Willy Borsus: “La réponse aux agriculteurs passera par une hausse de leurs revenus”
Le ministre wallon de l’Agriculture détaille les éléments clés susceptibles d’apaiser la colère des agriculteurs. Les plus importants concernent leur situation financière et une meilleure balance des contraintes environnementales.
Depuis le début de la grogne des agriculteurs, Willy Borsus (MR), ministre wallon de l’Agriculture, ne se cache pas. Il est allé les rencontrer à plusieurs reprises, ce mardi matin encore à Namur. Il plaide pour un maintien du dialogue, alors que les cortèges risquent de bloquer Bruxelles. Il expose à Trends Tendances ses pistes de solutions et regrette que les agriculteurs aient bousculé sa collègue Céline Tellier (Ecolo), lundi soir. Tout en reconnaissant que l’impact de la pression environnementale joue un rôle.
Vous dites comprendre le combat des agriculteurs. Mais comment sortir de cette crise? Les réponses se situent surtout au niveau européen et demanderont du temps, non?
Exact. Mais j’ai beaucoup de compréhension, avant tout, car le malaise est profond et légitime. Un certain nombre d’agriculteurs ne perçoivent plus de revenus ou des revenus trop faibles, leurs investissements sont difficilement assumés, des générations entières de jeunes doutent de leur possibilité de continuer le métier… C’est une crise réelle et complexe. Mais une crise à laquelle il faut répondre.
Comment?
Bien sûr, vous l’avez dit, un certain nombre de décisions se prennent au niveau européen, que ce soit en ce qui concerne la Politique agricole commune (PAC) ou les règles de concurrence. Mais je ne veux pas me réfugier derrière l’Europe, pour deux raisons. D’une part, nous sommes une partie de l’Europe, même si nous ne sommes qu’un pays parmi les vingt-sept. Mais d’autre part, nous sommes à un moment particulier puisque nous assurons la présidence du Conseil de l’Union européenne.
Vous pouvez donc peser sur l’agenda?
Nous un avons un rôle particulier à cet égard, mais nous avons aussi un rôle spécifique pour rapprocher les points de vue et faire des propositions de décisions. C’est une opportunité pour faire bouger les lignes. Mais à côté du niveau européen, il y a des règles qui dépendent du fédéral au niveau sanitaire, avec le rôle de l’AFSCA (Agence pour la sécurité alimentaire) ou des accords commerciaux. Il y a aussi des règles régionales concernant la mise en oeuvre de la PAC, sans oublier des politiques visant à valoriser la production agricole ou à soutenir la diversification des filières, sans oublier des dispositions concernant l’environnement, les produits phytosanitaires…
Mais quel élément particulier permettra de répondre à la colère des agriculteurs?
Les éléments impactant positivement le revenu des agriculteurs sont les plus importants. Il s’agit, par exemple, de restreindre les espaces de jachère et de gel de l’activité agricole, qui représentent plusieurs pourcents des hectares qui peuvent être exploités dans les fermes. Un autre point clé, c’est la concurrence déloyale. Les agriculteurs sont conscients qu’il y a de la concurrence, c’est normal dans une économie de marché. Par contre, ce qui est insupportable, pour eux comme pour moi, c’est quand cette concurrence ne se fait pas à armes raisonnablement égales.
Parce que l’on impose des critères différents, même au sein de l’Union européenne?
Oui. Nous avons des critères environnementaux, sanitaires ou de bien-être animal qui sont souvent d’excellence et c’est très bien comme cela. Ce qui ne va pas, c’est quand on importe chez nous des produits à bas prix qui ne les respecte pas. C’est une compétition inégale. C’est un point majeur.
Un troisième volet concerne la valorisation raisonnable des produits. Les agriculteurs ont la conviction d’être écrasés par la force de pouvoir d’achat des grands groupes qui les achètent. Il y a, en Belgique, un mécanisme qui s’appelle la “concertation chaîne”, qui dépend du SPG Economie au fédéral, qui permet de nouer un dialogue entre les différents acteurs de la chaîne agro-alimentaire. Ce dialogue permet de faire la transparence sur la marge dont chacun bénéficie dans cette chaîne, de la production à la commercialisation. C’est une photo du problème. En France, il y a des essais visant à mieux protéger le producteur et veiller à ce que le prix payé au producteur permettre au moins de couvrir les coût de production, ce qui est assez élémentaire, alors que ce n’est pas toujours le cas, ce qui est intenable. De tels mécanismes permettant de soutenir l’agriculteur doivent être étudiés.
Il s’agit de produire et protéger dans une économie ouverte. Je suis franc: bien sûr, on doit avoir une concurrence à armes égales, mais il faut avoir cette concurrence, qui nous est très profitable par ailleurs. En Wallonie, nous vendons pour 6 milliards de produits agro-alimentaires, dont une bonne partie sont le fruit de productions animales et végétales que l’on commercialise dans le monde entier, que ce soit nos pommes de terre, nos betteraves, notre lait, notre viande… Il faut que l’on puisse tirer profit de notre excellence car nous sommes performants dans bien des secteurs.
Enfin, il y a la balance environnementale. Le monde agricole et moi-même, nous sommes parfaitement conscients des défis climatiques, de la transition environnementale ou de la production des sols. Cela ne peut pas se faire au prix d’un écrasement du monde agricole. Si la conséquence, c’est que l’on ne puisse pas poursuivre son activité, c’est impossible. On doit veiller à cette balance soit maintenue entre la production et cette nécessaire transition.
Un ressentiment fort a été exprimé à l’encontre de Céline Tellier, votre collègue ministre de l’Environnement, conspuée lors de sa rencontre avec les agriculteurs, lundi soir. C’est lié à cela?
Je ne cautionne pas la violence, je plaide toujours pour le dialogue, même si on a des positions radicalement opposées. Mais je sais que les normes environnementales et la pression qui a été très fort au moment des négociations sur la PAC, que ce soit au niveau européen ou wallon, jouent un rôle dans ce climat.
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