L’Union wallonne des entreprises et les Chambres de commerce s’allient en AKT
Pierre Mottet, président de l’Union wallonne des entreprises, et Philippe Barras, son homologue des Chambres de commerce et d’industrie, se réjouissent d’un rapprochement enfin concrétisé qui témoigne d’une “nécessité absolue d’agir”. “Nous sommes préoccupés par le risque de plus en plus réel que les extrémismes et le populisme mettent en danger notre prospérité économique”, alertent-ils.
C’est un tournant pour la voix des entrepreneurs en Wallonie : l’Union wallonne des entreprises (UWE) et les Chambres de commerce et d’industrie (CCI) s’allient pour devenir AKT. La mutation, annoncée mardi 23 avril en soirée, sera effective en septembre. “Nous voulons créer la communauté des entrepreneurs la plus ouverte de Wallonie”, souligne Pierre Mottet, président de l’UWE.
L’idée d’un tel rapprochement est sur la table depuis longtemps. Au tournant des années 1990-2000, Pierre Mottet avait déjà sillonné la Wallonie avec Jean Stephenne, alors président de l’UWE, dans ce qui apparaîtrait plus tard comme un “acte manqué”. Depuis, le sujet est régulièrement revenu sur table, en vain. “Nous étions la seule Région du pays où cela n’avait pas encore été réalisé, souligne le président actuel. Voilà qui est fait.” Et cette alliance résonne comme une évidence.
“L’Union wallonne est porteuse d’une vision à long terme et accompagne la politique régionale, avec le soutien des fédérations, souligne Pierre Mottet. Les CCI mettent en réseau les entreprises actives au niveau local, tout en les soutenant à l’international. L’ambition, c’est de combiner tous ces échelons pour maintenir et accroître le niveau de prospérité, extrêmement menacé en Wallonie.”
“La situation est grave”
Si l’alliance de ces organes représentant les entreprises voit enfin le jour, c’est en raison d’un contexte qui nécessite une mobilisation générale. “Les défis sont plus importants que jamais, explique Pierre Mottet. Il y a eu la crise Covid, la guerre en Ukraine, mais au-delà de ces conflits, bien des sujets nous préoccupent ; la concurrence économique internationale, l’intelligence artificielle, la politique stratégique agressive de la Chine, voire même celle des grands pays européens qui tirent la couverture du plan de relance à eux parce qu’ils en ont les moyens. Or en Wallonie et en Belgique, nous sommes exsangues au niveau de la dette. J’ajoute à cela les pénuries d’emploi, la transition énergétique, mais aussi la gouvernance publique qui fait défaut…”
Bref, le bateau tangue furieusement. Et ce n’est peut-être pas fini. “Nous sommes fortement préoccupés par le risque de plus en plus réel que les extrémismes et le populisme mettent en danger notre prospérité économique, alerte Pierre Mottet. Alors que nous sommes à un moment où nous avons besoin de mesures réfléchies et rigoureuses, basées sur une vision à long terme. Notre volonté de faire passer ce message-là est une des raisons pour lesquelles nous avons resserré les rangs. Il convient de rappeler que la richesse que l’on partage, il faut d’abord la créer.”
Les entreprises doivent oser porter une voix forte et un regard concret, à long terme, à une époque où le débat public est “phagocyté par les réseaux sociaux”. “Nous devons mettre des faits sur la table, plutôt que des opinions, pour aider à prendre des décisions, insistent les deux hommes. Et cela dans un contexte où certains responsables politiques (Paul Magnette, président du PS, Ndlr) visent les entreprises en disant qu’‘il ne faut pas se tromper d’adversaire’. Nous, nous pensons que la situation est à ce point grave que l’on ne pourra s’en sortir qu’en se rassemblant. Voilà pourquoi nous commençons à faire nous-mêmes ce que l’on demande aux autres de faire.”
“Passer de la parole aux actes”
L’Union wallonne des entreprises et les Chambres de commerce et d’industrie affirment vouloir “prêcher par l’exemple”. “Nous devons impérativement passer de la parole aux actes, dit Pierre Mottet. Il faut que les plans se réalisent. Je me souviens de cette phrase : ‘Etre disruptif en Wallonie, c’est faire ce que l’on a décidé’. Il faut bien reconnaître que c’est un problème. Mettre sept ans pour avoir une éolienne, dont six ans de procédures pour le permis, ça ne va pas. C’est un souci à Namur, mais aussi au niveau des administrations locales. Même chose pour le projet de la Boucle du Hainaut. Ou encore en matière d’emploi : il y a 200.000 chômeurs et 45.000 emplois vacants. Cela témoigne de la nécessité d’avoir un cadre local, mais aussi de prendre des initiatives de terrain au niveau local.”
Les deux instances ont des dynamiques parfaitement complémentaires. Le momentum est lié à l’urgence, mais aussi aux personnalités des deux présidents. “C’est toujours une question d’hommes et d’envies, confirme Pierre Mottet. Mais nous sommes aussi plus que jamais inquiets de ce qui arrivera demain. En alliant l’Union wallonne et les Chambres de commerce, on accélère le passage à l’acte et l’obtention d’un impact.”
