10 règles d’or des Gafa dont vous devez vous inspirer !
Les géants du Net comme Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft et les autres ont changé le monde. Avec de nouveaux codes et des méthodes nouvelles, ils ont aussi fondamentalement changé le business. Voici 10 grands principes qui les ont construits et dont il est temps de s’inspirer…
Optimisation fiscale controversée. Pratiques concurrentielles jugées douteuses. Gigantisme dangereux pour les libertés individuelles. Les géants du Net, regroupés sous l’acronyme de Gafa ou Gafam (pour Google, Apple, Facebook, Amazon + Microsoft), alimentent quotidiennement les interrogations du public, des médias et des politiques. Ces ” monstres tentaculaires ” inquiètent également toujours plus d’entreprises au fur et à mesure qu’ils lancent de nouveaux services comme autant de pavés dans la mare. Qu’il s’agisse des banques, des assurances, des services de mobilité ou des hôteliers, les acteurs du business ” traditionnel ” ou ” non numérique ” voient donc arriver ces acteurs avec une appréhension certaine. Et c’est encore plus vrai depuis la crise du Covid, dont les Gafa seraient les grands gagnants.
Pourtant, la crainte ne devrait pas être la seule attitude à adopter face à ces géants. Leur vision, leur stratégie, leurs approches d’innovation, leur manière d’exécuter leur business ou de choyer leurs nombreux utilisateurs constituent également de nombreuses sources d’inspiration. Parties à peu près toutes de rien voici une vingtaine d’années, ces entreprises ont en effet réussi à imposer de nouveaux standards. D’ailleurs, pour certains observateurs, elles ont tout simplement fait entrer l’économie dans une nouvelle ère. C’est du moins ce qu’affirment François Druel et Guillaume Gombert, consultants pour l’entreprise de conseil et de développement numérique Fabernovel en France, dans leur ouvrage Gafanomics (éditions Eyrolles), ” si le 20e siècle a réellement commencé avec le début de la Première Guerre mondiale, pour nous le 21e siècle commence, lui, avec l’arrivée des Gafa”.
Dans la nouvelle économie, il faut envisager la création de valeur sous forme de boucles et non plus de chaîne ! ” Guillaume Gombert, co-auteur de ” Gafanomics
Nouveaux codes, nouvelles méthodes, nouvelles manières de penser : ces géants chamboulent, parfois violemment, les traditions. Mais nombreux sont les capitaines d’entreprise qui les prennent aussi comme modèle ou nouvel étalon de mesure. Et pas que les dirigeants de start-up. Marc Raisière, le patron de Belfius, par exemple, a déjà souvent comparé sa banque aux Gafa, ses concurrents potentiels, et les a pris en exemple pour leur efficience opérationnelle. Le mot d’ordre au sein de la banque dont l’Etat reste actionnaire est d’ailleurs clair : s’inspirer des meilleures techniques numériques et de l’état d’esprit d’innovation propre aux mastodontes de la tech. Le patron de Belfius est loin d’être le seul : la transformation numérique, dont les codes sont dictés par les Gafa (mais aussi les Natu, pour Netflix, Airbnb, Tesla et Uber), est sur toutes les lèvres…
Reste que pour tenter de ” rivaliser ” avec ces acteurs – ou à tout le moins s’en inspirer -, il convient de bien comprendre la nouvelle donne qu’ils imposent au monde des affaires. Surtout, il s’agit de repérer les grands principes de développement, les ” règles d’or ” sur lesquelles ils s’appuient. Aidé de l’ouvrage Gafanomics, nous en avons identifié 10, sortes de grandes lignes de leur stratégie et de leur réussite. Des ” super-pouvoirs ” qui se combinent et s’entremêlent, les uns renforçant les autres ou les rendant simplement possibles, tous susceptibles de servir de points de départ pour commencer à adapter sa propre entreprise. ” Toutes les entreprises n’ont évidemment pas les mêmes caractéristiques, toutes ne sont pas des plateformes, mais elles peuvent toutes identifier certains de ces super-pouvoirs détenus par les Gafa et, en quelque sorte, choisir leur