Les conditions de vie de la plupart des Wallons s’améliorent aux dépens de celles des plus fragiles

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Mailys Chavagne
Mailys Chavagne Journaliste

Les inégalités sociales persistent et s’accentuent en Wallonie. Ces dernières années, l’amélioration de la situation sociale de la plupart des citoyens s’est faite aux dépens des groupes sociaux les plus fragilisés, selon un nouveau rapport de recherche de l’institut scientifique public IWEPS.

Comment vivent les Wallons aujourd’hui? Une question à laquelle a voulu répondre l’IWEPS, au vu de la conjoncture actuelle. Pour ce faire, il a réalisé une analyse des impacts des différentes crises et transformations sur l’évolution des conditions de vie et des inégalités sociales en Wallonie. Son constat: oui, les conditions de vie s’améliorent, mais pas pour tout le monde…

« Depuis 2020, la crise sanitaire et les mesures de confinement et de distanciation sociale cumulées ont eu des impacts économiques et sociaux indéniables à l’échelle des États », peut-on lire dans le rapport. « Viennent s’y greffer les conséquences des changements climatiques (inondations, sécheresses), un conflit armé majeur en Europe et une flambée des prix, notamment de l’énergie et de l’alimentation. La Wallonie n’a pas été épargnée. La population est exposée à des conditions de vie inédites ».

Un bilan en demi-teinte

Si l’on observe les indicateurs de l’IWEPS, d’aucuns diraient que la situation sociale des Wallons s’est effectivement améliorée depuis plusieurs années. L’Indice de situation sociale de la Wallonie (ISS), qui dresse le bilan du progrès social de la Wallonie en comparaison avec l’évolution du PIB par habitant, a évolué jusqu’à 102,2 en 2021. L’évolution du PIB par habitant marque quant à lui une nette progression qui le porte à 114,2 en 2021.

Oui mais voilà, un examen plus détaillé des composantes du rapport nous dévoile une vérité bien plus nuancée. Les inégalités sociales persistent et se sont même renforcées à partir de 2016. Pire encore, « l’amélioration de la situation sociale de la Wallonie s’est faite aux dépens des groupes sociaux les plus fragilisés », déclare le rapport.

L’IWEPS dégage quelques tendances:

  • Au niveau du revenu: on observe une augmentation du revenu disponible par habitant mais un appauvrissement des jeunes (18-24 ans) de plus en plus nombreux à devoir bénéficier de l’aide du CPAS;
  • Au niveau de l’emploi: on constate une progression du taux d’emploi et du salaire médian, mais une forte augmentation des travailleurs en incapacité de travail de longue durée (burn-out, dépression) et un renforcement de l’écart relatif des taux d’emploi entre les travailleurs faiblement diplômés et les travailleurs hautement diplômés.
  • Au niveau de la santé: il y a bien une réduction du nombre d’années de vie perdues et une réduction de l’écart relatif entre les taux de mortalité des bénéficiaires de l’intervention majorée (BIM) et des non-bénéficiaires du BIM, mais malgré cela, les maladies chroniques sont en augmentation (en 2022, on en comptait 17,5% en Wallonie, contre 10,3% en 2014).
  • Au niveau du logement: l’accès au logement est de plus en plus difficile pour les publics précarisés. S’y ajoute une aggravation de la précarité énergétique.
  • Au niveau des valeurs: malgré les difficultés, les Wallons restent solidaires et généreux, mais sont de moins en moins satisfaits de leur vie.

Les impacts de la crise

Quant à savoir si la crise a bel et bien des conséquences sur les conditions de vie des Wallons, la réponse est oui. L’IWEPS dresse un tableau plutôt sombre de la situation actuelle: « Une menace réelle pèse sur l’équilibre social de la Wallonie ». Plusieurs points sont à surveiller.

La santé

Dans ce domaine, c’est la santé mentale et l’accès aux soins qui inquiètent. Et la succession des crises n’arrange rien, bien au contraire. Covid, confinements, crise énergétique, guerre internationale, inflation… La santé mentale de la population continue à être mise à l’épreuve. L’évolution à la hausse du nombre de consommateurs d’antidépresseurs parmi la population adulte semble témoigner de cette détérioration.

