Paul Vacca
Pyramide de Maslow: quand 75 ans de “bullshit” nous contemplent
Du haut de la pyramide de Maslow, 75 ans de “bullshit” nous contemplent. Il est plus que temps de la réduire en poussière.
C’est l’histoire d’une pyramide qui fascine depuis sa création et dont l’aura semble inaltérable. Qu’elle soit montrée dans les séminaires et les salles de classe ou qu’elle se partage sur les réseaux sociaux, elle suscite toujours autant l’admiration. Non, ce n’est pas la pyramide de Kheops, de Khephren ou de Mykérinos. Elle n’a pas été construite en Egypte au troisième millénaire avant notre ère mais édifiée au 20e siècle par un psychologue américain. Publiée en 1943 dans la Psychological Review sous l’intitulé A Theory of Human Motivation, elle est plus connue sous l’appellation de pyramide de Maslow.
Rappelons pour ceux qui n’auraient pas encore eu la chance de succomber à son charme que cette pyramide créée par Abraham Maslow se propose d’illustrer une théorie des besoins humains en les classant par ordre d’importance. Partant de sa base avec les besoins physiologiques primaires (1), on monte ensuite vers les besoins de protection et de sécurité (2), puis on atteint les besoins sociaux (3), puis encore les besoins de reconnaissance ou d’estime de soi (4), et enfin, une fois que tous les autres besoins ont été successivement assouvis, au sommet de la pyramide, on retrouve les besoins d’autoréalisation et d’accomplissement (5). Présentée dans les séminaires de coaching ou partagée sur LinkedIn, c’est le carton assuré: “Woaw! Magique!”, “Tout s’explique!”. Cette pyramide dégage une telle puissance d’évidence. Mais bon sang mais c’est bien sûr: si je ne mange pas à ma faim, je ne vais pas me soucier des besoins sociaux ou d’estime de soi.
Pyramide de Maslow: quand 75 ans de bullshit nous contemplent
Or cette pyramide n’a rien d’évident. Abraham Maslow lui-même avait en son temps rétropédalé, reconnaissant l’avoir publiée à titre d’hypothèse et que, selon le contexte, certains besoins n’avaient pas à être intégralement assouvis pour passer à l’étape supérieure. Et depuis, cette pyramide n’a pas cessé d’être démontée pierre par pierre quotidiennement avec un verdict cinglant: elle décrit tout simplement une réalité qui n’existe pas. Comment expliquer par exemple, à l’aide d’une telle classification, que dans les pays pauvres (qui ne remplissent donc que très difficilement les besoins primaires), les besoins de spiritualité soient très élevés?
Pourtant, même copieusement réfutée et “débunkée”, cette pyramide continue à être partagée et à faire des émules. Comme un canard qui, même la tête coupée, court toujours. Par la grâce opératoire du bullshit. Nous préférerons toujours collectivement une construction simpliste, même fausse, vaguement heuristique à une approche plus construite de la réalité. A l’illisibilité relative des motivations humaines, cette pyramide substitue quelque chose de plus rassurant: une approche linéaire et mécanique. Comme dans un jeu vidéo où chaque besoin constitue une étape à franchir pour accéder à la suivante et à notre réalisation complète en tant qu’être humain.
Cette persistance n’est pas sans conséquence. Car si l’on porte crédit à ce que ce diagramme présente comme une loi humaine – celle d’une accession progressive aux différents niveaux de besoins – pourquoi dès lors se soucier de la sécurité, de l’éducation ou de la culture auprès de populations qui ne parviennent pas à assouvir leurs besoins primaires? Comment comprendre aussi que des adolescents de familles défavorisées puissent ressentir le besoin d’un smartphone comme indispensable outil d’existence sociale même s’ils ont du mal à se nourrir convenablement? Voilà une belle machine à nourrir les préjugés.
Bref, sa soi-disant évidence n’éclaire rien finalement, sinon nos a priori. Du haut de cette pyramide, 75 ans de bullshit nous contemplent. Il est plus que temps de la réduire en poussière.
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