combat, indique Guillaume Gombert. Une entreprise qui fabrique des produits va peut-être s’inspirer d’Apple dans sa capacité à vendre des produits de luxe et y ajouter une couche de revenus sur le long terme même après la transaction d’achat d’un iPhone. Une entreprise qui distribue ou revend des produits s’inspirera plutôt d’Amazon et cherchera, par exemple, à améliorer la connaissance de ses clients pour les relancer au bon moment avec le bon produit, ou développera un logiciel qui améliore la facturation. Avec ce livre, l’idée est vraiment de permettre aux entreprises d’appréhender davantage les forces réelles de ces Gafa, afin qu’elles se demandent lesquelles leur conviendraient, puis apprennent à les utiliser pour améliorer la qualité d’exécution de leur business, la vie des employés, les relations avec des partenaires, etc. ”
Comme les Gafa, nos utilisateurs sont des clients gratuits. Ce ne sont pas eux qui paient le service mais les fournisseurs. ” Maxime Beguin (Wikipower)
1. Le client (vraiment) au centre de tout
Ce n’est plus un secret, loin de là : l’une des grandes forces des acteurs du numérique consiste à tout faire pour satisfaire le client. Mais pas comme ont pu le vouloir les firmes traditionnelles qui faisaient (et font encore) de la satisfaction client une ” simple ” statistique. Chez les Gafa, il s’agit d’un état d’esprit et même d’une obsession. Non seulement, l’utilisateur (ils ne parlent pas de client) doit être content mais surtout, tout – absolument tout – doit être fait pour lui simplifier la vie. Dans les entreprises traditionnelles, ” l’innovation, le marketing et les ventes se focalisent sur les produits qui constituent le coeur de la stratégie, écrivent les auteurs de Gafanomics. Le client n’est que le prétexte à une démarche dont il est en réalité absent”. Pour les grands acteurs de la tech, par contre, le service qu’ils rendent n’est que ” le prétexte à la création d’une relation avec leur client “, enchaînent-ils. Cet état d’esprit s’illustre, par exemple, quand les géants de la tech lancent un service sans la moindre monétisation, juste pour rendre service à l’utilisateur qui, alors, l’adopte complètement. Un exemple ? Facebook au moment du rachat de WhatsApp ou celui d’Instagram. La firme de Mark Zuckerberg s’est d’abord employée à créer le service le plus agréable, le plus efficace pour la communauté. Ce n’est qu’une fois la barre du milliard d’utilisateurs franchie (avec un gros taux d’usage) que la publicité a commencé à apparaître… Pour Guillaume Gombert et François Druel, le produit ou le service que vous produisez actuellement ne doit donc pas ” être la fin de l’histoire mais le prétexte pour entrer en relation avec vos clients. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, une fois la vente finalisée, c’est le plus facile qui est fait. Le plus dur reste à venir : construire la confiance nécessaire pour diversifier son offre autour du client “.
Cette approche, Maxime Beguin, le patron de la firme d’achat groupé en énergie Wikipower, s’en inspire fortement dans son business. ” Dans le domaine de l’énergie, nous voulons que nos utilisateurs pensent à nous dès qu’ils ont une question ou un besoin en matière d’énergie, enchaîne-t-il. Comme les Gafa, nos utilisateurs sont des clients gratuits. Ce ne sont pas eux qui paient le service mais les fournisseurs. Et comme les Gafa, nous veillons à ce que leur expérience avec nous soit la meilleure possible : nous leur fournissons des informations ‘énergie’, nous créons une communauté qui fait qu’ils ne pensent pas seulement à Wikipower au moment de rejoindre un achat groupé. En fait, nous voulons devenir leur interlocuteur à valeur ajoutée s’ils ont un souci avant même leur fournisseur d’énergie. Nous avons l’ambition de fournir un service clientèle meilleur que celui des fournisseurs d’énergie. ” Une manière de garder le contact et d’accompa- gner les utilisateurs tout au long de leur ” parcours énergétique “.
