Paul Vacca
“Britney Spears contre l’intelligence artificielle”
Et si l’intelligence artificielle envahissait aussi la musique ? Aura-t-on bientôt droit à de véritables robots en lieu et place des auteurs compositeurs ? Ce pourrait être le cas, selon Yuval Noah Harari.
Dans 21 leçons pour le XXIe siècle, il aborde la délicate question de l’intelligence artificielle face à la production humaine. Après tout, écrit-il, les émotions n’étant pas un phénomène ” mystique ” mais simplement le résultat ” d’un processus biochimique “, il ne serait pas étonnant qu’à terme, les algorithmes soient capables de comprendre et de manipuler les émotions humaines mieux que les plus grands artistes.
Yuval Noah Harari reste tout de même prudent, marchant sur des oeufs, abrité par le confortable bouclier du conditionnel. Il se fait plus affirmatif quant à ce qu’il appelle les succès planétaires. ” En exploitant de massives bases de données biométriques glanées auprès de millions de gens, écrit-il, l’algorithme saurait quels boutons biométriques presser afin de produire un succès mondial qui ferait swinguer tout le monde comme des fous en boîte. “.
Le fantasme de la recette du ” hit parfait ” est une vieille ritournelle. Et la volonté de mise en équation par les sorciers musiciens et producteurs pour atteindre le graal de la pop song parfaite un vieux refrain. Que l’on songe à Berry Gordy qui, dès 1959, monte une véritable usine à produire des tubes avec la Motown pour lancer une kyrielle d’artistes, de Diana Ross aux Jackson Five. De plus, la musique été le premier secteur artistique investi par le numérique, et ce depuis les années 1970, quand les synthétiseurs ont fait leur apparition dans les studios d’enregistrement, suivis par les machines à programmer, les samplers, les boîtes à rythmes et aujourd’hui l’auto-tune, un logiciel correcteur de voix. De fait, la chanson est devenu un support totalement numérisé qui se prête idéalement à sa mise en algorithmes. Même si personne pour l’instant ne semble l’avoir trouvé, sinon le temps d’un ou de quelques succès.
Il est erroné de croire que ce qui paraît simple serait plus facile à imiter par la machine.
Pour autant, lorsque Yuval Noah Harari conclut son chapitre en augurant que ” les algorithmes ne devront pas tout de suite surclasser Tchaïkovski ” et que ” ce serait déjà pas mal qu’ils dépassent Britney Spears “, il est difficile d’être d’accord. Pas seulement en tant qu’admirateur de Britney Spears mais parce que cette phrase porte une vision réductrice sur la réalité de la création artistique, fût-elle populaire.
D’abord, il est erroné de croire que ce qui paraît simple serait plus facile à imiter par la machine. Et à ce titre-là, Britney Spears paraît plus simple à imiter que Tchaïkovski. Pure illusion. Car en réalité, il n’y a rien de plus sophistiqué que l’apparente simplicité d’un riff de quelques accords, d’un hook de quelques notes ou d’un gimmick… Ensuite, il est toujours facile a posteriori de déterminer pourquoi un succès est devenu un succès. Le produire est une autre paire de manches. On se retrouve typiquement dans le cas du paradoxe du singe savant qui veut qu’avec suffisamment de temps – au bout de 10.000 ans, peut-être – un singe tapant au hasard sur un clavier soit capable d’écrire Hamlet. Reste qu’il serait incapable de reconnaître que c’est Hamlet. Avec le deep learning, une machine pourrait peut-être composer I gotta feeling des Black Eye Peas par hasard. Mais serait-elle capable de la reconnaître ? Ensuite encore, réduire la formule de la chanson parfaite à sa structure intrinsèque est une erreur. Le hit programmé est un mythe. Car il oublie une donnée fondamentale : la réception. C’est le succès qui révèle in fine la formule qui se trouvait enfouie en lui.
Et enfin, parce que c’est méconnaître qu’un hit, si simple paraisse-t-il, est le fruit de ce que l’algorithme est incapable d’offrir : la magie de l’imprévisible. Dans le cas de Britney Spears, ses deux plus grands succès sont des trésors d’imprévisibilité : Baby One More Time et Toxic ne lui étaient d’ailleurs même pas destinées à l’origine. Leur naissance a procédé d’un mélange miraculeux d’intuitions, de talents, de rencontres… et d’une voix. Ces chansons tiennent plus au hasard qu’à la nécessité d’un algorithme. Plus de l’alchimie que de la biochimie. Et plus aux qualités exceptionnelles de leur interprète qu’à une quelconque intelligence programmée.
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