La rime en “act” n’est pas le fruit du hasard, au vu du nouveau nom choisi : AKT. Le logo s’inscrit en lettres blanches sur fond mauve. “C’est la dernière couleur de l’arc-en-ciel à n’être pas encore utilisée dans le champ politique francophone, constatent nos interlocuteurs. Nous allons demander que tout le monde passe à l’acte. Il est aussi prévu que l’Union wallonne se recentre physiquement sur Namur.” Actuellement, son siège se trouve dans un zoning de Louvain-la-Neuve.
“S’engager dans la communauté”
Tant l’Union que les Chambres offrent des services à toutes les entreprises de Wallonie. Il ne faut pas être membre pour en bénéficier. “Le périmètre ne va pas s’agrandir, précise Philippe Barras. En revanche, ce que nous souhaitons, c’est avoir des entrepreneurs plus actifs, qui s’engagent dans la communauté. Notre volonté, c’est aussi de soutenir l’esprit d’entreprise, de contribuer à un changement d’état d’esprit dans la Région.”
Le président des CCI prolonge : “Nos chambres n’ont pas l’habitude de faire leur marketing, elles se vendent très mal. Mais on oublie que nous sommes présents dans toutes les grandes villes wallonnes. Chaque année, nous organisons 700 événements. Le réseautage est très important. Nous avons 50 clubs thématiques chargés d’encourager les rencontres et de générer du business. Nous dispensons 140 formations pratiques, avec 50 conférences annuelles. Au niveau international, nous participons au réseau des 39 chambres de commerce bilatérales et à l’organisation mondiale. Nous établissons 52.000 certificats d’origine chaque année et nous encourageons les exportations. Ce qui nous manquait, c’est précisément ce qui se situe entre le local et l’international. Et c’est ce que fait l’Union wallonne, un organisme reconnu et crédible, auprès des gouvernements, au sein de la concertation sociale, avec des capacités d’études que nous n’avons pas.”
Désormais, l’Union et les Chambres vont mettre leurs forces en commun. “Il y a deux ans, lors de la crise de l’énergie, nous avons reçu des coups de téléphone de patrons et de commerçants affolés par leur facture, illustre Philippe Barras. Nous nous sommes alors tournés naturellement vers l’UWE afin de faire passer nos messages vers les autorités. C’est évidemment quelque chose que nous allons approfondir. Par ailleurs, avec nos collègues des chambres de commerce flamandes, nous avons mis au point une certification en entrepreneuriat durable. La transition économique et écologique est une priorité, nous voulons la mettre dans l’ADN des entreprises. Et nous collaborons pour cela avec la cellule environnement de l’UWE. Il en va de même en matière de mobilité, avec des audits gratuits dans les entreprises.”
“Une union, pas une fusion”
En termes de structures, l’UWE et les CCI vont également se rapprocher. “Il est important de dire que c’est une union, pas une fusion, insiste Philippe Barras. Chacun garde son indépendance juridique et financière, ainsi que son propre board. Mais une structure de collaboration va se mettre en place à deux niveaux. Tout d’abord, un comité de pilotage réunira mensuellement tous les présidents et les directeurs des deux instances. Ensuite, une société anonyme commune va être créée, au sein de laquelle nous mettrons tout ce que nous allons faire ensemble, que ce soient les collaborations ponctuelles ou le développement de nouveaux services.”
De même, les prises de position fortes sur l’actualité seront portées en commun. “Nous allons faire de l’intégration partagée, ajoute le président des CCI. Les présidents de nos chambres vont devenir membres administrateurs d’AKT, un représentant de l’UWE participera aux réunions des chambres. Nous avons signé une charte qui reprend cette gouvernance.” “Les rencontres avec les partis politiques que nous organiserons ces prochaines semaines en vue des élections seront menées conjointement”, poursuit Pierre Mottet. Quant au mémorandum en vue des élections, l’automne dernier, il a déjà été concerté avec les patrons des Chambres de commerce.
Le Voka, en Flandre, dispose d’une force de frappe importante. Un modèle ? “Parmi d’autres, rétorque Pierre Mottet. Le nord du pays dispose d’une culture très axée sur l’esprit d’entreprise. C’est moins le cas chez nous, où on le stigmatise encore trop souvent. Notre travail est sans doute plus compliqué à mener. Mais il y a une autre différence : nous intégrons au sein de l’AKT les fédérations professionnelles également, ce qui permet de rassembler tout le monde. Potentiellement, nous pouvons aller beaucoup plus loin en termes d’impact.”
AKT, insistent les deux hommes, c’est vraiment le début d’une nouvelle histoire. “On se connaissait déjà, bien sûr, mais on partagera désormais une maison commune. Tout ira plus vite et de façon plus structurée. Désormais, nos collaborateurs feront partie de la même famille. Nous porterons ensemble ces discours, tant aux ministres à Namur que lors des kermesses aux boudins dans les localités ou dans les loges du Standard.”
Pourquoi une union et pas une fusion ? Pourquoi ne pas aller au bout de la logique ? “Historiquement parlant, les gens ont des patrimoines séparés et le but n’est pas de faire une union patrimoniale, mais bien un combat commun”, détaille Pierre Mottet. “Chaque chose en son temps, acquiesce Philippe Barras. C’est avant tout le moment de mener des actions communes. Tout vouloir faire en même temps, c’est prendre le risque de se planter. Et la nécessité ne s’imposait pas.”
En route, alors.
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