A chaque fois que l’on investit dans quelque chose, on voit si cela entre dans notre vision de ‘scalabilité’ “. Pierre-Antoine Dusoulier (Ibanfirst)
2. Le problème comme point de départ
C’est parce qu’il avait du mal à trouver un taxi en plein Paris que Travis Kalanick, le fondateur d’Uber, s’est mis à imaginer un service qui permettrait de faire venir un chauffeur en quelques clics sur son smartphone. C’est en essayant de trouver des solutions à des problèmes du quotidien que sont nés les Gafa. A l’inverse, ” toute l’économie industrielle s’est construite sur le modèle de commercialisation d’une technique “, font remarquer Guillaume Gombert et François Druel qui pointent le succès de Michelin basé sur son pneu démontable, celui de Renault fondé sur l’invention de la boîte de vitesses, ou encore General Electric dont la création est directement liée à l’invention de l’ampoule à incandescence par Thomas Edison. A l’inverse, les Gafa ne proposeraient pas des produits mais des réponses aux problèmes du quotidien : ” ils partent du besoin et cherchent quelle solution technique pourrait résoudre ce problème “. Le service sans faille qu’ils proposent à leurs utilisateurs en réponse à leurs problématiques leur permet alors de démarrer une relation qui s’inscrit dans la durée. Les utilisateurs, séduits, continuent de l’utiliser et finissent par accepter une foule d’autres propositions de résolution de problème… Une approche dont chaque entreprise peut s’inspirer, d’après les auteurs. ” Penser ‘solution’ implique de s’attaquer à des problèmes très précis et à les traiter le plus en profondeur possible, expliquent les deux auteurs. Il faut montrer qu’on sait anticiper tous les besoins des clients à toutes les étapes du parcours. ” Mais d’abord en oubliant les contraintes techniques : ce qui compte, c’est l’expérience que l’on propose et la solution que l’on apporte. Les aspects techniques seront trouvés ensuite.
3. La croissance à coût nul, l’entreprise infinie
Qu’il soit utilisé par 100 ou 1 million de personnes, le coût de développement d’un logiciel ne change pas. Et de manière globale, les coûts pour l’entreprise n’explosent pas dans les mêmes proportions que le nombre de clients ou d’utilisateurs. Les Gafa sont des entreprises du numérique, ” ce qui leur permet de profiter très rapidement d’économies d’échelle très importantes, insistent Guillaume Gombert et François Druel. De plus, comme ils ont numérisé le maximum de tâches possibles, ils peuvent étendre ces économies d’échelle à de nombreuses fonctions de l’entreprise. ” C’est, d’ailleurs, cela aussi qui a permis à ces entreprises de miser sur la ” scalabilité ” de leur business, un terme intraduisible en français mais constamment utilisé par les entrepreneurs de la tech, inspirés par les Gafa. Pour Pierre- Antoine Dusoulier, fondateur d’Ibanfirst, fintech bruxelloise en pleine croissance (déjà 200 collaborateurs ! ), l’obsession de la scalabilité de son activité inter- vient dans toutes les décisions de la start-up. ” A chaque fois que l’on développe une fonctionnalité ou que l’on investit dans quelque chose, glisse l’entrepreneur, on voit si cela entre dans cette vision de scalabilité, si cela la facilite ou la rend possible. ” Ainsi, les clients d’Ibanfirst désireux d’obtenir de l’aide ne peuvent pas joindre un vendeur par téléphone : tout se fait sur la plateforme. ” On pourrait, encore aujourd’hui, gérer l’aide par téléphone et cela nous coûterait moins cher, insiste Pierre-Antoine Dusoulier. Mais on préfère investir beaucoup dans le développement informatique pour être prêts pour le futur, lorsque cela nous coûterait bien davantage de gérer le tout par téléphone. Nous travaillons aujourd’hui de sorte à être en mesure de supporter des millions de clients… ” Bien sûr, parvenir à ce résultat implique l’usage du logiciel. ” Les entreprises d’aujourd’hui doivent donc se demander comment utiliser les technologies pour que le coût d’opération par client soit fortement décroissant, ou indépendant de la taille de la base, notent Guillaume Gombert et François Druel. Réduire son coût, donc, mais sans réduire les gains pour le client ou pour son entreprise. ”
4. L’adaptation instantanée et permanente
