Amid Faljaoui
Bienvenue, mesdames et messieurs dans l’économie de l’attention
Ça y est, c’est fait! Les jeunes et le grand public s’informent de plus en plus via les réseaux sociaux, et notamment sur TikTok. C’est un triste constat pour moi, homme de média.
Je vous dis souvent que la guerre de l’attention a commencé il y a quelques années déjà. Notre attention, notre temps donc, vaut de l’or, car pendant que nous scrollons sur nos réseaux sociaux préférés, les algorithmes, eux, font leur boulot. C’est-à-dire, qu’ils vendent notre temps d’attention aux annonceurs. Plus que jamais, ces derniers en savent chaque jour plus sur nous grâce aux milliers de données que nous laissons en contrepartie de la gratuité de ces réseaux sociaux.
Lorsque Patrick Le Lay, l’ancien patron de TF1, avait résumé de façon choc son métier, il avait osé dire « qu’il vendait du temps de cerveau disponible pour Coca-Cola ».
La phrase avait choqué à l’époque. Mais, il a juste dit la vérité. Cette vérité est mille fois plus forte aujourd’hui avec les réseaux sociaux. J’en ai la preuve encore cette semaine. L’information publiée par l’Institut Reuters pour l’étude du journalisme m’a attristé. Ça y est, la bascule est faite. Les jeunes et le grand public s’informent de plus en plus via les réseaux sociaux, et notamment sur TikTok.
Cette étude est basée sur un sondage en ligne auprès de 94.000 personnes dans 46 pays. Résultat : le grand public s’informe à 30 % via les réseaux sociaux au détriment des sites d’information qui ne recueillent que 22% de l’intérêt du grand public.
C’est un triste constat pour moi, homme de média, car l’étude montre que TikTok et ses influenceurs ont aujourd’hui plus d’impact sur notre jeunesse lorsqu’il s’agit de s’informer que des journalistes ou des médias réputés.
Vous comprenez mieux pourquoi nos hommes politiques sont hypocrites. D’un côté, ils accusent TikTok d’être manipulé par la Chine et ils interdisent aux fonctionnaires de télécharger cette application. De l’autre, ils sont tous sur TikTok. Ils ne sont pas fous, ils savent bien que c’est là où les jeunes vont s’informer si ce verbe est encore adéquat.
En gros, selon Les Echos, ce sondage mondial de Reuters montre que les journalistes perdent de l’influence, que le grand public a un moindre appétit pour l’information en général et à même moins confiance dans les médias que par le passé. Résultat : avec l’inflation qui est encore présente, et son corollaire, la baisse du pouvoir d’achat, la propension à payer de l’information reste faible.
Pourquoi en effet s’abonner à un site d’info si je pense – à tort ou à raison – la trouver sur TikTok ou YouTube ? Mais, cette montée en puissance des réseaux sociaux ne fait pas que de l’ombre aux journalistes et aux finances de leurs médias, elle menace aussi des géants comme Amazon Prime, Disney+ ou Netflix.
Là encore, une autre étude montre que notre temps n’est pas extensible, ça on le savait, merci ! Le résultat, c’est que le grand public, à force de consommer de la vidéo gratuite sur YouTube ou TikTok n’a plus beaucoup de temps pour regarder Netflix ou Disney +. C’est un vrai problème pour les plateformes payantes qui ont deux ennemis. Le premier est la baisse du pouvoir d’achat qui oblige les consommateurs à faire des arbitrages entre leurs différents abonnements payants. La deuxième menace, c’est l’offre gratuite des réseaux sociaux, qui capte du temps d’attention et qui donc se fait au détriment des offres payantes.
Conclusion : toutes les offres d’abonnements payantes sont menacées par la gratuité des réseaux sociaux que ce soit les sites d’information, les jeux vidéo, la télévision payante ou la musique payante de type Deezer ou Spotify. Pour la musique, les chiffres de la fédération internationale de l’industrie phonographique montrent que 32% de la consommation de musique se fait désormais sur YouTube, TikTok, Facebook ou Instagram. Vous l’avez compris, ce sont tous des services gratuits.
D’ailleurs, selon Les Echos, cette menace a bien été évaluée par le géant mondial du streaming musical Spotify qui a aussi compris qu’il fallait mettre à jour son appli. Notamment en donnant une plus grande part à la vidéo et en s’inspirant de la navigation à défilement vertical popularisée par TikTok. Le patron de Netflix disait que son plus grand concurrent, ce n’était pas les autres plateformes payantes, mais notre temps de sommeil. Or, comme celui-ci reste encore incompressible. Notre temps d’éveil, notre temps d’attention donc, est devenu comme vous venez de le voir un véritable champ de bataille. Bienvenue, mesdames et messieurs dans l’économie de l’attention.
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