Raccordement électrique : la Wallonie propose un fameux dilemme aux entreprises

Cécile Neven (MR) -BELGA PHOTO BRUNO FAHY
Baptiste Lambert

Le réseau électrique belge et wallon souffre face à la demande exponentielle d’électricité. Et c’est un gros problème pour le redéploiement économique wallon. Zonings saturés, projets industriels bloqués : les cas se multiplient. La ministre wallonne de l’Énergie, Cécile Neven (MR), propose à ces entreprises une alternative : un contrat flexible contre un raccordement électrique.

La Wallonie se heurte à un mur invisible : celui de la puissance électrique disponible. Dans plusieurs parcs d’activités, comme Ecolys dans le Namurois, les gestionnaires de réseau ne peuvent plus garantir de nouveaux raccordements. Une longue file d’attente s’installe.

“Nous avons aujourd’hui plusieurs dizaines d’entreprises bloquées”, a admis Cécile Neven lors d’une rencontre avec la presse. Depuis son arrivée au gouvernement, il ne se passe “pas une semaine sans qu’une société ou un porteur de projet ne vienne dire qu’il ne peut plus s’implanter ou s’étendre“.

Dans l’actualité récente, il y a eu le cas emblématique de l’hôtel Van der Valk qui ne peut se déployer à Libin, faute de raccordement. Mais les exemples qui nous remontent sont légion, que ce soit dans le Hainaut ou dans le Brabant wallon, à Nivelles, notamment. Des projets industriels sont ainsi mis sur pause.

Une électrification à grande vitesse

La ministre pointe une “électrification rapide des usages” : mobilité, chauffage, data centers, stockage d’énergie… Autant de facteurs qui exercent une pression inédite sur un réseau vieillissant. “Cette évolution n’a pas été suffisamment anticipée”, reconnaît-elle. Et en attendant un réseau plus solide, il faudra bien s’y faire : “Tout, tout le temps, partout et tout de suite. Ce n’est plus soutenable”, reprenant une formule de Fernand Grifnée, le patron d’Ores.

Le récent investissement de Google de 5 milliards d’euros en Wallonie, pour renforcer ses data centers n’est ici qu’une piqure de rappel de plus, “même si ce dossier-ci ne devrait pas poser de problème. La puissance leur était réservée et a déjà été prise en compte“, commente la libérale.

Contrats flexibles : une limitation de la puissance

Pour répondre à cette situation, le gouvernement wallon vient d’approuver un décret sur la flexibilité en prélèvement (donc, pas en injection). Il permettra, dès la fin de l’année, la conclusion de contrats de raccordement flexibles dans les zones saturées.

Concrètement, les entreprises pourront être raccordées, mais sous certaines conditions : leur consommation pourra être temporairement limitée, en fonction de l’état du réseau. “Cela permettra de débloquer une série de projets en attente, sans attendre la construction de nouvelles lignes”, explique la ministre.

Cette mesure vise les projets qui se trouveraient dans les zones critiques identifiées par les gestionnaires de réseau. Une tolérance dont ne bénéficieront pas les projets de stockage (batteries) : tout le territoire wallon est ici concerné. Les gestionnaires de réseau travaillent actuellement sur la rédaction de ces nouveaux contrats.

C’est donc une sorte de dilemme que proposera le gouvernement wallon : un raccordement contre un contrat flexible, au moins jusqu’à l’adaptation du réseau (ce qui peut prendre de nombreuses années). Mais les futurs projets et ceux en attente d’un raccordement devront compter avec une puissance électrique altérée. Par contre, il n’y aura pas de rétroactivité.

La ministre y voit un moyen d’incitation plutôt qu’un instrument coercitif. Surtout : ce décret permettra de gérer une crise déjà très concrète.

Une réforme de fond en préparation

Le système mettra fin à une pratique critiquée : celle du premier arrivé, premier servi, qui bloque artificiellement de la capacité pour des projets parfois hypothétiques. « Des entreprises réservent de la puissance sur plusieurs sites, sans jamais les utiliser », déplore la ministre. Ces “projets fantômes” sont dans le viseur d’une réforme à plus long terme, d’ailleurs.

Parce que la Wallonie veut aller plus loin. Deux Task Forces ont été mises sur pied : l’une, baptisée “Accès réseaux”, centralise les dossiers bloqués et identifie des solutions locales ; l’autre, “Puissance et flexibilité énergétique”, planche sur une réforme structurelle du cadre de raccordement.

Objectif : aligner les plans d’investissement des réseaux sur les besoins réels des utilisateurs et anticiper la saturation de nouvelles zones. Ces groupes rassemblent les gestionnaires de réseau, le régulateur, les agences de développement territorial et les administrations régionales. Et les premières réunions sont imminentes.

Un enjeu économique majeur

La question du réseau dépasse la seule question de l’énergie. Elle conditionne l’attractivité économique de la Wallonie. Pour Cécile Neven, il s’agit désormais de garantir un accès durable à la puissance, sans creuser la facture des ménages et des entreprises. “Remettre le réseau à niveau partout, ce serait impayable. Il faut trouver un équilibre“, résume-t-elle.

À terme, certains projets seront prioritaires sur d’autres, selon des critères qui restent à définir. L’emploi pourrait entrer en ligne de compte, mais ce ne sera pas le seul. De toute façon, cette limitation de la puissance électrique obligera la Wallonie à faire des choix. Par exemple en favorisant ses secteurs forts : l’aérospatial, la biotech, la logistique et autres. “Il en va du redéploiement économique de la Wallonie”, insiste la ministre.

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