Alors que les constructeurs automobiles traditionnels lançaient leurs nouveaux modèles après des cycles d’évolution qui se comptaient en années, Tesla a imaginé proposer un modèle susceptible de connaître de nouvelles évolutions en étant mis à jour… à distance, comme un smartphone ou une appli. Une révolution loin d’être anodine puisqu’elle témoigne d’une autre vision fondamentale des géants du Net : l’évolution permanente de leurs produits et services. Cela implique notamment qu’ils acceptent de mettre sur le marché des produits pas totalement parfaits ou finalisés mais qui peuvent déjà être utilisés correctement. Des imperfections qui seront corrigées au fil du temps… notamment grâce aux retours des utilisateurs. L’analyse fine des comportements et des attentes des clients, via la donnée, leur permet d’ailleurs d’améliorer en permanence ces produits. Quand a été lancée Pokémon Go, l’une des grandes applis buzz de ces dernières années, la version qui a directement été téléchargée des centaines de millions de fois n’étaient qu’une version bêta… Cette attitude des acteurs du numérique constitue l’une de leurs forces : elle leur permet de proposer une innovation permanente sur le marché.
Comme chez Apple, nos projets sont découpés en petits morceaux, ce qui nous permet d’être très réactifs, de nous adapter et de livrer rapidement nos clients. ” Fabrice Brion (i-Care)
5. Management pirate et organisation flexible
” Management de rupture “. Voilà comment les auteurs de Gafanomics qualifient l’approche managériale des Gafa. Une approche qui va bien au-delà de la coolitude de leurs patrons qui s’affichent en t-shirt ou survêtement branché à tous les événements publics, même les plus prestigieux. Dans leur vision du recrutement et des équipes, les géants de la tech font généralement preuve du plus grand pragmatisme : engager des talents plus que des C.V., recruter ” des potentialités et non des réalisations, des leaders et non des suiveurs “, observent Guillaume Gombert et François Druel. Et l’on sait bien sûr que les Gafa, même s’ils ont aujourd’hui la taille de grandes entreprises mondiales, organisent leurs équipes en mode agile, les font travailler sur des projets. Une approche ” généra- tionnelle “, selon Fabrice Brion. Le CEO du groupe de maintenance prédictive belge I-care a en effet constaté qu’il avait mis en place une approche… proche de celle imaginée par Steve Jobs chez Apple. ” Chez I-care nous avons une structure cellulaire, explique-t-il. Les équipes sont organisées comme des briques spécialisées dans certains domaines et ces briques interviennent de manière différente en fonction des projets, parfois en tant que leader et parfois pas. Et les projets sont découpés en petits morceaux, ce qui nous permet d’être très réactifs, de nous adapter et de livrer rapidement nos clients. ” Cette ” agilité ” a d’ailleurs, aujourd’hui, percolé dans de nombreuses entreprises, au fur et à mesure. Et cela implique également, une remise à plat des hiérarchies pour obtenir un circuit très court de validation. Impossible, en effet, de faire du testing (les Gafa sont spécialistes de l’A/B testing) et des développements rapides sans obtenir une décision rapide de la hiérarchie.
Mais une autre grande particularité des géants du Web, c’est leur attachement aux données chiffrées… qu’ils appliquent aussi dans leur gestion des équipes. La technologie tient une grande place dans leur fonctionnement : toute activité est mesurée, suivie, évaluée, comparée. Google utilise la méthode OKR ( objectives and key results) mise en place par ses deux fondateurs pour piloter son personnel et ses projets. Cela consiste, en très résumé, à pousser ses équipes à fixer des objectifs quantifiables et publics et des sous-résultats clés, eux aussi quantifiables. Cette méthode a, depuis, été importée dans de nombreuses sociétés de la Silicon Valley et des start-up partout dans le monde. Youri Dauber, le CEO de Cohabs, l’applique dans son entreprise de coliving : ” Chacun dans la start-up s’approprie ses objectifs, mesurables et tangibles, et l’on organise des reviews tous les trois mois. Cela évite le micro-management et offre une vraie autonomie aux employés. Ce qui les motive. C’est une approche qui colle particulièrement aux plus jeunes qui entrent pleinement dans cette dynamique “.
