Comment le streaming bouleverse l’industrie culturelle
Après le succès du téléchargement, c’est au tour des formules de streaming et d’abonnement de rencontrer un succès croissant. Musique, films, séries, jeux vidéo et même livres numériques sont touchés par ce phénomène.
Les habitudes de consommation changent, les industries du divertissement et de la culture s’adaptent. Depuis l’avènement du numérique, les supports physiques (CD, DVD) connaissent un lent déclin. Dans un premier temps, la substitution s’est faite en faveur du téléchargement légal, comme iTunes (Apple), ou illégal, comme à l’époque Napster ou Megaupload. Désormais, la tendance évolue vers le streaming. Plutôt que de télécharger et de posséder un fichier musical ou un film en version numérique, le consommateur opte de plus en plus pour un accès à un catalogue, dans lequel il va piocher selon ses envies. En fonction des formules, cet accès peut être gratuit (avec publicité) ou payant.
Dans le secteur de la musique, de nombreux services de streaming ont émergé : Spotify, Deezer, Pandora, etc. Dans ce créneau, les marges sont faibles en raison des droits élevés, équivalant à 70 % des revenus, que ces nouveaux intermédiaires numériques reversent aux maisons de disques. Cela n’empêche pas Spotify de préparer son entrée en Bourse : l’entreprise suédoise pourrait être valorisée à hauteur de 5,8 milliards d’euros, d’après des sources citées par l’agence Reuters.
1,7 milliards d’utilisateurs en 2017
L’engouement suscité par ces acteurs du streaming musical est notamment dû au succès exponentiel qu’ils rencontrent auprès du public. Qui dit audience dit potentiel de monétisation de cette audience, soit via des abonnements, soit via la publicité. Les chiffres font saliver : d’après une étude de Generator Research, les entreprises de streaming musical compteront 1,7 milliard d’utilisateurs en 2017, dont 125 millions d’abonnés payants.
En Belgique, la progression du streaming musical est spectaculaire : entre 2012 et 2013, son chiffre d’affaires a triplé de volume. Il génère déjà 40 % des revenus digitaux de l’industrie musicale (voir graphique “Musique: le streaming rattrape le téléchargement”) et dépassera probablement bientôt le téléchargement. “Le digital ne remplacera jamais entièrement les ventes de CD : en 2013, plus de six millions de disques se sont encore vendus en Belgique, recadre Olivier Maeterlinck, patron de la BEA (Belgian Entertainment Association). Mais au sein du digital, on constate un déplacement du téléchargement vers le streaming. C’est surtout vrai pour les téléchargements de singles, qui ne progressent plus, au contraire des téléchargements d’albums. Cela démontre que le streaming est un mode de consommation lié à la découverte, qui n’empêche pas les consommateurs de se procurer un album complet lorsqu’ils ont apprécié certaines chansons.”
Le succès de la VOD Les films et les séries sont aussi touchés par le phénomène du streaming. Si le marché de la TV reste stable, celui du cinéma se tasse (-7 % de fréquentation en 2013) et celui du DVD est en train de s’effondrer complètement sous les coups de boutoir de la VOD (vidéo à la demande). Entre 2012 et 2013, le chiffre d’affaires du DVD a chuté de 18 % en Belgique. Les revenus tirés de la VOD représentent désormais près de la moitié des rentrées dans le secteur de la vidéo. “La VOD remplace la location de DVD, qui a quasiment disparu”, constate Olivier Maeterlinck (BEA).
La plupart des services de VOD en Belgique se cantonnent pour l’instant à des formules de location de films ou de séries à l’unité, pendant une durée limitée (48 h en général). Les formules d’abonnement commencent timidement à faire leur apparition. Belgacom vient de mettre sur pied Cinefeel. Cette offre qui, comme son nom l’indique, s’adresse aux amoureux du cinéma, ne propose cependant que 60 “films d’auteur”, renouvelés régulièrement, pour 9,95 euros par mois. Belgacom propose aussi un Kids Pass (7,95 euros par mois), ou encore un X-Adult Pass (14,95 euros). Plus ambitieux, Telenet a lancé Rex & Rio en septembre 2013. Ces formules illimitées à 14,99 et 24,95 euros par mois, en fonction du nombre de nouveautés disponibles, proposent un catalogue plus fourni (1.000 films, 1.000 épisodes de séries). Soixante-sept mille clients Telenet s’y sont déjà abonnés.
L’épouvantail Netflix
Le mouvement vers les formules de streaming par abonnement est appelé à s’amplifier dans le créneau des films et des séries. Les opérateurs télécoms, qui maîtrisent la plus grande partie de l’offre VOD en Belgique, sont en effet poussés dans le dos par un acteur majeur de ce secteur, que certains présentent comme un véritable épouvantail : Netflix. L’entreprise américaine s’est déjà implantée au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Pologne, en Espagne, et a annoncé qu’elle poursuivra son expansion en Europe. Même si le timing n’est pas encore clair, le service s’implantera en Belgique. Et il pourrait bien perturber le secteur.
Netflix, c’est un catalogue de plusieurs milliers de films et séries. C’est aussi une entreprise web qui se lance dans la production propre de contenu. Son plus gros succès en date est la série House of Cards – dont la deuxième saison vient de sortir, avec l’acteur oscarisé Kevin Spacey. Le président Barack Obama lui-même est un grand fan de cette production haut de gamme racontant les dessous peu reluisants de la politique américaine.
