“Zéro cotisation”, ce cadeau que refusent 30 % des employeurs
En moins de deux ans, 28.000 nouveaux employeurs ont bénéficié de l’exonération de cotisations patronales sur le premier emploi créé. Mais plusieurs milliers d’autres n’ont pas souhaité recevoir ce “cadeau”.
Denis Ducarme se sent un peu dans la peau de l’homme qui pense offrir un joli cadeau et qui se voit dédaigneusement repoussé. Le joli cadeau, c’est l’exonération à vie des cotisations patronales sur le premier emploi créé par une entreprise ou un indépendant. Une analyse fine menée par le Bureau du plan a montré que 30 % des néo-employeurs n’avaient pas sollicité cet allègement du coût de la main-d’oeuvre et que 20 % (un employeur sur cinq ! ) ne bénéficiaient d’aucune des mesures de réduction de cotisations.
Ces statistiques pour le moins interpellantes ont convaincu le gouvernement fédéral de débloquer 50.000 euros pour lancer une campagne de communication autour de cette mesure symbolique. ” Les résultats sont satisfaisants (28.266 nouveaux employeurs depuis le 1er janvier 2016) mais ils peuvent être amplifiés avec une campagne ciblée vers les indépendants qui travaillent seuls “, estime le ministre des Classes moyennes Denis Ducarme (MR). Il prépare une circulaire visant à obliger les caisses d’assurance sociale à informer les indépendants des ” opportunités ” offertes par cette mesure, et envisage de sensibiliser également les incubateurs, les guichets d’entreprise ou les études notariales. ” Ce que j’aime dans cette mesure ‘zéro cotisation’, c’est qu’elle vient en soutien de très petites structures, notamment dans les zones rurales, poursuit le ministre. Aider ces indépendants à développer leur activité, apporter de l’oxygène à toutes ces personnes qui se battent au quotidien, c’est vraiment enthousiasmant. ”
Rien ne justifie une telle réduction permanente. Pour moi, c’est vraiment un non-sens !” Muriel Dejemeppe, économiste (UCL)
L’exonération totale des cotisations patronales sur le premier emploi créé a été lancée le 1er janvier 2016. Déjà à grand renfort de communication, y compris par les secrétariats sociaux (l’UCM avait même lancé le site jengage.be). Le premier trimestre 2016 fut d’ailleurs celui de tous les records avec près de 9.000 nouveaux employeurs enregistrés. ” Nous avions alors connu une explosion des demandes de renseignements, se remémore Charles Martinez, responsable de l’opération jengage.be de l’UCM. Nous avons fait de très nombreuses simulations de coûts et de business plans. Mais parfois, ce n’est qu’un an ou deux plus tard que l’entreprise franchira le pas de l’embauche. Les demandes avaient clairement diminué depuis un an, il est donc intéressant que le gouvernement rappelle que ça existe. ”
Le retour de la période d’essai
Pourquoi près d’un tiers des entreprises concernées n’ont-elles pas reçu le cadeau gouvernemental ? Tout simplement parce qu’elles ne l’ont pas demandé. Au contraire de réductions structurelles, cette exonération n’est en effet pas automatique. L’employeur ou son secrétariat social doivent introduire un dossier, afin que l’administration vérifie si l’entreprise remplit bien les conditions, à savoir qu’elle n’a pas employé du personnel au cours des quatre trimestres précédents ou qu’il ne s’agit pas d’un simple ” reprofilage ” d’une entreprise existante pour bénéficier de la mesure.
” Cette non-automaticité de la mesure est, pour moi, le principal frein à son utilisation, estime Valentin Broquet, juriste chez Group S. L’entreprise qui n’est pas bien conseillée peut alors passer à côté. ” Certains employeurs n’étaient donc pas au courant de l’exonération de cotisations patronales et d’autres ont été rebutés par les formalités administratives, souvent très lourdes en ce domaine. La nouvelle campagne de communication pourrait contribuer à lever une partie de ces réticences.
Denis Ducarme fonde d’autant plus d’espoirs sur cette campagne que le principe de la période d’essai est de retour dans la législation du travail depuis le 1er mai et qu’il inclut des délais de préavis raccourcis pour mettre fin à un contrat durant les six premiers mois. ” Cela apparaît comme un soulagement pour les employeurs, dit-il. Celui qui n’a jamais engagé de personnel a peur de se tromper dans son recrutement, cela nous revenait systématiquement des rencontres de terrain. Je pense donc que le retour de la période d’essai, combinée avec la campagne pour faire mieux connaître la mesure ‘zéro cotisation’, va se traduire favorablement dans les chiffres de l’emploi. ”
Barrières psychologiques à la première embauche
Engager du personnel, c’est travailler en équipe, partager des ressources, gérer des relations et, bien entendu, assumer des frais (mais aussi générer de nouvelles recettes grâce à l’apport des collaborateurs). Bref, une sacrée dose de tracas supplémentaires pour un indépendant. La mesure symboliquement forte du ” zéro cotisation à vie ” sur le premier emploi a été imaginée pour adoucir ces tracas et inciter des indépendants à franchir ” la barrière psychologique ” et à devenir employeurs. ” J’entends cette explication mais existe-t-il une étude en Belgique qui vienne l’étayer ?, objecte Muriel Dejemeppe, économiste à l’UCL et spécialiste du marché du travail. Pourquoi un indépendant hésite-t-il à embaucher ? Quels sont les freins ? Le diagnostic n’a jamais été posé, il est donc difficile de dire quel remède il faudrait appliquer. ” L’économiste s’étonne par ailleurs de voir une exonération permanente arriver en remède d’un obstacle psychologique, par nature temporaire. ” Si les freins sont bien ceux qu’énoncent le gouvernement, je verrais plutôt des aides ponctuelles pour lancer l’activité et prendre en charge des frais annexes pour le recours à un secrétariat social ou une aide au niveau des ressources humaines “, dit-elle.