6. La mort de l’exercice fiscal
S’il est bien une chose qu’ont compris les investisseurs dans Amazon, c’est la vision à long terme. Jeff Bezos, l’initiateur de cet e-commerce, aujourd’hui le plus gros du monde, a toujours parié à (très) long terme : au lieu d’en faire rapidement une machine à cash, il a préféré réinvestir au maximum pour améliorer l’expérience des clients. Il a longtemps sacrifié les marges d’Amazon (et inquiété les observateurs) pour réduire les coûts des frais de port ou pour investir dans la logistique, notamment. Résultat ? Il est parvenu à séduire et fidéliser des centaines de millions de personnes dans le monde. Et puis, Amazon a commencé à afficher des bénéfices. ” Il ne s’agit plus de vendre des produits les uns après les autres, analysent les auteurs de Gafanomics, mais de faire en sorte que chacun de ses clients trouve des solutions à ses problèmes, jour après jour. Le retour sur investissement se place lui aussi sur le long terme, voire le très long terme. ” Autrement dit, les géants de la tech changent totalement d’échelle de temps : ils ne regardent plus les années mais… la durée de vie des clients. Selon Guillaume Gombert, ils ne regardent plus vraiment l’exercice fiscal annuel mais plutôt la valeur que chaque client leur apportera tout au long de leur relation. Au niveau comptable, cela se traduit par une approche organisée non pas autour des marges mais des revenus moyens générés par chaque client. Une approche qui renforce la centricité de ces clients dans le business model. Pour augmenter cette valeur, les Gafa s’appuyent dès lors sur la relation de confiance établie avec leurs utilisateurs pour leur proposer toujours plus de services répondant à leurs attentes. Une réalité qui implique que les indicateurs de pilotage des Gafa, comme l’Arpu (le revenu moyen par utilisateur), deviennent de véritables indicateurs financiers. Ainsi Facebook n’hésite jamais à présenter aux analystes de nouveaux indicateurs, tel le ratio entre utilisateurs gratuits et utilisateurs payants…
C’est la richesse de la créativité et des usages de leurs clients qui fait la richesse des Gafa.
7. Ouverture y compris avec la concurrence
Trois milliards de dollars. C’est la somme que payait (selon certaines estimations) Google à son grand rival Apple pour l’intégration de ses services (recherche, cartographie, etc.) dans les appareils de la firme à la pomme. Un ” deal entre ennemis ” plutôt surprenant. Bienvenue dans l’univers des Gafa et des géants de la tech qui, terre à terre, acceptent que leurs rivaux puissent également être des partenaires lorsqu’il s’agit d’améliorer l’expérience de leurs utilisateurs. D’ailleurs, en poursuivant cet objectif, ils ont poussé à son maximum le concept d’écosystème. Pas seulement avec les concurrents, bien sûr : ces sociétés se considèrent le plus souvent comme des interfaces, voire des infrastructures, sur lesquelles peuvent venir se greffer une multitude d’acteurs. Prenez l’Appstore d’Apple : il offre à n’importe quel développeur ou entreprise de proposer ses services sur le téléphone de la marque. Banal aujourd’hui mais novateur au début. Mais cette ouverture va bien au-delà du concept de marketplace. Permettre l’intégration de ses services dans les services des autres et inversement constitue l’un des fondements des Gafa. C’est pour cette raison qu’est apparu le concept d’API, méthode de communication entre les différents services numériques. L’application If This Than That (ITTT) illustre parfaitement ce propos : ses utilisateurs peuvent lier leurs comptes à de multiples autres applications (de Dropbox à Gmail en passant par les lampes connectées, la sonnette connectée, etc.). Résultat, ils peuvent générer de nombreuses règles d’automatisation. Chaque service voit, dès lors, son usage et sa valeur renforcée. ” Les entreprises qui n’offrent pas de possibilité d’intégration se coupent de la communauté des différents acteurs de leur écosystème, écrivent les auteurs