Paul Vacca
“Comment débattre de l’IA sans s’engueuler”
Comment revenir au débat en “présentiel”, comme on dit maintenant, nous qui nous sommes habitués à échanger depuis quelque temps presque exclusivement par écrans interposés ?
Maintenant que la vie sociale va reprendre ses droits avec plus ou moins de distanciation, il y aura nécessairement une phase d’acclimatation. Comment retrouver notre sens de la conversation pour que nos dîners ne virent pas au désastre ? Peut-être faudrait-il déjà faire usage de quelques gestes barrière, à savoir : éviter certains sujets – encore tout chauds – qui sont de la nitroglycérine. Comme ceux de la chloroquine ou du port du masque qui, comme on l’a vu, sont des thématiques parfaitement inflammables.
Faut-il alors s’astreindre à n’aborder que des sujets consensuels ? Hélas, ce n’est pas une solution. D’abord parce que la conversation sera plombée par un autre fléau peut-être pire que le mal : l’ennui. Mais, surtout, parce qu’il est quasiment impossible aujourd’hui de trouver un sujet qui soit véritablement consensuel. Même parler de la pluie et du beau temps est clivant. Ce qui constituait jusqu’il y a peu une activité parfaitement inoffensive peut aujourd’hui se révéler explosif : tôt ou tard, un des participants embrayera sur le dérèglement climatique et là, patatras, la discussion s’engagera sur les courants houleux et imprévisibles de la polarisation. De fait, on assiste peu à peu à l’extinction de ce que les Anglo-Saxons appellent small talk, cette conversation plaisamment superficielle et sans enjeu, l’équivalent du easy listening en musique.
Alors, puisqu’il est impossible d’atteindre le consensus, tâchons au moins de nous montrer constructifs. Trouver, même sur des sujets clivants, sinon une voie de résolution collective (ne rêvons pas ! ), un modus vivendi : un terrain neutre sur lequel nous puissions tomber d’accord, que l’on soit pour ou contre.
Imaginons que lors d’un dîner, la discussion tourne autour de l’intelligence artificielle (IA) – mais cela pourrait marcher aussi avec des sujets comme les robots, la voiture autonome, les big data prédictifs, etc. – où il est question de l’être humain et de la technologie. Il y a un point sur lequel tout le monde pourrait tomber d’accord au moment de l’apéritif : nous ne sommes pas encore parvenus au moment où l’IA peut remplacer les humains. A l’appui, on pourrait faire une démonstration avec Alexa, Siri ou même notre correcteur automatique.
Mais très vite, la belle unanimité se fracasserait en deux camps opposés. D’un côté, certains rappelleront que déjà en 1965, l’un des fondateurs de l’intelligence artificielle, Herbert Simon, avait déclaré ” que les machines seront capables, d’ici une vingtaine d’années, de faire tout ce que l’homme peut faire “. Et que toujours rien ne s’est produit, même plus de 55 ans après sa prédiction. Et de l’autre, certains rétorqueront que la même année, un philosophe du nom de Hubert Dreyfus déclarait de façon tout aussi visionnaire qu'” aucun programme ne pourra jamais jouer aux échecs, même comme un amateur “. Alors, qu’entre-temps, nous avons non seulement eu Deep Blue (qui a battu le champion du monde Garry Kasparov en 1997) mais qu’aujourd’hui, n’importe quel logiciel de jeu d’échecs est en mesure de battre à plates coutures Deep Blue.
Bref, il y aura ceux pour qui l’arrivée de la véritable IA, celle qui pourra remplacer l’homme comme être pensant, n’est qu’une question de temps – quelques années ou quelques siècles. Et de l’autre côté, ceux qui pensent que c’est absolument impossible par principe et que des années, des siècles et même des millénaires de recherche n’y pourront rien.
Les arguments s’échaufferont et les uns défendront une différence radicale de nature entre l’homme et la machine quand les autres plaideront pour une simple question de degré. Alors, irréconciliables ? Peut-être pas. Car en passant au dessert, la puissance invitante pourrait prononcer une phrase magique à laquelle tout le monde souscrirait : ” L’IA est à l’horizon “. Chacun, comme par enchantement, repartirait satisfait avec un horizon commun. Les uns avec l’idée de l’horizon comme un point fixe dans le lointain – une crête de montagne, un bâtiment, etc. – et dont on se rapproche à mesure que l’on avance. Les autres, comme une ligne mouvante par essence inatteignable et qui s’éloigne toujours à mesure que nous progressons.
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