L’hésitation des potentiels nouveaux employeurs provient aussi des coûts cachés de l’embauche. Le ” zéro cotisation ” ne signifie en effet pas que le salaire brut équivaudra au net : les cotisations personnelles du travailleur restent dues, la complexité de la législation sociale implique l’affiliation à un secrétariat social pour gérer les fiches de salaires (un montant forfaitaire peut être remboursé par l’ONSS dans le cadre des réductions premier emploi), des conventions sectorielles imposent aux employeurs de cotiser à un fonds de fermeture, il faut souscrire une assurance ” accident de travail ” et s’affilier à une caisse d’allocations familiales etc. L’accumulation de ces menues dépenses peut s’avérer douloureuses pour certaines petites entreprises. Autant qu’elles soient correctement informées de l’ensemble des éléments avant de franchir le pas.
” Le plus gros frein à la création du premier emploi reste pour moi la complexité de notre système législatif, déclare Pascale Moreau, directrice en charge de la législation du travail et de la sécurité sociale chez PwC. Cela vaut pour les règles relatives aux heures supplémentaires comme pour les réductions de cotisations sur les groupes cibles. Avec la régionalisation, c’est devenu complètement illisible. A cause de cette complexité, on rate une partie de la cible. ” L’atout principal du ” zéro cotisation “, c’est justement sa lisibilité : accessible à tous, sans condition de statut, d’âge ou de rémunération. Cette facilité permet à la mesure d’être brandie en étendard par un gouvernement qui se veut proche des entreprises. Mais, c’est aussi sa faiblesse : de nombreuses études, notamment de la Banque nationale, ont montré que les réductions de cotisations étaient les plus efficaces en termes de création d’emploi quand elles étaient ciblées sur les bas salaires. Ce n’est pas le cas ici. Une société pourra même, au fil du temps, moduler son premier emploi exonéré (il n’est pas lié à une personne ou à une fonction mais à un emploi dans l’entreprise) pour optimiser sa facture parafiscale. ” Plus le salaire sera élevé, plus la réduction sera importante, c’est en opposition totale avec les conclusions des études scientifiques, clame Muriel Dejemeppe. Rien ne justifie une telle réduction permanente. Pour moi, c’est vraiment un non-sens ! ” ” D’autres mesures prises dans le cadre du tax shift sont orientées sur les bas et moyens salaires, rétorque Denis Ducarme. Il faut observer l’ensemble des dispositifs. Et là, clairement, les chiffres de création d’emplois et de taux d’activité parlent pour nous. ” Mais, convenons-en, il est impossible de savoir si ces chiffres n’auraient pas pu être encore plus positifs avec un autre ciblage des mesures.
Un dispositif qui prépare l’économie de demain
Si l’on peut s’étonner de voir le cadeau ainsi refusé par certains employeurs, il ne faudrait pas non plus en déduire que la mesure est passée complément à côté de sa cible. Au troisième trimestre 2017, 28.266 indépendants avaient en effet franchi le cap de la première embauche, en bénéficiant de l’exonération de cotisations. On est très proche du chiffre de 32.000 emplois avancés à l’époque par Willy Borsus, le prédécesseur de Denis Ducarme. ” Une exonération de cotisations patronales à durée indéterminée, c’est quand même une sérieuse économie pour l’employeur, estime Valentin Broquet, juriste chez Group S. Quand une entreprise est un peu limite financièrement, cet avantage peut vraiment peser dans la balance au moment de décider d’embaucher ou non. ” ” Même dans notre clientèle de groupes internationaux, qui n’est pas la cible de départ, certains ont pu bénéficier de la mesure, renchérit Pascale Moreau (PwC). Ils ne venaient pas pour cela mais ce fut parfois l’un des éléments qui les a décidés à engager un ou deux collaborateurs supplémentaires et dès lors à stimuler l’activité économique en Belgique. On ne peut pas affirmer que cette mesure en particulier a créé tel nombre d’emplois mais elle s’inscrit dans un contexte, avec le tax shift, la réforme de l’Isoc ou le relèvement de la déduction pour investissement. Cet ensemble stimule l’activité et l’emploi. ”
Elle est en outre convaincue que ces dispositifs correspondent aux besoins d’une économie en mutation, aux attentes de ces start-up qui créent deux ou trois emplois à forte valeur ajoutée. ” Nous voyons arriver une nouvelle génération plus entreprenante, précise Pascale Moreau. Ces jeunes lancent des petites structures et il est important de soutenir la création d’emplois au sein de celles-ci. Ils ne possèdent pas forcément tous la base managériale nécessaire. Leur apporter un peu de marge, un peu d’oxygène avec des mesures comme le zéro cotisation peut être très utile. “
Dans une optique plus immédiate, Denis Ducarme y voit aussi une manière de soutenir ” des secteurs très fragiles ” comme le commerce, la construction et l’horeca qui sont les trois plus gros utilisateurs de la mesure. Enfin, élément toujours important en Belgique : la répartition régionale du ‘zéro cotisation’ correspond assez bien à la répartition de la population, avec une légère surreprésentation de Bruxelles au détriment de la Flandre.
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