de Gafanomics. Pour les Gafa, la création de valeur ne repose pas seulement sur un produit ou un service, mais également sur le potentiel de créativité des clients. C’est à eux de créer des choses utiles en mettant à profit les services proposés par les Gafa. Autrement dit, c’est la richesse de la créativité et des usages de leurs clients qui fait la richesse des Gafa. ” Waze constitue, à ce titre, un excellent exemple. Ce service gratuit utilisé par de nombreux automobilistes permet à chacun de signaler un embouteillage et un incident. Un système qui assure à chaque utilisateur d’obtenir un meilleur service. Et qui permet à Google, propriétaire de Waze, de transformer les utilisateurs en ” capteurs ” et d’ainsi considérablement améliorer son service. ” Si Waze était payant, notent Guillaume Gombert et François Druel, il rapporterait un chiffre d’affaires proportionnel au nombre d’utilisateurs payants : mais sa valeur serait incroyablement plus faible, et les gens cesseraient sans doute de payer pour ce service. Dans la nouvelle économie, il faut envisager la création de valeur sous forme de boucles et non plus de chaîne ! ”
8. Accepter d’orchestrer plutôt que de produire
La stratégie d’ouverture décrite ci-dessus constitue l’un des soubassements du modèle d’entreprises comme Uber ou Airbnb, que certains décrivent comme des descendants des Gafa. Ces firmes mondialement connues ont, en effet, imaginé développer leur activité sur une série de ” briques ” qui ne sont pas à elles. Airbnb s’est lancé dans un business proche de l’hôtellerie et propose des millions de ” chambres ” sans en être propriétaire et sans disposer de la moindre femme de chambre ou du moindre concierge. Pareil pour Uber avec les véhicules et les chauffeurs. Ces entreprises ne considèrent pas que les chambres, les voitures ou les titulaires de permis de conduire, soient des biens rares. ” En réalité, Uber construit un service de mise en relation, lit-on dans Gafanomics. Le produit (l’offre de transport ou de logement) ne sert qu’à offrir une expérience à des clients. ” C’est cette expérience, encore une fois, qui a de la valeur. Résultat : elle s’est construite de manière à être la plus fluide possible même si, à cette fin, elle devait s’appuyer sur des briques non développées en interne. La cartographie sur laquelle s’est érigé Uber à ses débuts provenait de Google. Et les systèmes de paiement, d’autres acteurs comme Paypal. C’est en jouant les chefs d’orchestre qu’Uber et Airbnb sont parvenus à proposer une expérience d’utilisation la plus simple possible, bouleversant les codes des industries où ces nouveaux géants de la tech se sont lancés.
9. L’information (data) comme source de création de valeur
Inutile de repréciser à quel point le modèle des Gafa se base sur la gestion et la compréhension des données. En réalité, ceux-ci sont parvenus à totalement inverser l’approche traditionnelle des entreprises sur cette question et surtout sur ce qu’on appelle les ” tâches de gestion “. Ces dernières ont en effet longtemps été considérées comme ” une sorte de mal nécessaire, analyse Guillaume Gombert. Dans les entreprises traditionnelles, la gestion doit s’adapter aux nécessités de la production et de la vente. Ainsi en était-il de l’informatique hier et aujourd’hui du numérique. ” Trop souvent, celui-ci est donc considéré comme un centre de coût, une dépense, et pas un investissement. On le voit comme un moyen d’automatiser des tâches de gestion, ” sans en valoriser les données d’usage, rappellent les auteurs. Ces systèmes de gestion de la relation client ne traitent dès lors pas les données de consommation en temps réel et donnent une vision comptable des usages, c’est-à-dire a posteriori et figée “. D’autant que les données ne sont généralement disponibles qu’en petites quantités et non exhaustives.
Dans les entreprises traditionnelles, le numérique est trop souvent considéré comme un centre de coût, une dépense, et pas un investissement.
