Comment Google a pris nos vies d’assaut
En un quart de siècle, le moteur de recherche s’est imposé dans une multitude d’aspects de nos vies, proposant des services digitaux toujours plus efficaces. L’entreprise est devenue l’une des plus puissantes et riches de la planète. Non sans que cela ne pose une multitude de questions…
Don’t be evil. Ce slogan longtemps employé en interne par Google n’a rien d’anodin. Bien sûr, on peut le voir comme un message inspirant sur l’état d’esprit qui doit régner au sein des équipes du moteur de recherche. Une mission positive à poursuivre. Mais d’aucuns y voient aussi le signe du risque qui existe bel et bien quand un géant de la tech tient une position aussi dominante que celle de ce leader mondial du digital.
Que ce soit la recherche sur internet qui dépasse les 90% de parts de marché en Europe, les e-mails avec Gmail qui compterait pas loin de 2 milliards d’utilisateurs à travers le monde, de YouTube qui attire chaque mois plus d’un internaute sur deux…, Google est parvenu à imposer ses produits et services dans notre quotidien, rendant dépendants un nombre incalculables d’internautes et d’entreprises.
En 25 ans, l’entreprise s’est en effet glissée dans de nombreux pans différents de notre quotidien: usage de cartes géographiques (Google Maps et Street View) ou de messagerie électronique (Gmail), stockage et diffusion de vidéos (YouTube), vente de musique, comparateurs de prix, etc. Sans oublier le système Android offert à tous les fabricants de GSM et qui a permis à Google de s’inviter avec succès sur le marché du mobile, mais aussi désormais de l’automobile.
A la base de ce succès planétaire? Une idée lumineuse née de la rencontre de deux jeunes étudiants en informatique de la Stanford University: Larry Page et Sergey Brin. L’idée? Indexer automatiquement l’ensemble des informations disponibles sur le web. Permettre aux internautes de retrouver facilement ce qu’ils recherchaient dans le dédale grandissant des sites internet. La légende veut que ce soit dans un garage de Menlo Park, au sud de San Francisco, que les deux hommes fraîchement diplômés ont commencé à développer leur projet, vers 1996.
La simplicité a toujours été le maître mot de Google. Encore aujourd’hui.
A l’époque, malgré leur ambition, ils ne débarquent pas sur un marché totalement vierge. Yahoo! occupe déjà la place avec son annuaire bien rempli de sites web. Mais Google parviendra en seulement quelques années à totalement ringardiser Yahoo! , alors leader du trafic et véritable porte d’entrée d’internet. Puis à s’imposer progressivement comme un géant mondial de la tech.
Leur coup de génie? La création d’un moteur de recherche hyper-simple et particulièrement efficace. La simplicité a toujours été le maître mot de Google. Encore aujourd’hui. D’ailleurs, quoi de plus simple qu’une page blanche ne contenant qu’un logo et une barre de recherche? De quoi dénoter par rapport au fouillis de la page d’entrée de Yahoo! à l’époque. Une simplicité qui n’avait par ailleurs rien du hasard: elle permettait aussi un chargement plus rapide.
Surpasser le leader de l’époque
Ensuite, le cœur du moteur de Google et ses algorithmes “secret défense” ont rapidement réussi à dépasser tout ce qui se faisait jusque-là. En référençant toujours plus de pages et en offrant des résultats plus qualitatifs que les autres. C’est sur ce produit que tout l’empire s’est construit, malgré quelques refus d’investisseurs pour qui détrôner Yahoo! semblait mission impossible. Plus fou: Yahoo! avait aussi fait une place à Google dont elle a utilisé le moteur pour sa page d’accueil. Sur papier, une manière d’améliorer la recherche sur Yahoo!, mais surtout, une excellente façon d’augmenter la pertinence de la technologie de Page et Brin.
A la base, la technologie de Google était en effet proposée à d’autres sites: des firmes comme Netscape et d’autres utilisaient le moteur de recherche mis au point par les deux anciens étudiants de Stanford qui avaient aussi lancé la page Google.com. En 2000, une centaine de sites de renom appartenant à 30 sociétés différentes (en Inde et aux Etats-Unis, notamment) embarquaient cette technologie de search. Mais sur les 55 millions de recherches quotidiennes à l’époque, 23 millions s’effectuaient déjà directement sur la page Google.com. Une bascule importante qui a permis aux fondateurs de mettre sur pied un modèle de publicité. Son nom? AdWords, lancé en 2000.
Si la barre de recherche a été leur coup de génie technologique, AdWords aura été le coup de maître financier de la firme qui avait joué la différenciation des autres moteurs de recherche par… l’absence de publicité (à l’époque généralement très intrusive). Cela a donné un solide coup dans la fourmilière publicitaire et permis la première fortune de Google.
130 milliards de pages web sont gratuitement accessibles aux internautes depuis Google.
A l’époque, Sergey Brin se confie au journal Les Echos: “AdWords est un système de pub en self- service. En fonction du mot-clé qui apparaît sur la page des résultats de recherche, l’écran de l’internaute affiche une mini vignette de pub, avec le nom et la description d’un site lié à ce mot. Cette publicité s’ajoute aux résultats de la recherche, classés par ordre de pertinence. L’annonceur paie avec sa carte bleue, à des tarifs qui commencent à 50 dollars. En plus de nos 350 grands annonceurs, nous visons une clientèle plus modeste avec AdWords: le premier utilisateur de ce service est un vendeur de homards.”
