Röhm, l’heureux inventeur du plexiglas dont le coronavirus a dopé les ventes

Otto Röhm, inventeur du polyméthacrylate de méthyle enregistré en 1933 sous la marque Plexiglas. © Evonik Industries AG, Konzernarchiv Hana

Le groupe allemand Röhm bénéficie à plein du boom de la demande pour les panneaux de protection en verre acrylique. Racheté l’an dernier par le fonds Advent International, il perpétue l’esprit d’innovation d’Otto Röhm, le chimiste qui l’a cofondé en 1907.

Le 13 août, le ministre de l’Economie du land de Hesse s’est offert un bol d’oxygène, dans un contexte industriel plombé par la pandémie, en visitant l’usine de production de plaques de plexiglas du groupe Röhm à Weiterstadt, au sud de Francfort. Là, pas de chômage partiel, pas de machines à l’arrêt mais, au contraire, une grande effervescence pour faire face aux commandes. “A partir de la mi-mars, la demande pour nos panneaux de protection hygiénique est montée en flèche“, lui a expliqué Hans- Peter Hauck, le directeur opérationnel de la société. En cette année 2020, les parois de plexiglas anti-Covid ont colonisé les supermarchés et les commerces, les hôpitaux, les taxis, les guichets des gares, parfois les open spaces.

Même après cette crise, le plexiglas restera dans le paysage, par exemple comme protection contre la grippe saisonnière.”

Même si les plaques transparentes assurent seulement 10 % de ses ventes totales, la société Röhm a accueilli cette frénésie avec le sourire, car le début de l’année fut morose, l’industrie automobile et la construction, en berne, ayant limité leurs achats. Face à des volumes qui ont, selon les gammes, quintuplé voire décuplé, il a fallu réorganiser les lignes de production. Au printemps, le patron, Michael Pack, a d’abord pensé que ce pic d’activité serait éphémère. Mais en ce début septembre, il observe que “beaucoup d’entreprises ayant installé dans l’urgence des protections de fortune cherchent désormais à les remplacer par des solutions beaucoup plus professionnelles “. Il estime par ailleurs que “le virus a a changé le rapport de la société à l’hygiène. Même après cette crise, le plexiglas restera dans le paysage, par exemple comme protection contre la grippe saisonnière”. Les analystes envisagent désormais un taux de croissance annuel du marché à deux chiffres, susceptible de pérenniser l’héritage d’Otto Röhm, inventeur du verre acrylique et cofondateur de l’entreprise.

1,6 milliard : chiffre d’affaires, en euros, du groupe Röhm, qui emploie 3.500 personnes sur 15 sites à travers le monde.

Coup de pouce du hasard

Né en 1876 à Öhringen, ville aujourd’hui située dans le Bade-Wurtemberg, région qui aime à se présenter comme “le land des inventeurs” (Daimler, Bosch, Diesel, etc.), Otto Röhm commence à 15 ans une formation d’apprenti pharmacien, mène ensuite des études universitaires sanctionnées par un diplôme de pharmacien qui lui ouvre les portes du département de chimie de l’université de Tübingen. Il obtient en 1901 son doctorat avec une thèse sur “les produits de polymérisation des acides acryliques”. Il utilise ses connaissances pour perfectionner les techniques de tannerie. En 1907, il s’associe à Otto Haas pour fonder l’entreprise Röhm & Haas qui, dans les années 1910, entame des recherches sur les matériaux synthétiques, à l’époque très coûteuses et sans perspective commerciale établie. Au cours des années 1920, l’équipe maison planche sur la production d’un caoutchouc acrylique. Elle échoue mais met au point le Luglas, un verre de sécurité utilisé pour les parebrises de l’industrie automobile naissante.