Les Gafa, eux, ont une approche tout à fait différente : l’information, la data, devient un actif stratégique qui génère toute la valeur ajoutée de leur démarche. Et ces mastodontes du Web en détiennent des tas, qu’ils analysent en temps réel. C’est la donnée qui leur permet, d’ailleurs, d’assurer l’adéquation entre leur offre et la demande des utilisateurs…
10. Entreprise intime : la personnalisation
Ce film est recommandé pour vous. Netflix ne s’y trompe pas souvent : ses recommandations sur mesure pour chaque utilisateur se basent sur une analyse détaillée de leurs comportements, de leur historique de visionnage, etc. Les Gafa s’en sont fait un point d’honneur : proposer à chacun une expérience personnalisée. Ils y parviennent, bien sûr, grâce à leur incroyable potentiel d’analyse de leurs gigantesques sets de données. Mais aussi grâce à leur souplesse et leur approche centrée sur les besoins et les problèmes de leurs utilisateurs. ” Ils parviennent à connaître les habitudes de leurs clients comme y arrivaient les épiciers de quartier dans le passé, observe Guillaume Gombert. Ils savaient que Madame Dupond venait tous les samedis et que Monsieur Pierre aimait telle variété de pommes. ” Ces épiciers avaient créé une véritable intimité et connaissaient vraiment leurs clients. Les géants de la tech y sont parvenus avec des centaines de millions (ou des milliards…) d’utilisateurs. Cette approche ne serait toutefois pas réservée aux Gafa ou aux acteurs de la tech, selon les auteurs de Gafanomics. Elle peut notamment être déployée grâce à l’intelligence artificielle, capable d’analyser les données de consommation dont disposent les entreprises. Une analyse accompagnée d’une réflexion sur la manière de donner aux clients des ” leviers de contrôle “, car ” l’intimité avec les clients passe par la possibilité de disposer, selon les auteurs, d’un certain niveau d’autonomie “. Une intimité qui pourrait aussi s’envisager avec une présence physique de proximité ou toute approche susceptible de créer un lien réel avec l’utilisateur… Voyez I-care, où la personnalisation de la solution de maintenance prédictive s’est imposée. ” Même dans l’industrie où nous opérons, les clients ont des besoins de plus en plus spécifiques, note Fabrice Brion, le CEO. Une solution qu’on propose à un fabricant de vaccin ne s’applique pas à un producteur d’acier. Mais cette personnalisation implique, évidemment, une agilité en interne pour pouvoir nous adapter rapidement.”
* François Druel, Guillaume Gombert, Gafanomics, éditions Eyrolles, 236 pages, 20 euros.
“Les Gafa nous inspirent, mais on tient compte de la spécificité locale”
” Il y a quelques années, on prédisait la fin des banques, remplacées par des géants du Net, réagit Geert Van Mol, chief digital officer de Belfius. Mais on voit aujourd’hui que l’évolution est très différente. Et chez tous nos clients, l’application Belfius se retrouve sur le premier écran du smartphone. Bien sûr que les Gafa nous ont inspirés, de même que les néo-banques, sur l’instantanéité, l’expérience utilisateur que l’on veut parfaite et la personnalisation, notamment. Nous voulons nous positionner pour faciliter la vie de nos clients et adoptons à cette fin une stratégie de plateforme avec des intégrations, notamment la convergence avec Proximus sur laquelle nous travaillons. Cela augmentera la “relevance” de notre application et nos services. Cette approche qui vise à faire de l’appli Belfius une plateforme a impliqué une organisation spécifique en interne avec la mise en place de certaines divisions spécifiques, comme la division data pour assurer l’instantanéité des informations. De manière générale, nous faisons le maximum pour apporter de la valeur ajoutée en permanence aux clients, comme le font les Gafa. Ceci étant, nous entretenons néanmoins quelques différences. Les géants du Web ne font par exemple pas le ‘dernier mile’ au niveau local, notamment dans les domaines de l’immobilier, la mobilité ou les télécoms. Les spécificités locales sont trop compliquées pour eux et nous misons là-dessus. Par ailleurs, autre point sur lequel nous ne nous inspirons pas non plus des Gafa : la gestion des datas, qu’on ne vend pas aux annonceurs. Nous n’utilisons ces dernières que pour être plus pertinent. ”
