Aerospacelab, un leader de l’analyse géo spatiale en puissance
Fabriquer de légers satellites, récolter de leur voyage en orbite terrestre quantité d’images stratégiques, leur donner sens grâce à des experts, eux-mêmes aidés dans leur décision par une intelligence artificielle… Voilà la solution innovante de cette start-up basée non pas dans la Silicon Valley mais en Wallonie.
Qui aurait cru un jour que le futur de l’analyse géospatiale en Europe, voire dans le monde, se jouerait ici au beau milieu d’un centre d’affaires de Mont-Saint-Guibert, dans les bureaux d’Aerospacelab. Enfin, ” ici ” en théorie car les mesures de confinement pour lutter contre la propagation du Covid-19 ont quelque peu chamboulé le quotidien de la start-up. ” Il règne une drôle d’ambiance comme partout, mais on a la chance d’être une boîte cloud-based, sans service IT, au process décentralisé, avec des gens autonomes avec leur matériel. Puis, on avait anticipé : les 53 employés télétravaillent depuis une grosse semaine “, relativise le fondateur et CEO, Benoît Deper. Deux personnes seulement opèrent encore sur le site pour la fabrication du hardware, mais elles se partagent les 2.000 m2 de la salle propre dans une atmosphère à l’air filtré.
Quant à l’agenda commercial, jusque maintenant, il résiste lui aussi aux conséquences de la pandémie. Si des problèmes devaient survenir, ce serait davantage à l’échelon des fournisseurs. Les délais de livraison se sont envolés pour certains. Heureusement, Aerospacelab avait passé ses commandes juste avant. Seuls de nouveaux ravitaillements risquent d’éprouver des difficultés. ” Nos cartes électroniques sont produites en Chine (à notre insu puisqu’on payait une prime pour qu’elles le soient en Europe… mais l’intermédiaire les sous-traite là-bas ! ) et les délais commencent à se normaliser, passant d’une date indéfinie à un mois environ “, explique le patron trentenaire.
Le premier satellite devrait normalement décoller au dernier trimestre 2020, embarqué dans un vol SpaceX, le numéro 1 privé de l’exploration spatiale. Les sites de lancement américains fonctionnant déjà à la base sous une forme de lockdown puisqu’ils sont considérés comme des infrastructures critiques par la Sécurité nationale, ne devraient pas trop pâtir du coronavirus. ” Pas sûr qu’ils interrompent leurs services. Alors, le risque, si nous ne sommes pas prêts, est qu’ils partent sans nous “, ironise Benoît Deper.
Casser les prix
Mais au fond, que fait exactement Aerospacelab ? D’un côté, cette entreprise sacrée start-up de l’année 2019 par Digital Wallonia conçoit et assemble des satellites. De l’autre, elle développe des algorithmes pour traiter automatiquement d’imposantes photos de la Terre prises depuis l’espace. ” Notre finalité consiste à fournir de l’information. Par exemple, regarder ce qui se passe au niveau de la chaîne d’approvisionnement du pétrole dans certains pays connus pour leur manque de transparence, explique Benoît Deper, une pointe de déception dans la voix en repensant au coronavirus. Dommage que nous n’ayons pas encore de satellite en orbite, nous aurions pu mener beaucoup d’observations ne serait-ce que sur la supply chain mondiale. ”
Voir le bas d’en haut offre une mine d’informations sur l’activité humaine. Les acteurs gouvernementaux ou militaires du renseignement, qui ont quasiment inventé la discipline, en ont bien conscience. De même pour les grands groupes d’exploration pétrolière. Ces multinationales disposent déjà de leur propre département d’analyse géospatiale. Avec, pour conséquence, une barrière à l’entrée assez élevée. Ce genre de renseignement sur une zone donnée à un moment donné, en haute résolution, en incluant le traitement et l’analyse, coûte entre 50.000 et 100.000 euros. ” Il n’y a que les grands groupes qui peuvent se le permettre. Mais nous, nous essayons de casser les prix en divisant ce ticket par 100, 1.000, voire plus. L’objectif est d’atteindre une adoption de masse “, ambitionne le fondateur.
Pour ce faire, la recette concurrentielle d’Aerospacelab tient en une solution verticale intégrée, du software au hardware. Selon l’Agence spatiale européenne (ASE) avec laquelle collabore souvent la start-up guibertine, il n’y a pas d’autre entreprise connue affichant le même modèle d’affaires en Europe. Une approche dont Benoît Deper n’a jamais douté, contrairement à ses investisseurs au tout début.
Engouement inattendu
En trois années d’existence, la jeune société a appris à mieux cerner les besoins des clients et a affiné ses produits, le pricing et la priorité des projets. Mais il y a un élément qu’Aerospacelab n’avait pas prévu dans son modèle verticalement intégré : la traction commerciale de ses satellites. ” On en vend à la pièce à des clients dont on est sûr qu’ils ne vont pas venir nous concurrencer sur notre business principal “, avoue l’actuel patron. L’ASE en a ainsi acheté pour des missions de démonstration technologique.
Pour ne rien ôter à ces bonheurs commerciaux, Aerospacelab exhibe dans son offre des solutions très à la mode, comme l’IA ou le deep learning. ” On a mis des garde-fous car certains de nos concurrents sont passés par là, ont trop forcé sur la hype et, du coup, ont déçu le marché. On a donc des guidelines en interne avec une approche statistique de la qualité des services “, argumente Benoît Deper. Même chose pour l’automatisation du traitement des données. Aerospacelab a pris le pli de travailler avec des analystes expérimentés. Dans des situations trop compliquées pour la machine, la start-up sollicite un opérateur humain.
Une recette qui plaît manifestement aux clients, essentiellement B-to-Gov pour l’heure, avec des contrats Défense et Sécurité. Un marché large mais qui ne croît pas vite car les besoins sont déjà rencontrés par les firmes existantes. Par contre, le B-to-B, que cela soit en finance ou en agriculture, recèle d’innombrables contrats potentiels à démarcher.
D’ici là, face aux géants américains ou autres, Aerospacelab ne craint pas le syndrome du petit poucet. ” On vise à être les premiers dans le monde. Il n’y a pas de complexe d’infériorité. Oui, les Emiratis voulaient acheter notre projet de start-up clé sur porte pour le faire chez eux. Et non, on ne peut pas lever du capital-risque en aussi grande quantité qu’en Californie. Mais si on tient compte des aides à la R&D, des pôles de compétitivité, de nos bonnes universités, de notre réputation à l’export, notre levier sur l’investissement est peut-être le meilleur dans le monde “, conclut Benoît Deper.
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