Une étude récente de Sciensano montre que ce sont les populations plus fragiles financièrement et socialement parlant qui sont les plus à risque de souffrir de dépression et d’anxiété. À savoir: « les personnes âgées de 18 à 29 ans et de 30 à 49 ans (par rapport aux personnes âgées de 50 à 64 ans et de 65 ans et plus), les personnes ayant tout au plus un diplôme de l’enseignement secondaire (par rapport aux personnes ayant un diplôme du supérieur), les personnes vivant seules, avec ou sans enfants (par rapport aux personnes vivant en couple, avec ou sans enfants), les personnes sans emploi et les personnes en incapacité de travail (par rapport aux personnes ayant un emploi rémunéré) », énonce l’IWEPS.

La question cruciale de l’accès financier aux soins de santé est également au centre des préoccupations. En 2022, 1 personne sur 3 a renoncé à au moins un soin pour des raisons financières et le renoncement a augmenté dans toutes les disciplines. La dépression et ses déterminants exercent une forte influence sur le renoncement aux soins. Là encore, « la difficulté d’accès aux soins a affecté plus sensiblement certaines sous-populations », déclare l’IWEPS. « Les personnes les plus nombreuses à devoir renoncer à au moins un soin (tous types de soins confondus) sont les femmes (41%), la tranche d’âge des 40-59 ans (43% avec une augmentation marquée dans les soins de santé mentale), les familles monoparentales (54%) et les personnes en difficulté financière. En outre, les personnes isolées sont celles qui ont connu la plus forte progression du taux de renoncement entre 2015 et 2022, parmi lesquelles les plus de 60 ans. »

Le travail

Sur le marché du travail, trois problématiques majeures attirent l’attention :

  • la pénurie structurelle d’emplois dans différents secteurs d’activité alerte sur des tensions croissantes sur le marché du travail. Une large part des vacances d’emploi est liée à l’orientation scolaire.
  • La problématique des pièges à l’emploi alerte sur la précarisation d’une partie des travailleurs pour qui le revenu du travail n’assure plus une vie décente.
  • L’augmentation des incapacités de travail de longue durée, majoritairement pour raison de burn-out et de dépression, alerte sur le défi de l’accroissement de la participation au marché du travail d’ici 2025. De plus en plus d’études soulignent le lien entre stress, conditions de travail, manque d’intérêt pour le travail d’une part, et incapacité de travail d’autre part.

Le logement

Les crises ont également un impact sur le marché immobilier puisqu’elles ont mené à un accès de plus en plus difficile à la propriété de « qualité » pour les jeunes sans fonds propres, ainsi que pour les ménages fragilisés par les différentes crises. Les publics précarisés se retrouvent de plus en plus nombreux dans des situations de mal-logement. En cause: une forte hausse des loyers, une insuffisance en logements sociaux, une hausse du nombre de candidats à ces logements sociaux… Au 1er janvier 2023, 41.913 ménages étaient en attente d’un logement social géré par une SLSP (Société de logement de service public), soit 2,58% des ménages wallons. Ce pourcentage est en augmentation quasi continue depuis 2013.

À cela s’ajoute une certaine vulnérabilité énergétique, qui affecte un grand nombre de ménages wallons: plus d’un ménage sur cinq est touché en 2021 par l’une ou l’autre forme de précarité énergétique selon le dernier baromètre de la précarité énergétique de la Fondation Roi Baudouin (2023).

Les finances

Face aux difficultés de paiement des factures énergétiques, le public se tourne de plus en plus vers les aides sociales. On fait face à une augmentation des multiples formes de précarité et des demandes d’aides sociales, telles que l’aide alimentaire, l’aide médicale non urgente, l’aide administrative, la médiation de dettes…

Un constat déjà formulé par l’Observatoire du crédit : « On retrouve encore plus qu’avant des travailleurs pauvres, des indépendants, des étudiants, des familles monoparentales et des retraités. Après la crise sanitaire et les inondations, la facture énergétique est souvent la goutte qui fait déborder le vase. » On assiste à la naissance de nouveaux pauvres: la classe moyenne est elle aussi touchée et se tourne davantage vers les CPAS.

On le voit: « le choc pandémique et sa gestion, conjugués aux crises et transformations qui lui ont succédé, ont aggravé la fragmentation de la société wallonne ». Un morcellement qui accroît la méfiance des citoyens les uns envers les autres, mais aussi envers les organes de pouvoir. « Ce contexte social ‘archipellisé’ rend donc compliquée toute mobilisation pour agir », conclut l’IWEPS, qui appelle notre société à évoluer vers un mieux. Douce utopie?

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