Soins de santé: place, enfin, à la concertation!

La réforme du conventionnement dans les soins de santé, un chantier qui s’annonce gigantesque. © Belgaimage

Une loi-cadre de réforme, mal ficelée et déconnectée du terrain selon médecins et mutuelles, a enflammé les acteurs belges des soins de santé ces dernières semaines. Avec, en point d’orgue, une grève des médecins le 7 juillet dernier. L’accord de l’été de l’Arizona, tout en confirmant certains grands principes, a sifflé la fin de la récréation. Place aujourd’hui à la concertation et à un chantier qui s’annonce gigantesque.

La Belgique n’avait plus connu ça depuis les années 1960 et 1970. Le 7 juillet dernier, à l’appel de l’Association belge des syndicats médicaux (ABSyM), les médecins belges se sont croisé les bras. La grève a été plutôt bien suivie, singulièrement chez les spécialistes. En cause, la loi-cadre dite loi de révision du modèle de conventionnement présentée, pour la première fois en mai et à la surprise générale, par Frank Vandenbroucke, le ministre fédéral de la Santé publique.

Un certain nombre de dispositions ont déclenché l’ire des blouses blanches :

  • suppression du conventionnement partiel,
  • liaison entre les primes Inami (prime de qualité, prime télématique, prime d’accréditation ou encore prime pour la pratique intégrée) et le conventionnement,
  • limitation des plafonds des suppléments d’honoraires d’ici 2028 à 125% du tarif de base pour les soins hospitaliers et à 25% en soins ambulatoires,
  • retrait du numéro Inami pour des raisons autres que disciplinaires,
  • durcissement des conditions d’acceptation des conventions par les partenaires de la médico- et dento-mut, etc.

Et même si Solidaris a lancé une pétition nationale, un peu virulente, en réponse à “la mobilisation croissante de certaines corporations de médecins spécialistes opposées à toute régulation” pour “affirmer que la santé est un droit fondamental et pas une marchandise”, les mutuelles n’ont pas plus aimé la façon de procéder.

“Le ministre a agi avec précipitation, souligne Xavier Brenez, directeur général des Mutualités Libres. Tactique ou imprudence ? Il n’a consulté aucun acteur de terrain. Il y a eu, à raison, une levée de boucliers de ceux-ci. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit de réformes fondamentales qui sont accompagnées de chiffres qui ne sont ni étayés ni analysés. D’où sortent ces 125% et 25% de suppléments d’honoraires ? Certes, j’ai cru comprendre qu’en Flandre, ces 125% correspondent à la moyenne des suppléments d’honoraires des hôpitaux. Mais quid de Bruxelles et de la Wallonie ? Tout cela manque de préparation et, aussi et surtout, d’une vue d’ensemble, c’était aussi le cas avec Maggie De Block.”

“Le ministre a agi avec précipitation. Tactique ou imprudence ? Il n’a consulté aucun acteur de terrain.” – Xavier Brenez, directeur général des Mutualités Libres

Objectif 2028

Lors des négociations de l’accord de l’été, les partenaires de l’Arizona ont sifflé la fin de la récréation et remis les choses à plat. La loi de réforme a été approuvée en première lecture, mais on n’y retrouve plus la suppression du conventionnement partiel, ni les pourcentages des suppléments d’honoraires. Les commissions d’accord qui rassemblent les mutualités et les prestataires de soins (médecins, dentistes, kinés, logopèdes, sages-femmes, etc.) ont reçu une lettre de mission pour délivrer, avant le 31 juillet 2027, une proposition concernant les plafonds maximums avec la possibilité de les détailler finement (spécialités, sous-spécialités, groupes de prestations, etc.). Un groupe de travail mixte avec les hôpitaux fera de même pour les suppléments d’honoraires hospitaliers.

