Retraites en France, Delhaize en Belgique : l’ère de l’impossible dialogue
Les conflits sociaux du moment illustrent une crise profonde de notre modèle social et de la démocratie. Chaque camp regarde l’autre monologuer, sans comprendre sa logique. Inconciliable?
« Il parle à un miroir. » Au moment de l’allocution du président français Emmanuel Macron, lundi soir, de nombreux syndicalistes lâchaient cet élément de langage. Une façon de dénoncer l’enfermement du locataire de l’Elysée, qui refuse de retirer sa réforme des retraites.
Au même moment, une nouvelle protestation avait lieu dans les, avec des manifestants tapant sur des casseroles pour signifier leur refus d’écouter le président dont le discours est, à leurs yeux, « hors sol ». Une autre façon de se regarder dans le miroir.
L’illustration parfaite d’un dialogue devenu impossible. Que l’on retrouve chez nous, sous une autre forme, dans le conflit social en cours chez Delhaize.
Dialogue de sourds
En France, Emmanuel Macron affirme avoir entendu la colère exprimée par des millions de personnes et reconnaît que ce projet ne suscite pas l’adhésion. Il n’en maintient pas moins le cap : cette réforme des pensions est indispensable, selon lui, pour préserver la soutenabilité du système social. Le président français met sur la table « cent jours d’apaisement » avec des dialogues au sujet du travail ou de l’école. Commentaire du député Insoumis François Ruffin : « Il brasse du vent ».
Sophie Binet, la nouvelle secrétaire générale de la CGT, est apparue consternée sur les écrans de télévision. « Nous n’avons pas de problème avec Emmanuel Macron. Le problème, c’est que sa réforme ne passe pas auprès des Françaises et des Français. » Pour les syndicats, la seule issue est le retrait du texte ou un référendum d’initiative populaire. Pas question de se laisser entraîner dans des discussions « annexes », sur la pénibilité du travail notamment.
Alors que l’âge du départ de la retraite est reporté de 62 à 64 ans, plus tôt encore que dans la majorité des pays européens, le discours syndical est lui aussi « hors sol » : « Il nous vole deux ans de notre vie. »
Une grave crise démocratique
Plus fondamentalement, estime le sociologue Pierre Rosanvallon l’émission Quotidien, Emmanuel Macron « ne voit pas qu’il y a une crise démocratique ». « Effectivement, tout la séquence que l’on vient de vivre est conforme à la Constitution, dit-il. Le 49.3, c’est conforme à la Constitution ; il a promulgué rapidement une loi, c’est conforme à la Constitution ; le Conseil constitutionnel a rendu son avis, c’est conforme à la Constitution… Mais la démocratie ne vit pas simplement de la lettre de la Constitution. La démocratie, elle vit aussi de l’esprit des institutions. »
Pierre Rosanvallon se dit en colère parce que “nous sommes en train de traverser, depuis la fin du conflit algérien, la crise démocratique la plus grave que la France ait connue”. Mai 68, prolonge-t-il, « c’était tranché : à la fin juin, il y avait une dissolution de l’assemblée. »
En cherchant à gagner du temps, le président français risque-t-il de faire pourrir la situation d’ici le 14 juillet ? La législature n’en est qu’à ses débuts, le moment propice pour les réformes qui font mal, mais la séquence fait les beaux jours du Rassemblement National.
Le malaise belge
En Belgique, la réforme des pensions, avec le passage de 65 à 67 ans sous le gouvernement Michel, avait également provoqué un profond malaise politique. Tout comme le gouvernement « MR/N-VA » a radicalisé les positions du côté francophone. Le fossé social, chez nous, se double souvent d’une fracture communautaire, avec une perception différente en Flandre et en Wallonie. A la clé, des négociations sans fin et des blocages au moment de la formation des gouvernements.
Le conflit social actuel chez Delhaize, toutefois, n’est pas loin de générer le même dialogue impossible chez nous. La direction du groupe est convaincue de la nécessité de franchiser les magasins, la droite estime que la franchise est source de dynamisme social, la gauche et les syndicats crient au hold-up social. Une conciliation est en cours.
“Nous sommes face à une vision du capitalisme beaucoup plus dure, dont nous n’avons pas l’habitude en Belgique”, estime Marek Hudon, professeur à la Solvay Brussels School de l’ULB, dans La Libre de ce mardi.
Ce conflit se prolonge alors que les réformes en profondeur (pensions, travail, fiscalité) se heurtent au mur des réalités budgétaires et des avis opposés. En Belgique, toutefois, pas de rapports révolutionnaires : le pays est trop polissé et complexe.
La révolution, elle est annoncée pour le 9 juin 2024 : une explosion de l’extrême droite en Flandre avec le Vlaams Belang et de l’extrême gauche en Wallonie et à Bruxelles avec le PTB.
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