Pour juger une action, voyez le ROCE!
Le bénéfice net ne témoigne pas fidèlement de la capacité d’une entreprise à générer des profits. Il faut donc remonter (beaucoup) plus haut dans le compte d’exploitation.
Les ratios mesurant l’attractivité d’une action sont fort divers : du classique rapport cours-bénéfice, noté C/B ou plus souvent P/E (pour price/earning), au plus sophistiqué “valeur d’entreprise/résultat brut d’exploitation”, cet EV/Ebitda devenu incontournable dans les analyses plus pointues. Il est toutefois un gestionnaire, Jérémie Fastnacht, qui lui, ne jure que par le ROCE, pour return on capital employed, ou rendement des capitaux mis en oeuvre, beaucoup plus rarement utilisé mais seule approche vraiment péremptoire, selon le gestionnaire. Explications.
P/E, PEG, ou P/E de Schiller ?
Le rapport cours-bénéfice (P/E) est l’approche la plus populaire et la plus répandue. Ceci lui confère d’ailleurs une qualité mésestimée : on dispose d’une montagne de données, y compris historiques. Il est par ailleurs très facile à calculer puisque le cours se trouve partout, tandis que toutes les entreprises cotées publient leur bénéfice par action. Les défauts de ce ratio sont toutefois nombreux, à commencer par le fait que le bénéfice est une notion comptable pouvant très mal refléter la capacité d’une entreprise à générer du profit. Il peut même être “manipulé”, tout à fait légalement, par exemple en jouant sur les amortissements et les provisions. Par ailleurs, une entreprise affichant un P/E de 50 est-elle forcément plus chère qu’une autre, au P/E de 15 à peine ? Pas nécessairement car le bénéfice (le dénominateur E) est peut-être en très forte croissance pour l’une alors qu’il stagne pour l’autre.
Le ratio PEG répond à cette critique. Il reprend le rapport P/E, divisé à son tour par la croissance du bénéfice (G, gain). Intéressant, mais peu usité car il pose question : quelle croissance prendre, passée ou future, et sur quelle période ? Louis d’Arvieu, du fonds français Sextant Grand Large, affirmait récemment avoir pour boussole de valorisation le P/E (noté PER en France) de Schiller car cela permet d’être plus exposé quand les marchés sont peu chers, et inversement. Promue par l’économiste américain Robert Shiller, cette variante est bien connue, notamment sous l’acronyme CAPE : le bénéfice retenu est la moyenne des 10 dernières années, pour lisser les écarts conjoncturels. Ce ratio est beaucoup utilisé pour juger du marché en général, guère pour des actions en particulier.
La vogue du ratio EV/Ebitda
Devenu le chouchou des analystes, ce ratio est, comme les précédents, d’autant plus favorable qu’il est faible. L’enterprise value (EV) est une notion un peu particulière, puisqu’il s’agit de la somme de la capitalisation boursière et des dettes de l’entreprise, dont on soustrait les liquidités disponibles. La vocation de l’Ebitda (earnings before interest, tax, depreciation and amortization) qui figure au dénominateur est claire : mesurer les profits réalisés par l’entreprise au niveau le plus brut, avant qu’ils n’aient été perturbés par un traitement comptable. Il s’agit donc d’appréhender au mieux la capacité de l’entreprise à créer de la valeur. Le rapport entre ces deux notions, le ratio EV/Ebitda, est généralement présenté comme le meilleur moyen de comparer des sociétés aux structures financières très différentes, c’est-à-dire peu ou, au contraire, fortement endettées. Il gomme aussi les disparités, notamment fiscales, au niveau international. Il autorise surtout une comparaison très pertinente entre entreprises du même secteur. Défaut : en gommant les dépenses en capital, aussi indispensables que lourdes pour certaines sociétés, ce ratio peut enjoliver la situation. Warren Buffett a du reste déclaré à plusieurs reprises que ce ratio avait été inventé par les analystes pour flatter les résultats…
Mesurer l’efficience véritable
Gestionnaire du fonds BL-Equities Dividend, Jérémie Fastnacht ne tarit pas de critiques sur ces ratios et d’éloges sur celui qu’il affectionne : le ROCE, ou rendement sur capitaux employés. On a compris que, contrairement aux précédents, celui-ci, qui est exprimé en pour cent, doit être le plus élevé possible. “Le ROCE traduit l’efficience avec laquelle une entreprise utilise le capital mis à disposition par les actionnaires et créanciers. Il s’obtient par le rapport du résultat opérationnel, après impôt, sur les capitaux employés, c’est-à-dire la somme des immobilisations et du besoin en fonds de roulement. Résumé simplement, il s’agit de la rentabilité dégagée par l’entreprise sur ce dont elle a besoin pour fonctionner. Ce n’est pas un nouveau ratio à la mode mais simplement une réalité économique logique !”
Le gestionnaire ne prête aucune attention au P/E car, prévient-il, “nombre d’entreprises se traitent structurellement à des P/E faibles, justement parce que leurs fondamentaux sont faibles.” Et d’avancer General Motors et Telefonica. Leur P/E attendu pour 2021 est inférieur à 8, contre une moyenne de plus de 35 pour le marché américain et de près de 19 pour l’européen. Mais leur ROCE moyen des cinq dernières années est inférieur à 5… alors que les meilleures entreprises dépassent 20 (voir l’encadré Les gagnants et les perdants).
Un ROCE élevé peut provenir de marges importantes, comme c’est le cas pour le géant de la carte de crédit Visa, explique encore Jérémie Fastnacht. Ou provenir d’une forte rotation des capitaux employés, ce qui signifie un chiffre d’affaires élevé par unité de capital. Tel est le cas du constructeur d’ascenseurs Kone. Ou encore d’une combinaison des deux, comme cela se vérifie pour le groupe danois Coloplast, leader mondial des produits répondant aux problèmes de stomie et d’incontinence. On a compris que Coloplast, qui affiche un ROCE de l’ordre de 45 %, figure en bonne place dans le portefeuille de BL-Equities Dividend. Tout comme Colgate-Palmolive, notamment, qui affiche 35 %. µ
Les gagnants et les perdants
On doit à Aswath Damodaran, professeur de finances à la Stern School of Business de l’université de New York (où il enseigne notamment l’évaluation des actions), une fort intéressante étude sur le ratio ROCE moyen des secteurs les plus et les moins rentables, et ceci au niveau mondial. Le résultat est un pied de nez à l’investissement ESG (environnement, social et gouvernance) puisque le champion toutes catégories est de très loin le secteur du tabac ! Consolation : les soins de santé figurent également sur le podium…
Les secteurs les plus rentables :
Tabac : 40,6 %
Services d’information : 34,5 %
Services de santé : 30,4 %
Publicité : 25,4 %
Aéronautique, défense : 23,1 %
Articles domestiques : 22,8 %
Semi-conducteurs (équip.) :21,7 %
Services informatiques : 21,3 %
Boissons sans alcool : 20,8 %
Services aux entreprises et consommateurs : 20,2 %
Parmi les secteurs les moins rentables :
Fonds immobiliers : 3,7 %
Construction navale : 4,1 %
Immobilier (services) : 4,6 %
Automobile (et camions) : 5,8 %
Energie : 5,8 %
Gestion d’actifs : 6,- %
Eau (services publics) : 6,4 %
Métaux précieux : 6,5 %
Distribution gaz/pétrole : 6,8 %
Finance durable
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