Le texte demande aussi à ces mêmes commissions de se mettre d’accord sur le contenu de la fameuse loi-cadre d’ici à la fin de l’année. Enfin, l’accord de l’été stipule aussi que cette réforme de la convention est interdépendante de celle de la nomenclature et du financement des hôpitaux avec, comme objectif, une entrée en vigueur simultanée le 1er janvier 2028.

“Je pense qu’on rêve en couleurs, assène Xavier Brenez. Le trajet est irréaliste. Car, à côté du coût de ces trois réformes, il faut prévoir de l’argent pour les maintenir. Vu la situation budgétaire, je suis très circonspect. Il faut une projection réaliste du coût des réformes. Nous ne l’avons pas. Dans tous les pays où on a procédé à de telles réformes, il a fallu 10 ans de travail acharné avec maintien de situations transitoires pour corriger des effets pervers. Et nous n’avons que deux ans ?

On eut été mieux inspiré de se limiter à la nomenclature et à la gestion des excès. On reviendra peut-être à cela. Ceci dit, la première mouture du texte de Vandenbroucke était brutale et mauvaise. Ici, le texte conforte la concertation. Toutes les parties autour de la table ont intérêt à s’accorder. Car on voit ce qu’il se passe quand un ministre décide tout seul. Nous connaissons mieux le terrain que lui.”

Indispensables suppléments d’honoraires

Évidemment, l’idéal serait d’avoir une nomenclature qui couvre tous les frais et assure une rémunération correcte à tous. Ce n’est pas possible aujourd’hui, même si tous les acteurs, y compris médicaux, confirment la nécessité de cadrer les suppléments d’honoraires.

Frank Vandenbroucke Le nouveau texte proposé par le ministre fédéral de la Santé publique conforte la concertation. © Belgaimage

“Les suppléments d’honoraires permettent aux hôpitaux, sous-financés, de boucler leur budget, souligne Thierry Wildschutz, chef du service d’urologie au CHU Tivoli. Venir chercher des sous dans les poches des médecins, c’est la seule solution pour les institutions. Il faut aussi sortir des amalgames colportés par certains au départ de chiffres bruts. Si je facture ici au Tivoli 1.000 euros de supplément d’honoraires, 550 repartent à l’hôpital pour financer du matériel, du personnel et soutenir des services moins rémunérateurs. Sur les 450 restants, je suis fortement taxé et 200 partent dans les poches de l’État.

Ça, c’est la réalité des chiffres. J’ai envie d’ajouter qu’un plombier qui vient à 19 heures vous dépanner demande un tarif adapté. Tout le monde trouve cela normal, mais moi, qui fait plus de 60 heures par semaine et qui opère parfois pendant neuf heures sans savoir à quelle heure je vais rentrer, je ne pourrais pas ? Je fais un peu de privé et je pratique le tarif conventionné sans supplément.”

“Les suppléments d’honoraires permettent aux hôpitaux, sous-financés, de boucler leur budget.” – Thierry Wildschutz, chef du service d’urologie au CHU Tivoli

Logiquement, les suppléments d’honoraires permettent aux spécialistes qui pratiquent en privé et aux dentistes de compenser la valeur trop faible des actes nomenclaturés.

“Les 25% ne m’auraient pas posé de problèmes, assure Matthias Kokot, dentiste déconventionné à Gaurain-Ramecroix. Mais très certainement chez certains de mes collègues. J’envoie certaines dévitalisations compliquées chez un collègue spécialisé. S’il en fait trois sur sa journée avec, à chaque fois, trois heures de travail sur fauteuil, comment voulez-vous qu’il s’en sorte avec la nomenclature et seulement 25% de suppléments ? Ce qui ne va pas non plus, c’est le paiement à l’acte peu importe sa durée. Un détartrage de 20 minutes est facturé de la même manière que celui d’une heure. Ce n’est pas logique et je demande donc un supplément d’honoraires pour le second. Je n’ai pas fait grève le 7 juillet car cela m’aurait puni moi et mes patients, et pas le ministre. Le premier rendez-vous possible est déjà en mars. Perdre une journée complète n’était donc pas possible pour assurer des soins qualitatifs.”

