Comment l’Europe peut-elle rattraper le train de l’intelligence artificielle ?
Face aux investissements colossaux réalisés par les géants américains de la tech pour développer l’intelligence artificielle (IA), quelle place peut encore prendre l’Europe, actuellement en retard ? Les spécialistes d’EY Fabernovel partagent leurs réflexions.
L’Europe semble encore chercher sa voie dans le domaine de l’intelligence artificielle. Alors que les États-Unis consolident leur avance avec des initiatives comme le projet Stargate à 500 milliards de dollars et les 200 milliards injectés par les GAFAM et Oracle en 2025, et que la Chine part à l’offensive avec Deepseek, que peut faire l’Europe pour rester dans la course ? Yaël Cohen-Hadria, avocate associée EY, et Cyril Vart, associé EY Fabernovel, imaginent des pistes et dressent des recommandations.
Ils constatent que les grands modèles de langage (LLM) développés par des acteurs comme OpenAI, Google ou Microsoft sont capables de « réaliser des tâches générales comme un compte rendu de réunion, l’analyse des tableaux de bord, etc., applicables pour de nombreux pays et métiers. Mais quand il s’agit de faire de la dentelle, sur des résolutions de tâches plus spécialisées dans un secteur ou un métier précis, ces géants sont moins présents, leur modèle n’étant pas calibré pour. » Par exemple, un modèle d’IA comme ceux de ChatGPT restera moins performant pour aider un juriste en droit français ou pour optimiser les encaissements de TVA d’une entreprise en Belgique ou en Europe. « Moins rentable pour ces géants, travailler sur la couche haute de l’IA est pourtant une stratégie qui peut s’avérer gagnante pour se différencier et créer de la valeur, soutiennent les deux experts. Et si la recette de l’IA générative pour l’Europe venait d’alliances et d’innovations sur cette couche applicative ? »
Voilà l’opportunité pour l’Europe : développer des IA calibrées pour des usages très spécifiques, répondant aux besoins précis des industries et des métiers. « Se démarquer par des IA verticalisées et spécialisées permet non seulement de commodiser les grands LLM et d’acquérir une relative indépendance vis-à-vis des géants qui auraient le rôle de “simples” canaux, tout en créant de la valeur pour l’utilisateur final, poursuivent de concert Yaël Cohen-Hadria et Cyril Vart. Certes, on ne peut pas se passer, à date, des géants, mais il faut relativiser ce besoin en créant un jeu d’alliances en tant que prestataire de LLM ainsi que les futures innovations d’usages qui seront les plus pertinentes pour les entreprises. Là est la valeur ajoutée, là est le modèle économique attractif pour les entreprises qui elles aussi ne veulent plus être “captives” d’un géant. In fine, une stratégie qui permet aussi de reprendre la main en matière de souveraineté et sur les futurs usages. »
Protéger l’ancrage européen et retenir les start-up
Les deux experts constatent aussi que si les États-Unis s’appuient sur une dérégulation agressive pour encourager l’innovation, l’Europe mise, elle, sur un cadre législatif fort. Avec des initiatives comme l’AI Act, le Data Act ou le Data Governance Act, l’Union européenne met en avant un modèle d’IA éthique et responsable. Toutefois, cette régulation, si elle protège les citoyens et les entreprises, doit s’accompagner de mesures pour éviter que les start-ups locales ne soient rachetées par des géants étrangers. « Être financée et sponsorisée en Europe pour ensuite être rachetée par une entreprise hors UE, c’est du gâchis ! La R&D ne doit pas être la seule qualité de l’Europe… car elle ne rapporte que la gloire mais pas les bénéfices. D’autant qu’avec un dollar fort, nos jeunes pousses européennes et françaises s’avèreront en 2025 d’excellents investissements susceptibles de tomber sous pavillon de l’Oncle Sam pour continuer dans la stratégie de la “toute-puissance”. »
L’interdiction des rachats stratégiques par des entreprises extra-européennes pourrait être renforcée, selon eux, afin de conserver la propriété intellectuelle et les bénéfices économiques sur le continent. Par ailleurs, il est crucial de simplifier l’accès aux financements pour les jeunes pousses européennes et d’harmoniser le marché européen, souvent jugé trop fragmenté.
Dans la foulée, selon les spécialistes d’EY Fabernovel, l’Europe doit repenser son modèle industriel et financier pour rivaliser efficacement. Cela passe par la création d’un véritable marché unique numérique, qui éviterait aux entreprises de devoir naviguer entre les régulations nationales disparates. En parallèle, les fonds publics et privés doivent être orientés vers des projets ambitieux capables d’avoir un impact mondial.
Pour y parvenir, toutefois, une seule solution : « s’armer de courage politique. La nouvelle administration américaine nouvellement installée ne fera qu’accentuer les sanctions économiques. Soutenir les start-ups européennes de l’IA passera donc aussi par la protection de nos agriculteurs et producteurs de camembert, vin et autres spécialités du vieux continent… Sans oublier que les entreprises américaines auront toujours besoin du vieux continent pour gagner 30 % de leurs revenus. »
Intelligence artificielle
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