Le génie de la démarche? Avoir perçu que le modèle de la pub en ligne allait évoluer d’un système de segmentation par des critères démographiques classiques, vers l’étude des recherches qu’effectuent les internautes à partir de leur motivation de départ. Aujourd’hui, même si ses parts de marché diminuent, Google domine toujours la publicité en ligne avec Facebook et Amazon.
Des acquisitions et des paris audacieux
Grâce à sa technologie et son business model novateur et percutant, plus rien ne semble alors pouvoir arrêter la “start-up”. Google s’invite ensuite, avec de nouveaux services, sur toujours plus de marchés digitaux, comme la cartographie, les news, les e-mails, la vidéo en ligne… Au point de devenir un acteur tentaculaire employant aujourd’hui environ 180.000 personnes dans le monde et déployant des centaines de services différents.
“Avec un fil rouge qu’il ne faut pas oublier, rappelle Thierry Geerts, figure de Google en Belgique depuis une douzaine d’années. Ce fil rouge, c’est l’ambition d’indexer l’information du monde entier et de la rendre accessible au plus grand nombre.” Un pari plutôt réussi puisque selon les estimations d’experts, les internautes peuvent avoir accès gratuitement depuis Google à quelque 130.000 milliards de pages internet. Mais cette indexation de l’information se retrouve aussi dans les services de cartographie, de stockage de vidéos YouTube, etc.
“Google s’est approprié de nombreux services, sans les avoir créés.”
Enrichi par ses revenus publicitaires, Google est entré en Bourse en 2004 et s’est positionné sur des marchés stratégiques grâce à une panoplie d’acquisitions. Plus de 200 rachats partout dans le monde, certains se révélant bien plus stratégiques que d’autres. “La plupart des services à succès, Google les a surtout repris ou adaptés, analyse un observateur du digital. Google a repris YouTube en 2006 et DoubleClick en 2007. Deux acquisitions majeures pour Google.”
Ce dernier rachat, pour plus de 3 milliards de dollars, fut sans doute un acte déterminant (mais fortement critiqué) dans l’ascendant pris par l’entreprise dans le secteur de la pub en ligne. “Google s’est approprié de nombreux services, les a popularisés et en a profité financièrement, sans les avoir créés”, enchaîne cet autre observateur avisé.
Thierry Geerts, de son côté, pointe surtout deux grandes décisions stratégiques qui ont marqué positivement l’histoire de Google. Plus que les acquisitions réalisées, “deux moments charnières ont été indispensables pour faire de Google ce qu’il est aujourd’hui, avance le country director. D’abord la décision de devenir, dès 2008, une mobile first company. C’était visionnaire: à cette époque, 95% des revenus provenaient du desktop et à peine 5% du mobile. Faire le pari du mobile à ce moment était risqué, osé et intelligent. Plus tard, Sundar Pichai (CEO depuis 2015, Ndlr) a transformé Google en une IA first company. Là aussi, cela a été absolument brillant puisqu’aujourd’hui, le marché de l’IA est porteur et que déjà tous nos outils sont améliorés avec de l’intelligence artificielle.”
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Mais les développements de Google, devenu Alphabet en 2015, ont aussi suscité au fil du temps de nombreuses interrogations. Son gigantisme et sa position dominante inquiètent autant que certaines pratiques épinglées par la justice ou par les médias. Toutes les autorités anti-concurrence du monde continuent de se pencher sur la manière dont Google a quelques fois forcé des partenaires à mettre son moteur ou ses services en avant.
Sa place de juge et partie sur plusieurs créneaux de la pub en ligne ou dans le domaine des comparateurs de prix soulève aussi de nombreuses questions. Sans oublier les interrogations liées à l’utilisation de contenus sans rétribution ou avec des rétributions faibles. Et les méthodes agressives dans le business, comme le déréférencement d’acteurs comme moyen de pression dès qu’un conflit intervient…
“Qu’adviendrait-il si, un jour, Google tombait dans des mains indélicates?”
Voici 10 ans déjà, l’économiste français Pascal Perri, auteur du livre Un ami qui ne vous veut pas que du bien, s’inquiétait de manière encore plus fondamentale: “Pour la première fois dans l’histoire de l’économie, on fait face à une entreprise qui détient, seule, l’accès à tous les consommateurs du monde. Voilà une novation qui impose que l’on fasse attention, d’autant que l’on touche ici à la liberté et à la transparence. Un domaine sensible. Google est aujourd’hui l’une des principales capitalisations au monde. Une partie de son capital est flottant. Qu’adviendrait-il si, un jour, ce capital tombait dans des mains indélicates?”
Dix ans plus tard, à l’heure où Google fête son 25e anniversaire, les questions demeurent, tout comme la balance entre ce qu’apporte réellement Google aux internautes et à certains business et les dangers liés à sa taille et à sa manière d’arriver (et de se maintenir) au sommet.
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