Revaloriser les actes intellectuels

La loi-cadre du ministre a eu une conséquence inédite. Pour la première fois, l’ensemble des professions médicales se sont solidarisées. Sur Facebook, un groupe appelé UBPS, pour Union Belge des Prestataires de Soins, regroupe 10.000 personnes venues de tous les horizons : généralistes, spécialistes, dentistes, logopèdes, kinés, etc. Chacun y est libre d’exprimer ce qui ne va pas dans sa pratique. La revalorisation des actes intellectuels dans la nomenclature y figure en bonne place. Il s’agit de prendre en compte la réalité d’une médecine basée sur l’écoute des patients, qui prend du temps et est bien moins valorisée que celle basée sur les actes techniques. Le tarif horaire de certains est de loin inférieur à celui d’autres professions libérales, malgré les très longues années d’études.

“Sans remettre en question la qualité du travail de mes collègues qui se basent sur des actes techniques, il faut revaloriser la médecine dite intellectuelle, assure Françoise Delmelle, neuropédiatre au CHwapi et en pratique privée, ainsi que l’un des fers de lance de l’UBPS. Cette réforme de la nomenclature, essentielle, est promise depuis des années ! Mon métier a été un peu revalorisé il y a quelques années. Mais les pédiatres, dont le “scope” est très large, n’ont pas eu cette chance. Nous n’avons pas moins de valeur que les autres.

Les suppléments d’honoraires servent à compenser. Il faut tenir compte des frais (secrétariat, local, assurances, logiciel informatique dont le coût vient de doubler, impôts, cotisations sociales des indépendants, etc.), de l’administratif qui prend de plus en plus de temps et pour lequel aucun code Inami n’existe, et du fait qu’un patient neuro demande du temps, de la réflexion et que nous en prenons moins sur une journée. Vous savez, certains actes nomenclaturés n’ont plus été revalorisés, hors index, depuis des décennies !”

Conventionné ou pas ?

Pour que les soins de santé restent accessibles, Frank Vandenbroucke entend encourager le conventionnement et lui donner un coup de pouce financier. Initialement, il voulait lier toutes les primes à ce conventionnement. Logiquement, il en a sorti celle de qualité et celle d’accréditation (accordée aux médecins et dentistes qui suivent des formations). Comme le disait Xavier Brenez, il est dans l’intérêt de tous de conclure des conventions pour éviter que le gouvernement ne décide seul. Une vieille loi de quasi 40 ans stipule, en effet, qu’en l’absence de convention, c’est le ministre qui fixe les prix. Si les généralistes sont conventionnés à près de 90%, il faut s’attendre à un chiffre inférieur l’an prochain quand la nouvelle convention sera proposée.

“Beaucoup de jeunes ne savent pas à quoi ils s’engagent quand ils se conventionnent, explique Sylvie Moinié, généraliste à Ath. Ils tombent des nues quand ils la lisent et se rendent compte à quoi ils s’engagent. Je me suis déconventionnée principalement à cause des gardes. On me demande de partir seule la nuit, alors que les policiers sont toujours à deux, de Mons à Mouscron ? Mais de qui se moque-t-on ? Nous devenons de la main-d’œuvre facile pour compenser des manquements structurels. Mon déconventionnement a été renforcé quand ils ont supprimé les consultations téléphoniques. Ils ne croient quand même pas que je vais faire cela gratuitement ? Imaginez 20 patients qui vous appellent chaque jour pendant 5 à 10 minutes… Cette consultation valait 10 euros brut.

