Quand les entreprises familiales surfent sur la vague start-up
Depuis quelques années, boostées par le développement du numérique et des nouvelles technologies, des entreprises d’un genre nouveau ont peu à peu émergé : les start-up. Plus qu’une mode, c’est une véritable tendance de fond qui révolutionne l’entrepreneuriat. Cela n’échappe pas aux entreprises familiales qui, elles aussi, veulent surfer sur la vague.
La “start-up mania” monte en puissance depuis déjà 15 ans, selon Xavier de Poorter, fondateur de la plateforme d’accompagnement pour entrepreneurs et coachs Wikipreneurs. Jeunes, flexibles, dynamiques, numériques, disruptives et très médiatisées, les start-up bousculent les codes de l’entrepreneuriat.
De plus en plus d’entreprises familiales veulent s’en inspirer. Elles ne cherchent cependant pas à se muer totalement en start-up. Un gros paquebot établi depuis plusieurs générations, qui a déjà une certaine taille, avec des produits et des services vendeurs, n’a pas intérêt à se transformer en un catamaran piloté par une petite équipe. ” Il y a des boîtes pour qui cela marche d’être un paquebot “, ajoute Thierry Croix, cofondateur de l’agence de ressources humaines et de communication digitale Go to Next Levels. Elles vont donc seulement s’inspirer de l’un ou l’autre code de cette ” vague start-up “.
Un management plus horizontal
La petite équipe d’une start-up a l’avantage de prendre des décisions beaucoup plus rapidement qu’un grand groupe. Un trait caractéristique dont certaines entreprises familiales sont également pourvues, selon Guillaume de Troostembergh, managing director de LPW Corporate, un groupe familial qui fabrique des piscines. ” De par sa structure de décision, une entreprise familiale est beaucoup plus encline à adopter un esprit start-up qu’une société cotée en Bourse, explique-t-il. Si cette société cotée doit prendre une décision importante, cela doit passer par toute une série d’organes. Elle est donc beaucoup moins réactive. ” A l’inverse, une entreprise familiale a souvent une structure plus simple : le pouvoir de décision est concentré entre les mains de la famille. ” S’il y a un changement important sur le marché, elle va prendre une décision et la mettre en place plus rapidement. ”
Avec un management plus horizontal, les employés participent volontiers à la création de nouveaux produits.
Néanmoins, au fil des générations, une entreprise familiale développe une structure très pyramidale, où les décisions et les informations peuvent circuler au ralenti entre les différents niveaux de pouvoir et entre les différentes implantations. Beaucoup cherchent donc à aplanir cette structure managériale. Un changement qui s’opère généralement à l’arrivée d’une nouvelle génération à la tête de l’entreprise. Guillaume de Troostembergh, 31 ans, s’est inspiré du livre Reinventing Organizations, de Frédéric Laloux, pour revoir peu à peu le management de l’entreprise familiale. L’auteur classe en effet les organisations en plusieurs couleurs, suivant leur structure managériale. Rouge pour une structure très hiérarchisée. ” Le boss décide, les employés exécutent sans comprendre pourquoi “, explique Guillaume de Troostembergh. Orange pour de grandes entreprises où les employés vont être jugés sur leurs performances, à travers des objectifs à atteindre et des évaluations très formelles. Et des structures vertes, qui sont peu hiérarchisées, où les employés sont davantage des collaborateurs.
Créer une ” task force ” pour un nouveau projet
Au-delà de cette nouvelle structure, c’est une véritable culture start-up qui se met en place. Même dans un paquebot de 350 personnes comme le groupe Daoust, actif dans les ressources humaines. ” Le quotidien d’une entreprise de cette taille-là ne fonctionne pas dans un esprit start-up, explique Giles Daoust, 38 ans, CEO du groupe familial. C’est structuré, il y a des agences, un siège social, différents départements, etc. Ces métiers des ressources humaines sont extrêmement lourds du point de vue administratif et législatif. Mais pour une série de projets, comme la création d’un nouveau logiciel, d’un nouveau département ou la refonte d’une procédure, acquérir l’esprit start-up est très important. ”
Il est donc judicieux de dédier à ce nouveau projet une task force. ” C’est-à-dire une sorte de mini start-up, mais en interne, composée de personnes de l’entreprise “, précise Giles Daoust.
La disruption chez LPW Corporate…
Le groupe LPW Corporate, lui, a déjà sauté le pas. Il a créé sa propre start-up, beSteel, en 2014. Le groupe s’est ainsi inspiré d’un autre trait de caractère des start-up : leur capacité à créer un produit ou un service disruptif, de rupture par rapport au secteur d’activité qu’elles visent et ainsi, créer un nouveau marché.
