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Qui est le vrai “Super Mario” ?

N’ayant pas beaucoup de considération pour le football, je ne dirais pas qu’il s’agit de Mario Balotelli. Serait-ce alors Mario Draghi, le président de la BCE ? Son style, naviguant entre le banquier central écartant du revers de la main une question trop embarrassante et le professeur expliquant de manière posée un point technique de transmission de la politique monétaire, tranche avec celui de son prédécesseur, bien plus monocorde.

La BCE ne déçoit pas…

Mais voilà, depuis la dernière réunion de politique monétaire, je dois avouer ne plus vraiment être en phase avec la BCE. Pourquoi ? Certains lui reprochent de ne pas avoir tenu ses engagements. En effet, lors d’un discours la semaine précédant la réunion, Mario Draghi avait annoncé que : “Nous ( Ndlr: la BCE) mettrons tout en £uvre pour sauvegarder l’euro, et croyez-moi, ce sera suffisant”. Plus d’un en avait déduit que la BCE allait enfin appliquer la recette de Paul De Grauwe, à savoir acheter autant d’obligations d’Etats qu’il serait nécessaire pour garantir un coût de financement décent à tous les pays de la zone euro. Mais je n’étais pas de ceux-là, car il était illusoire de voir la BCE relâcher à ce point la pression sur les Etats. De plus, le constat fait par la BCE est irréprochable : elle ne peut à elle seule sauver la zone euro. Des réformes économiques et une intégration autre que monétaire sont indispensables pour sauvegarder la zone euro. Financer les Etats en monétisant la dette publique donnerait du répit mais se traduirait inévitablement par de l’inflation bien plus dévastatrice pour les économies que les ajustements demandés. Je ne suis donc pas vraiment déçu par la BCE.

…mais crée le doute

La dernière réunion de politique monétaire me laisse néanmoins un goût amer pour trois raisons : d’une part, la BCE semble continuer à raisonner dans son cadre standard d’analyse. C’est probablement plus confortable et prudent, mais certains pays étant en état de “décrochage économique”, ils sont si loin de l’équilibre macroéconomique des modèles utilisés pour apprécier l’efficacité de la politique économique que ceux-ci en sont presque inutiles. Par ailleurs, comment passer à côté du volet social de la crise, des frustrations, de la colère et de l’instabilité qu’elle génère ? Il n’est pourtant pas honteux pour un banquier central de tenir compte de ces éléments. Au contraire, s’il ne veut pas le faire, autant le remplacer par un bon algorithme de décision. La situation actuelle appelle à mon sens à plus d’audace.

D’autre part, à force de justifier ses actions par son cadre d’analyse économique et son cadre juridique, le discours de la BCE finit par sonner faux. La BCE nous dit que les canaux de transmission de la politique monétaire ne fonctionnent plus et que les réparer entre dans sa mission, mais dans le même temps elle annonce qu’elle ne fera rien tant que les Etats ne se réforment pas d’abord. C’est un peu contradictoire…

Enfin, les contraintes économiques et juridiques sont aussi utilisées pour masquer des désaccords internes entre les membres du Governing Council. N’ayant d’accord sur rien, ce dernier renvoie la balle à des groupes de travail, un peu à la mode des négociateurs politiques belges, pour vérifier les détails, l’impact et les risques des actions qu’elle pourrait entreprendre. C’est louable, mais cela semble aussi une manière élégante de gagner du temps.

En bref, la BCE a peut-être semé le doute sur sa capacité à vraiment maîtriser la situation. Cela pourrait lui être dommageable dans les prochaines semaines.

Le pouvoir limité de “Super Mario”

Revenons à “Super Mario”. Ne serait-il finalement pas Mario Monti, le Premier ministre “technocrate” du gouvernement italien ? Il a des compétences économiques au moins aussi solides que celles de M. Draghi, il sait donc bien que la ligne des réformes est celle à suivre car plus salvatrice que celle de l’inflation. Mais dans le même temps, il me semble intégrer la dimension humaine dans son raisonnement, au point de s’inquiéter récemment que “les pressions qui, ces dernières années, ont affecté la zone euro portent les stigmates d’une rupture psychologique de l’Europe”. Malheureusement, il ne reste plus beaucoup de temps à ce Super Mario pour marquer des points avant d’être game over.

PHILIPPE LEDENT Senior Economist chez ING Belgique Chargé de cours à l’UCL

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