Aujourd’hui, les gens doivent reprendre un rendez-vous pour les résultats de leur prise de sang. Je ne vois pas où se situe l’économie pour l’Inami. Se déconventionner, c’est aussi protester contre la vaccination en pharmacie. Ils ne sont pas formés pour cela. Et qui va-t-on appeler en cas de problème ? Et contre le contrôle administratif de plus en plus intense. Chaque année, je reçois un bulletin qui m’indique que j’ai trop prescrit ceci et pas assez cela. Et ma liberté thérapeutique dans tout cela ? Nous devons suivre de la formation continue et ils voudraient nous coter là-dessus. C’est une blague ? Certes, j’ai perdu la prime à la convention, soit 7.000 euros annuels à placer dans un compte-pension ou une assurance revenus garantis. Je les compense par un petit supplément d’honoraires.”

Tarifs indicatifs

Il faut se rendre à l’évidence, quoi qu’en disent certaines mutuelles, dans l’état actuel des choses, la Belgique a un problème de motivation financière pour les conventionnés. Les primes servent à cela, mais face à des actes nomenclaturés, parfois peu valorisés, les suppléments d’honoraires sont un mal nécessaire. Comme parade, les tarifs indicatifs ont été lancés chez les dentistes, dont 43,03% se sont déconventionnés l’an dernier.

“Ce sont des suppléments d’honoraires officiels convenus avec l’Inami, explique Frédéric Bettens, responsable de la commission chargée des questions professionnelles à la Société de Médecine dentaire et dentiste, avec son épouse, à Waterloo et à Tertre. Pour simplifier, il s’agit de corriger, sans changer la nomenclature et sans toucher au remboursement Inami, un acte trop peu payé. Ce fut notamment le cas avec les dentiers.

Certains de ces tarifs sont d’ailleurs devenus officiels quand on a revalorisé certains actes dentaires. Il y a, dans certains cas, une trop grande différence entre le tarif conventionné et le coût réel. Le tarif indicatif est donc une façon rapide de corriger cela et d’assurer une bonne pratique. En orthodontie, il est impossible de faire sans suppléments d’honoraires et ils vont bien au-delà des 25%. Ceci dit, aujourd’hui, en moyenne, le supplément d’honoraire des dentistes tourne autour des 21%. Nous étions donc dans les clous. Nous verrons comment la discussion va se dérouler et s’il sera possible de fixer ces pourcentages au cas par cas.”

Ces tarifs indicatifs servent aussi à ne pas freiner l’innovation et d’imaginer un prix pour des actes trop récents pour être nomenclaturés. Comme cela a bien fonctionné avec les dentistes, Frank Vandenbroucke entend les étendre aux autres professions médicales.

“L’idée est de le faire progressivement, confirme Xavier Brenez. Cela vaut la peine de tenter l’expérience. Mais il faut faire attention de ne pas ouvrir la boite de Pandore et de se retrouver avec des conventionnés qui facturent des suppléments en tous sens. Ces tarifs peuvent stimuler la convention. Et ils donnent une meilleure sécurité tarifaire que les suppléments d’honoraires. Vu le manque de moyens, tant pour inciter à la convention que pour permettre un coût conventionné suffisant pour tout, je suis partisan d’un essai contrôlé.”

La suppression du conventionnement partiel était une autre grosse pierre d’achoppement de la loi-cadre. La négociation de l’accord de l’été l’a fait disparaître du texte. On en revient donc à la loi actuelle. Dans la concertation qui a précédé le week-end du 21 juillet, le ministre avait lâché du lest aux professions médicales : 60% de conventionnement et un déconventionnement calculé en jour entier (deux jours max donc). Une proposition qui va à l’encontre des réalités du terrain où nombreux sont les spécialistes qui ont des demi-jours à l’hôpital complétés par de la pratique privée. On verra donc ce qu’il deviendra dans les prochaines négociations.

“Les mutuelles n’aiment pas le conventionnement partiel, conclut Xavier Brenez. C’est difficile à comprendre pour le patient. Mais il y a la réalité du terrain. Le conventionnement partiel permet aux hôpitaux universitaires de garder des médecins salariés qui peuvent faire de la pratique privée en dehors avec suppléments d’honoraires. On peut le regretter, mais si on le supprime, ces hôpitaux vont perdre leurs médecins.”

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