigue”. A savoir les imbroglios causés par les troubles des signaux perceptifs dus à la technologie elle-même: le silence de l’interlocuteur est-il d’ordre technique ou voulu? Son visage soudain sans expression est-il l’effet de son désaccord ou d’un bug? Sans parler des micro-retards, du son qui vrille et des voix qui se superposent, n’aidant pas toujours à la compréhension…
On s’est retrouvé soudain plongé dans une série en V.O. non sous-titrée dans une langue que l’on ne maîtrise pas bien. Pas totalement étrangère mais pleine d’étrangetés où l’on passe le plus clair de son temps à essayer de raccommoder les morceaux pour suivre l’intrigue. Bref, l’espéranto de Zoom, c’est le quiproquo.
La transparence ne s’est par ailleurs pas améliorée: si l’on a perdu le côté théâtral, c’est pour plonger dans les codes de la téléréalité avec les gros plans de visages et l’image de soi omniprésente… Ni l’horizontalité: la visioconférence codifie encore plus les liens hiérarchiques, par la distribution centralisée de la parole notamment, à la discrétion de l’organisateur . Ni la liberté: sur Zoom, on frise le panoptisme. Ce qui a fait dire à Stefana Broadbent, une anthropologue qui enseigne à Londres, que Zoom donne l’impression d’avoir été conçu par un ingénieur des années 1950 pour des pratiques de management d’aujourd’hui.
Ce scénario est un classique du numérique: l’élan libérateur d’abord, puis l’effet révélateur où l’on prend conscience de ce qui nous semblait aller de soi auparavant. Notamment le fait que l’utilité de certaines réunions réside parfois dans leur inutilité apparente, dans ce qui se joue dans le hors-champ de la réunion. Ce qui précisément échappe à Zoom.
Au fond, le véritable progrès serait de résoudre le mystère même de l’efficacité des réunions en entreprise. Car si l’on s’accorde pour admettre, disons, qu’une seule réunion sur 10 s’avère véritablement utile, le problème reste toujours de savoir laquelle c’est. En tout cas, pour l’heure, Zoom n’y a pas apporté de solution satisfaisante.
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