” Nous avons beaucoup souffert de la crise “, se souvient Guillaume de Troostembergh. En pleine embellie, il était donc judicieux de diversifier le groupe. Sa soeur Hélène a donc lancé une nouvelle activité, en parallèle à la construction de piscines : la construction d’ossatures métalliques, des charpentes en acier construites en usine pour être ensuite installées sur chantier pour former la structure des bâtiments. Le frère et la soeur ont donc lancé une spin-off au sein de l’entreprise familiale. ” Lors de sa création, elle a bénéficié de toute l’infrastructure de LPW Corporate : de l’usine à la comptabilité. BeSteel était une nouvelle marque, mais sous le même numéro de TVA. Les bénéfices générés par les activités existantes étaient donc réinjectés dans un nouveau produit. Une start-up normale, elle, part d’une feuille blanche. Comme beSteel a bien grandi, elle est devenue, au début de cette année, une entreprise à part entière avec son propre numéro de TVA. ”
… et chez Poperinge Metal Construction
La même histoire est en train de se produire chez Poperinge Metal Construction, une PME faisant partie du groupe Jonckheere Subcontracting, acquis en 1997 par la famille Schodts. C’est une PME de sous-traitance en tôlerie, qui travaille l’inox et l’aluminium mais qui risque de devenir bientôt un concurrent pour LPW Corporate…
” Nous avions un problème de charge de travail dans la société “, explique Jan-Filip Schodts, sales and business development manager, qui a repris les rênes du groupe familial avec son frère en 2017. Le site de production souffrait d’un manque de commandes et d’une très forte concurrence. Pour pallier ce problème, une analyse des concurrents a été réalisée. ” Et nous avons remarqué que les sociétés concurrentes font souvent coexister de la sous-traitance et des produits qu’elles ont développés elles-mêmes. ”
Jan-Filip Schodts a donc eu l’idée de développer un produit disruptif par rapport à l’activité historique de Poperinge Metal Construction : une piscine en inox. L’idée est de tirer profit de l’expertise de l’entreprise dans le travail de l’inox pour fabriquer des modules, assemblés ensuite sur place, pour construire des piscines chez des particuliers. ” Nous avons déjà fait un premier prototype et rendu visite à des installateurs de piscines pour qu’ils puissent la proposer dans leur gamme “, explique Jan-Filip Schodts. L’entreprise reste ainsi dans un modèle B to B, comme pour son activité de sous-traitance, mais avec de nouveaux clients à séduire. ” C’est le marché final qui, pour nous, est complètement nouveau “, ajoute-t-il.
Des employés plus autonomes et plus créatifs
Habitués depuis une dizaine d’années à travailler par projets pour les clients, ses collaborateurs vont, dans un premier temps, concevoir cette piscine comme n’importe quel autre projet. A la différence que son développement sera plus long qu’un projet traditionnel de sous-traitance. Mais à terme, cette idée pourrait devenir une spin-off au sein même de l’entreprise, comme chez LPW Corporate.
Avec un management plus horizontal, les employés participent en effet volontiers à la création de nouveaux produits. C’est également le cas au sein de la Maison Dandoy, célèbre pour ses biscuits et spéculoos et installée depuis 1829 à Bruxelles.
” Les employés de nos boutiques sont en train de créer ensemble un produit sur base des feed-back des clients “, explique Alexandre Helson, 32 ans, responsable communication, marketing et ventes de l’entreprise, et représentant de la septième génération Dandoy. Les collaborateurs sont plus motivés, s’impliquent et adhèrent donc davantage dans le projet de la maison. Guillaume de Troostembergh ajoute que les travailleurs ont aussi beaucoup plus de responsabilités sur leurs épaules en prenant eux-mêmes certaines décisions, voire en adoptant ensemble leurs buts. Ce ne sont donc plus des objectifs individuels, mais des objectifs de groupe. ” Il y a toujours le chef d’équipe qui est là pour voir si c’est en ligne par rapport aux objectifs de l’entreprise, mais l’initiative vient de la base. ”
Un incubateur de start-up
Le groupe D’Ieteren Auto, lui, est allé un pas plus loin en lançant plusieurs start-up en son sein et en créant son propre incubateur, le Lab Box.
Actif dans la distribution de voitures, VW et Audi notamment, le groupe a installé en janvier de cette année son Lab Box dans le bâtiment Flagey, à Ixelles. Dans l’ open space, à côté des équipes en plein travail, un scooter de couleur rouge accroche le regard. Sur un de ses flancs, on peut lire l’inscription ” Poppy “, le nom d’une des deux start-up hébergées dans le Lab Box.
Active dans les voitures partagées, Poppy a lancé son service à Anvers le 15 janvier dernier. Et à côté de Poppy, la start-up Pikaway est en train de développer une application de transport intermodal. L’idée est de proposer aux utilisateurs plusieurs trajets possible pour chaque destination, qui combinent transports en commun, voitures partagées ou individuelles, vélos, taxis, etc. Ces deux start-up sont entièrement détenues par l’incubateur, et donc par D’Ieteren Auto. Deux projets développés sur initiative de l’entreprise familiale.
Le groupe disrupte donc par rapport à son business d’origine en débarquant sur un nouveau terrain de jeu : celui de la mobilité du futur, davantage connectée, électrique, partagée, voire autonome. Une diversification engagée après une visite dans la Silicon Valley, fin 2016. De retour de Californie, les directeurs du groupe avaient décidé de créer, au sein de l’entreprise, un nouveau département : D’Ieteren Mobility. Cette business unit devint rapidement une entité juridique à part entière (en septembre 2017) pour être davantage autonome et agile, et ainsi éviter d’être ralentie par la structure et les procédures du groupe.
