Paul Vacca
Big data recherche “big dating”
Le numérique a transformé notre façon de travailler, de communiquer, d’acheter, de nous cultiver, de nous informer, de nous divertir. Il existe un domaine intemporel dans lequel le numérique a également transformé la donne : c’est l’amour. Pas tant dans la façon dont on le dit – on retrouve online globalement les mêmes figures rhétoriques depuis Ovide, même si souvent la graphie ou le champ sémantique sont plus sommaires et agrémentés d’émojis. Mais surtout dans la façon dont on peut le rencontrer. L’amour d’une nuit ou d’une vie, via des applications de dating et matching comme Tinder ou Meetic.
Si cette pratique pouvait constituer une démarche un brin inavouable jusque dans les années 1990, cela ne semble plus être le cas aujourd’hui. On constate un effet de banalisation sociale. Par l’ampleur du phénomène déjà. D’après The Economist qui consacre un article au sujet intitulé Modern Love, pas moins de 200 millions de personnes à travers le monde utiliseraient les sites et plateformes numériques à la recherche d’un partenaire chaque mois. Et un tiers des mariages aux Etats-Unis serait la suite d’une rencontre en ligne.
Mais il y a surtout un changement de nature. Avant le numérique, la rencontre offline était plombée par des déterminismes physiques, géographiques et socio-familiaux. On rencontrait des personnes de son entourage croisées à son travail, dans les bars ou les boîtes de nuit, via des amis ou lors de mariages… Un horizon assez restreint que le numérique a aussitôt déverrouillé urbi et orbi. Urbi en permettant la rencontre de proximité grâce au smartphone et à la géolocalisation ; orbi en ouvrant les horizons d’Internet. On est passé d’un monde corseté à la Jane Austen à un espace libéralisé à la Michel Houellebecq, projetant l’univers des rencontres dans l’hyper-choix.
Tous les déterminismes ont-ils pour autant volé en éclats ? Certains oui. On a pu observer que la rencontre on line a notamment libéré les possibilités de rencontres entre personnes du même sexe et favorisé nettement les unions interraciales. Rencontrer sans entraves pourrait être le slogan de l’amour aux temps numériques.
L’intérêt économique des sites de rencontres, c’est que l’on passe le plus de temps possible à chercher l’âme soeur. Pas qu’on la trouve…
Mais l’hyper-choix engendre ses propres déterminismes : ceux qui sont générés par les mécanismes désormais familiers d’echo chamber ou de bulle cognitive. Par le fait de vouloir trouver quelqu’un ” qui nous ressemble “. Et de fait, on constate que la rencontre online favorise structurellement les couples ayant le même niveau d’études ou de revenus. Ce sont en effet des éléments saillants des biographies visibles sur ces applications. Et comme le fonctionnement de ces plateformes numériques permet de choisir quelqu’un selon son propre désir, il suffit de cocher les cases.
De fait, les acteurs de ce marché de 4,6 milliards de dollars, en forte croissance, font rutiler leurs puissantes machineries de données et d’algorithmes pour répondre à la question éternelle qui hantait déjà les héroïnes de Marivaux : comment trouver l’âme soeur ? Leur technologie permet de proposer le perfect match, le couple parfaitement accordé. Les big data promettant le big dating : ou quand la technologie s’inspire des comédies romantiques…
Or, il semble justement que les ingénieurs de ces applications qui mettent au point ces algorithmes de matching ne prennent au contraire pas assez exemple sur les comédies romantiques. Auquel cas, ils sauraient que la règle d’airain de tout film de ce type est que le couple parfait est celui qui est ” désaccordé”. Qui ne correspond pas aux cases cochées. Qui n’a rien à voir ensemble. Avec eux, Roméo n’aurait aucune chance de rencontrer Juliette, Elizabeth Bennet aurait rejeté à coup sûr Darcy et toutes les comédies romantiques seraient des histoires ennuyeuses de couples parfaitement assortis.
Si ces applications voulaient vraiment aider leurs abonnés à trouver le perfect match, elles devraient introduire un bug dans leurs algorithmes, ne pas répondre point par point aux desiderata de leurs abonnés, jouer les entremetteurs maladroits. Ce serait tellement plus romantique…
Mais il est vrai que cela ne ferait pas leurs affaires. Car leur intérêt économique est que l’on passe le plus de temps possible à chercher l’âme soeur. Pas qu’on la trouve. Car un couple formé, et heureux, cela fait automatiquement deux abonnements de moins. Et donc également moins de perspectives de croissance. Et cela, c’est tout de suite un peu moins romantique.
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