Selon les gammes, les demandes ont quintuplé voire décuplé.
Selon les gammes, les demandes ont quintuplé voire décuplé.© Getty Images

Dans la décennie suivante, Röhm & Haas se concentre sur le méthacrylate de méthyle (MMA), qui lui semble prometteur. Comme souvent dans l’histoire de la science, le hasard va lui donner un sérieux coup de pouce. Un monomère de MMA, conservé dans une bouteille sur le rebord d’une fenêtre, va en effet entamer, à la lumière du jour, une réaction de polymérisation qui fait exploser le contenant et donne naissance à un bloc de polyméthacrylate de méthyle (PMMA). Otto Röhm et ses collaborateurs s’émerveillent de découvrir un remarquable succédané organique du verre, d’une transparence saisissante (92 %, supérieure à celle du verre traditionnel), léger, résistant aux UV et aux intempéries, simple à couper, percer et fraiser.

La cellule de recherche parvient ensuite à maîtriser la réaction pour obtenir de fines plaques d’un verre acrylique enregistré en 1933 sous la marque Plexiglas. Thermoformable, le PMMA est immédiatement adopté par les industries automobile et aéronautique et trouve rapidement sa place dans les foyers sous forme d’articles ménagers. Le Plexiglas obtient ainsi le Grand Prix de l’exposition universelle qui se tient à Paris en 1937. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est utilisé dans les cockpits des avions de combat et des bombardiers, ainsi que dans les périscopes des sous-marins.

Porté par le miracle économique

Dans les années 1950, Röhm & Haas, face à une concurrence exacerbée, doit se diversifier. Son plexiglas sera dès lors un des ingrédients essentiels de la société de consommation consubstantielle au wirtschaftswunder, le “miracle économique” allemand. Le tourne-disque radio Phonosuper SK4 de Braun, lancé en 1956 avec un couvercle de protection de la platine transparent, fait par exemple un tabac commercial. Dans les années 1960, les designers d’intérieur et d’ameublement s’amuseront avec la plasticité du PMMA, de même que les artistes du pop art.

Le verre acrylique de Röhm fut ensuite retenu pour coiffer une infrastructure géante et hautement symbolique : le nouveau stade olympique de Munich, construit à l’occasion des Jeux olympiques d’été de 1972. En Autriche, il a permis d’ériger l’un des musées les plus étonnants du monde, en forme de concombre de mer bleu : la Kunsthaus de Graz, inaugurée en 2003. Aujourd’hui, on l’utilise dans des secteurs très variés : pour les hublots des avions, les bulles des sous-marins de poche, les aquariums géants des parcs nautiques, les serres des parcs botaniques, etc.

Ecrans et… soulier sculpture

En 1989, la famille Röhm s’est retirée de l’entreprise et a vendu ses parts au groupe Hüls, lequel fusionnera 10 ans plus tard avec Degussa qui deviendra Evonik en 2007. En 2019, le conglomérat, souhaitant se concentrer sur des marchés moins cycliques et plus rentables, a vendu Röhm au fonds bostonien Advent International. L’entreprise, qui emploie 3.500 employés sur 15 sites de production dans le monde, affichait l’an dernier un chiffre d’affaires de 1,6 milliard d’euros, ce qui fait d’elle un poids lourd mondial du plexiglas, aux côtés du suisse 3A Composites (groupe Schweiter) et de la filiale Altuglas du français Arkema. Ce dernier utilise la marque Plexiglas aux Etats-Unis, puisqu’il a racheté en 1998 une partie du lointain descendant de la branche américaine de Röhm & Haas.

En 2020, Röhm continue de travailler sur des améliorations techniques à apporter aux équipements du 21e siècle, tels que les écrans de tous les appareils connectés, et sur la question du recyclage – possible si la collecte est organisée. De manière plus anecdotique, la société s’enorgueillit aussi d’avoir fourni le bloc de plexigas à partir duquel Christian Louboutin a produit l’un des souliers les plus impressionnants de son exposition actuellement présentée au palais de la Porte Dorée, à Paris.

Par Karl De Meyer (“Les Echos” du 11 septembre 2020).

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