Data et cohortes pour piloter sa boîte
” Inspirés par l’approche des Gafa, nous avons mis en place et investi dans une équipe de 10 personnes (ce qui est pas mal pour une entreprise de 200) qui ne gère que des données, détaille Pierre- Antoine Dusoulier, fondateur de la fintech Ibanfirst, spécialisée dans les paiements internationaux. C’est en effet là que se trouve la valeur. Ses collaborateurs récupèrent et classent la donnée, faisant en sorte que l’on puisse l’exploiter correctement à des fins de marketing, de finance ou encore de direction de la boîte – cela permet, notamment, d’avoir une bonne gestion des cohortes de clients. Concrètement, cela signifie qu’on regroupe certaines catégories de clients et qu’on les analyse jusqu’à en prédire les comportements. L’enjeu est clé pour nous : c’est quand on connaît bien le comportement de ces cohortes, que l’on sait quand les clients sont arrivés chez nous, comment ils se comportent, etc., que l’on sait ce qu’on peut investir. Cette infirmation nous permet d’ajuster nos investissements parce que nous pouvons déterminer combien chaque euro investi va nous rapporter et quand. C’est un outil de pilotage indispensable dans mon business… ”
Gérer 400 chambres à deux
La start-up Cohabs combine tech et immobilier pour pousser le ” coliving ” comme un mode de vie chez les jeunes actifs branchés. Aujourd’hui, 16 personnes gèrent plus de 300 chambres réparties dans plusieurs bâtiments à Bruxelles et bientôt à New York. Dans le développement de leur firme, les trois fondateurs de Cohabs, François Samyn, Youri et Malik Dauber, s’inspirent à de nombreux égards des Gafa pour chambouler l’approche du monde de la location immobilière. Deux exemples.
Mobile first
Voilà quelques années que les Gafa ont érigé le mobile comme style de vie. Et, aujourd’hui, pour de plus en plus de consommateurs, le smartphone constitue non plus le second, ni même le premier écran… mais le seul. Le célèbre slogan ” mobile first ” tend désormais à se transformer en ” mobile only “. Chez cohabs ” tout se gère avec notre appli mobile, insiste Youri Dauber, CEO de Cohabs. Il n’y a pas de plateforme web. De la signature du bail aux états des lieux d’entrée et de sortie en passant par le suivi des loyers, tout est sur mobile “. Une facilité pour les locataires qui peuvent également gérer les soucis techniques (fuite, casse, problèmes de serrures, etc.) directement depuis leur smart- phone. En phase totale avec l’approche Gafa, mais aussi un véritable intérêt opérationnel permettant de limiter les interventions de l’équipe.
Croissance à coût nul
” Nous ne proposons pas un software mais nous nous inspirons pleinement du concept de croissance à coût nul dans nos développements, précise le CEO. Dans des start-up précédentes, nous avons constaté que la croissance nécessitait souvent des recrutements. Ce qui pouvait devenir un frein, voire une limite. Pour Cohabs, nous essayons de limiter cette contrainte au maximum. Et nous arrivons à gérer, à Bruxelles, 330 chambres avec seulement deux personnes dédiées, l’une pour le remplissage des chambres et l’autre pour les aspects pratiques et la gestion des incidents. ” Pour y parvenir, la start-up a automatisé un maximum de processus. L’état des lieux se fait dans l’application. Il n’y pas de remise des clés aux nouveaux locataires : tout passe par des codes à distance. Et la gestion des incidents se filtre via un bot également dans l’app. ” Sans le numérique, nous n’y arrive- rions pas. Et cela nous permet d’envisager de nouvelles ouvertures de chambres sans pour autant devoir renforcer sensiblement les équipes “, se réjouit Youri Dauber, qui estime à 400 le nombre de chambres qui peuvent être gérées sans problème avec seulement deux employés.
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