En France, les chaînes de télévision privées ont déjà annoncé leurs craintes de voir débouler ce nouveau venu, qui pourrait marcher sur leurs platebandes. Netflix n’en a cure : le géant américain, qui consomme à lui seul 30 % de la bande passante aux Etats-Unis, est déjà occupé à négocier avec les opérateurs télécoms français pour s’inviter dans leurs bouquets numériques. Netflix va-t-il bouleverser le secteur ? “Le succès de Netflix en Belgique dépendra des droits qu’il va négocier, tempère Olivier Maeterlinck (BEA). Il faut un catalogue assez large, des nouveautés, des produits locaux. Netflix a mis du temps à s’imposer aux Etats-Unis.”
L’acteur belge DVDPost, qui tente de faire muer son business model du DVD physique vers la VOD, reconnaît que l’arrivée de Netflix risque d’être un challenge, dixit son patron Pierre Demolin : “C’est un tout gros concurrent. Mais Netflix ne mettra pas forcément fin à notre business”, assure-t-il. La PME belge espère se différencier par ses choix opérés pour constituer un catalogue original.
En septembre dernier, DVDPost a développé Plush, un des premiers services d’abonnement en Belgique (9,95 euros par mois). Son catalogue compte 500 films, mais les nouveautés en sont totalement absentes, et aucune major n’a pour l’instant signé avec DVDPost, ce qui est un gros handicap pour l’attractivité de l’offre. “Les formules d’abonnement sont difficiles à vendre aux majors. Elles peuvent avoir l’impression de dévaloriser leur produit en l’intégrant dans une formule illimitée”, explique Pierre Demolin. Netflix lui-même, malgré sa force de frappe, propose peu de nouveautés dans son catalogue. Les studios ne souhaitent pas tuer la poule aux oeufs d’or en proposant leurs films en streaming en même temps que leur sortie en salle ou leur diffusion sur une chaîne payante.
Jeux vidéo : Sony se lance dans le streaming
Le succès du streaming dans les industries de la musique, des films et des séries donne des idées à d’autres acteurs du divertissement et de la culture. De plus en plus populaires, les jeux vidéo en ligne représentent 21 % des revenus du secteur en Belgique (voir graphique “Jeux vidéo : 20 % des revenus générés en ligne”). Mais les offres de streaming par abonnement ont pour l’instant échoué. L’entreprise américaine OnLive, dans laquelle Belgacom avait pris une participation de 2,6 %, vivote aujourd’hui, après avoir été au bord de la faillite. Son offre était pourtant attirante : jouer en ligne à volonté pour 14,95 dollars par mois. Mais les investissements monumentaux dans des serveurs ultra-puissants, un catalogue limité, des coûts supplémentaires pour certains jeux et une quasi-absence de nouveautés ont précipité la chute d’OnLive. Sony, qui a acheté un concurrent d’OnLive pour 380 millions de dollars, vient d’annoncer le lancement d’un service similaire, Playstation Now, pour l’été prochain. Avec pour ambition de “révolutionner le monde du jeu vidéo”.
Bibliothèque numérique
Dernière industrie en date touchée par l’attrait du streaming : l’édition, qui tente de profiter du succès naissant du livre numérique. D’après une enquête réalisée par Primento à l’occasion de la Foire du livre, 19 % des Belges ont déjà lu un livre numérique. Pour autant, les e-books ne représentaient en 2012 que 1 % du marché du livre, selon GfK. Aux Etats-Unis, le mouvement est beaucoup plus avancé : 20 % des ventes de livres sont digitales. Du coup, de nouveaux modèles économiques voient le jour. Une start-up prometteuse, Oyster, vient de lever 14 millions de dollars pour lancer une formule de streaming de livres numériques. Pour 9,95 dollars par mois, Oyster propose l’accès à plus de 100.000 titres, dont un millier de bestsellers. Le “Netflix du livre” a signé avec HarperCollins, un des cinq grands éditeurs américains, et négocie actuellement avec les quatre autres.
Verra-t-on bientôt débarquer ce type de services en Belgique ? “C’est un peu tôt”, estime le patron du distributeur de livres numériques Primento, Thibault Léonard. Cet ancien de chez EMI a assisté aux bouleversements engendrés par Spotify et les autres dans le secteur de la musique. Mais selon lui, le marché du livre a ses spécificités. Les initiatives qui ont été lancées en Europe (24symbols en Espagne, Youboox en France) n’ont pas encore décollé. “Les éditeurs majeurs hésitent. Et les grands auteurs ne sont pas prêts à mettre leurs livres à disposition dans ce type d’abonnements, explique Thibault Léonard. Chez nous, le livre numérique est encore dans une phase d’évangélisation. Mais dans cinq à 10 ans, le livre aura ses offres de streaming.”
Gilles Quoistiaux
Trois secteurs, trois modèles de streaming
Spotify
Date de lancement : 2008
Nombre d’utilisateurs : 24 millions, dont 6 millions d’abonnés payants
Catalogue : + de 20 millions de chansons
Nombre de pays couverts : 55
Chiffre d’affaires : 576 millions de dollars (2012)
Formule payante : 9,99 euros/mois
Netflix
Date de lancement : 1997
Nombre d’utilisateurs : 44 millions
Catalogue : + de 10.000 films et épisodes de séries (aux Etats-Unis)
Nombre de pays couverts : 41
Chiffre d’affaires : 4,37 milliards de dollars (2013)
Formule : 7,99 dollars/mois (aux Etats-Unis)
Oyster
Date de lancement : 2013
Nombre d’utilisateurs : non communiqué
Catalogue : + de 100.000 livres numériques
Nombre de pays couverts : 1 (Etats-Unis)
Chiffre d’affaires : non communiqué
Formule : 9,95 dollars/mois
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