EDIC Digital Commons : la riposte européenne à la dépendance numérique américaine dont ne fait pas encore partie la Belgique

La ministre Vanessa Matz (Engagés) s'attaque à un tabou.
Vincent Genot
Vincent Genot Coordinateur online news

Tandis que les États-Unis dictent encore la cadence du numérique mondial, la France, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas lancent l’EDIC Digital Commons, un consortium européen destiné à bâtir des infrastructures numériques souveraines et ouvertes. La Belgique, encore observatrice, soutient l’initiative tout en développant sa propre stratégie nationale, notamment dans le cloud et l’intelligence artificielle.

Alors que 80 % des infrastructures et technologies numériques utilisées sur le continent proviennent encore de fournisseurs non européens, la France, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas lancent l’EDIC Digital Commons. Ce nouveau consortium, approuvé par la Commission européenne, marque la volonté de certains Etats membres de reprendre la main sur leurs infrastructures numériques et de construire un modèle technologique fondé sur les valeurs européennes, à savoir l’ouverture, la transparence et la souveraineté.

Comme le signale la Commission européenne, les autres Etats membres pourront rejoindre le consortium à tout moment, selon « des conditions équitables et raisonnables». « La Belgique participe comme observateur (une décision du précédent gouvernement, prise en 2023) et soutient les initiatives qui renforcent les capacités numériques européennes, explique le cabinet de la ministre Vanessa Matz, en charge, entre autres, de l’Action et de la Modernisation publiques, du Numérique et de la Politique scientifique. » Au-delà de ce rôle d’observateur, le pays développe également ses propres outils. « La ministre travaille avec ses services à une stratégie fédérale en matière de cloud computing pour les services publics. Cette stratégie vise à assurer une mise en œuvre cohérente des solutions cloud au sein du gouvernement, avec une attention particulière portée à la sécurité des données, à l’interopérabilité des applications et à la maîtrise des coûts. »

Basé à Paris, où il aura son siège statutaire, l’European Digital Infrastructure Consortium (EDIC) constitue un outil juridique et politique permettant aux Etats membres de concevoir, déployer et gérer ensemble des infrastructures numériques transfrontalières. Il s’agit du premier cadre de ce type doté d’une gouvernance partagée et d’une personnalité juridique propre. Selon le gouvernement français, l’objectif est de mutualiser les ressources publiques, de mobiliser les écosystèmes techniques et académiques et de créer des alternatives ouvertes aux solutions américaines dominantes, qu’il s’agisse du cloud, de l’intelligence artificielle (IA), de la cybersécurité ou des outils collaboratifs. En matière d’iA, le cabinet Matz signale que la ministre « inscrit aussi la Belgique dans les stratégies européennes pour renforcer la compétitivité et l’autonomie, nationale et européenne. La candidature belge pour une antenne IA, pilotée par la ministre, a d’ailleurs été acceptée par l’Europe. Grâce à cette antenne, la Belgique rejoint le réseau européen pour l’intelligence artificielle. Elle mettra à disposition des pouvoirs publics, des entreprises et des chercheurs une puissance de calcul haute performance, afin de leur permettre de tirer pleinement parti des avantages de l’IA ».

Une première réponse politique à la dépendance technologique

Derrière les formules institutionnelles se dessine un changement de rapport de force. L’Europe, longtemps spectatrice des batailles technologiques entre géants américains et asiatiques, cherche désormais à construire ses propres infrastructures critiques, selon ses propres règles. Pour la Commission européenne, cette initiative répond à une urgence : la dépendance structurelle de l’Union à des acteurs extra-européens, qui fragilise à la fois son économie et sa démocratie.

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L’EDIC introduit une nouvelle manière de coopérer en Europe : une interface entre acteurs publics et privés, conçue pour rapprocher l’offre et la demande en matière de solutions numériques. Son fonctionnement repose sur une assemblée des États membres, un comité stratégique et un directeur chargé de coordonner les parties prenantes. Les logiciels développés dans ce cadre seront par défaut en open source, conformément au principe de transparence et de réutilisation promu par la Commission. Parmi les premiers chantiers annoncés : la création d’un “One-Stop-Shop” et d’un centre d’expertise européen d’ici 2027, ainsi qu’un rapport annuel sur l’état des communs numériques. Une plateforme de financement et un Digital Commons Forum viendront soutenir la montée en puissance de l’écosystème.

Vers une souveraineté numérique européenne ?

La création de l’EDIC Digital Commons ne résout pas tout, mais elle trace la direction d’une Europe capable de concevoir et de gouverner ses outils numériques sans dépendance extérieure. Dans un contexte marqué par la domination des géants du cloud américains (AWS, Microsoft Azure, Google Cloud)et par la montée en puissance des acteurs chinois, cette initiative s’apparente à une première réplique collective. Le lancement officiel du consortium est prévu le 11 décembre à La Haye. D’ici là, d’autres États, dont le Luxembourg, la Slovénie et la Pologne, ont déjà manifesté leur intérêt.

Plutôt que d’opposer un « GAFA européen » aux géants existants, les Etats fondateurs misent sur un modèle coopératif, ouvert et interopérable. Si elle parvient à fédérer durablement les États membres et à mobiliser les entreprises autour de projets concrets, l’EDIC pourrait bien devenir le premier véritable levier de souveraineté numérique européenne. Encore faut-il que la dynamique dépasse les déclarations d’intention et s’inscrive dans la durée. L’histoire du numérique européen en est pleine. Mais cette fois, le mouvement semble lancé. Pour la première fois, l’Europe ne se contente plus de réguler les géants étrangers, elle commence à construire ses propres infrastructures.

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