Cette rupture se traduit aussi dans le recrutement. ” En tant qu’ancien DRH, j’ai pris la décision, au lancement du Lab Box, de ne pas engager des personnes du core business, confie Dirk Joos, le managing director. Nous avions besoin de gens avec une ouverture d’esprit maximale. ” Dirk Joos recherchait des intrapreneurs plutôt que des employés. Des entrepreneurs dans l’âme, qui n’ont pas baigné dans la culture du groupe historique et qui sont capables de développer une start-up sans frein.
Avec ces incubateurs, les entreprises familiales seraient-elles devenues le meilleur nid pour faire éclore sa start-up ?
Elles possèdent effectivement des atouts comme l’expérience, la réputation ou les ressources, mais elles peuvent aussi avoir un handicap, selon Frederik Tibau, content director chez Startups.be : capitalisant sur des produits et des services éprouvés, il n’est pas toujours simple de se remettre en question et d’en développer d’autres qui pourraient, éventuellement, concurrencer son offre historique.
Enfin, développer des task forces en mode start-up, lancer des spin-off ou créer des incubateurs implique aussi de donner une certaine liberté à ses équipes. La liberté de bouleverser les codes établis.
Des “millennials” très recherchés
Les différents projets imposent donc de sélectionner de nouveaux talents au sein de la société, voire de recruter de nouveaux collaborateurs. Les millennials, cette génération née entre 1980 et l’an 2000, jouent un rôle important dans cette nouvelle dynamique.
” C’est vraiment la génération, ‘Why ? ‘, qui remet un peu tout en cause “, analyse Grégory Massart, CEO de l’agence de recrutement Whaouw. Mais pour son confrère Thierry Croix, cofondateur de l’agence de ressources humaines et de communication digitale Go to Next Levels, ” nous avons oublié que why, en anglais, veut non seulement dire pourquoi, mais aussi pour quoi “. L’interrogation, mais aussi l’objectif. Pour quelle raison une entreprise veut-elle changer ? Et dans quel but ? Pour aller où ? Il est primordial de répondre aux deux sens de cette question afin de mettre toutes les chances de son côté pour réussir son projet, mais aussi pour le communiquer au mieux à ces nouveaux collaborateurs.
Les millennials sont aussi cette génération née avec le numérique. Ce sont eux qui digitalisent les entreprises familiales en développant les sites web et les applications mobiles, en communicant sur les réseaux sociaux, en dirigeant les budgets marketing vers le référencement sur les moteurs de recherche, ou en installant des logiciels de gestion des commandes et des flux de production. Un nouveau souffle qui prend forme généralement à la transmission de l’entreprise à la nouvelle génération. Dès lors, comment séduire ces millennials ?
Lancer ces projets, revoir l’organisation du travail et aller vers un management plus horizontal contribue déjà à attirer le regard de cette nouvelle génération. Il ne faut cependant pas tomber dans un certain start-up washing : adopter le ” look start-up ” sans en avoir l’esprit et ses actions concrètes. Sans quoi, déceptions et départs seront au rendez-vous.
Pour Grégory Massart, la collaboration doit être gagnant-gagnant. Ces jeunes collaborateurs peuvent apporter des idées nouvelles et être des acteurs de la digitalisation. De leur côté, les entreprises familiales peuvent offrir leur expérience. Il est néanmoins clair que les millennials ne feront plus leur carrière dans une seule entreprise. D’une part à cause de la réalité du marché du travail aujourd’hui, mais aussi parce qu’ils veulent davantage travailler par projet. Et des projets qui les passionnent. Ils ont donc plus tendance à changer de job que leurs aînés, s’ils ne partagent plus la philosophie de leur entreprise ou s’ils ne sont plus passionnés par leur travail.
Pour terminer, il faut veiller au bon équilibre de la pyramide des âges au sein de l’entreprise. Pour Thierry Croix, les anciens ont toujours un rôle important à jouer. ” Je trouve ça triste qu’aujourd’hui, nous n’engageons plus des personnes qui ont plus de 50 ans, explique le cofondateur de Go to Next Levels. Mettez-les avec vos millennials : ils ont plein de choses à se dire et à s’apprendre. “
Les entreprises familiales vitales pour notre économie
Trois quarts des sociétés belges sont des entreprises familiales. Elles comptent pour un tiers de notre PIB et 45 % de l’emploi. C’est pourquoi Trends-Tendances souhaite leur accorder encore plus d’attention. Et ce, via différents canaux de communication.
Chaque mois, votre magazine publie un dossier sur une thématique propre aux entreprises familiales, tandis que Canal Z dresse le portrait d’entreprises familiales originales. Vous pouvez par ailleurs retrouver toute l’information liée à l’entrepreneuriat familial sur www.tendances.be/familybusiness. Et, last but not least, notre newsletter mensuelle Trends Family Business vient compléter l’offre d’information sur le sujet.
Trends Family Business, un projet 360 ° décliné grâce au soutien de BDO et ING.
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