Pourquoi la Belgique fait-elle autant grève?
Beaucoup vantent encore notre modèle de concertation sociale. Mais mérite-t-il tant d’éloges?
Les statistiques de jours de grève par 1.000 travailleurs placent la Belgique en deuxième position, avec 164 jours en 2022, derrière la Finlande (434 jours) et devant le Royaume-Uni et la France.
Le cas finlandais est cependant particulier. L’an dernier, face à une hausse sans précédent du coût de la vie, le pays a été secoué par une vague de grèves touchant divers grands secteurs, comme celui du papier. Mais chez nous, normalement, l’indexation automatique des salaires devrait faire du pays une terre socialement paisible. Or, ce n’est pas le cas. Notre modèle serait-il en panne? C’est ce que pense Jean Hindriks, président de l’école d’économie de l’UCLouvain et ancien membre du Conseil pour la politique des retraites.
“J’ai été témoin de la panne du modèle social lorsqu’il a fallu discuter de la réforme des pensions, observe Jean Hindriks. Nous nous sommes rendu compte que la variable de blocage était la concertation sociale: à un moment donné, un certain nombre de dossiers ont été laissés sur la table et on ne s’est plus parlé. Est-ce dû à un défaut de communication sociale, à une polarisation accrue des acteurs? Je ne sais pas. Mais cette prévalence des grèves dans le pays contraste avec un certain nombre d’indicateurs qui sont plutôt ouverts: des salaires plus élevés que la moyenne des autres pays, des indexations automatiques…”
Ce seraient donc plutôt des éléments immatériels et même “culturels” (au sens large) qui expliqueraient cette colère. “En France et en Belgique, et l’on sent que c’est plutôt la Belgique francophone qui tire la moyenne, il existe une espèce de culture du conflit social”, note Jean Hindriks. Le contraste est frappant avec les statistiques très sages des pays du Nord (Pays-Bas, Allemagne, Danemark, etc.) où règne davantage la culture du consensus et où, comme en Allemagne, les syndicats participent aux organes décisionnels de l’entreprise.
On n’achète pas la paix sociale
“Il doit y en avoir mais je n’ai pas connaissance d’études qui expliqueraient ce recours à la grève chez nous. Mais la grève est un outil d’activisme, et celui-ci se nourrit de mécontentement. Mécontentement de la base (car entre la base et les syndicats, il y a encore un écart) à l’encontre des partenaires classiques de la démocratie représentative”, poursuit Jean Hindriks.
Et mécontentement qui dépasse la question des salaires, ajoute-t-il. “Ces mouvements sont en effet des réactions à des problèmes plus profonds. Il paraît clair que nous avons atteint la limite d’un modèle social qui pensait régler tous les problèmes par l’argent, via l’octroi de primes, de bonus, d’indexations automatiques, etc. Mais on ne peut pas acheter la paix sociale. Il y a des problèmes qui demandent des réponses plus profondes. Comme le manque de respect des enseignants dans les écoles. Ou le sentiment d’insécurité ressenti par les chauffeurs de bus. Ou cette grève à la SNCB concernant une réduction du temps de pause, qui était peut-être un moment d’échange important avant de reprendre le travail. Ou la grande proportion de grèves chez les fonctionnaires qui ressentent une sorte de déliquescence de l’administration. Et s’il n’y a plus de dialogue, s’il y a une absence d’intéressement des travailleurs au sort de l’entreprise, cela devient problématique.”
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici