Le premier grand entretien de Cécile Neven, ministre wallonne: “Nous devons tenir un langage vérité”

"Je suis aussi convaincue que l’accord de gouvernement va dans le bon sens, sinon je n’aurais pas accepté. "
Olivier Mouton

L’ancienne CEO de l’Union wallonne des entreprises est devenue, à la surprise générale, ministre de l’Énergie, du Logement et du Plan Air-Climat. Elle veut tenir un langage vérité : ce ne sera pas simple car des aides diminueront et des factures augmenteront. D’où la nécessité de maximaliser l’effet des décisions prises. “Le plus important, c’est l’impact!”

Ce fut la surprise du chef libéral lors la présentation du gouvernement wallon, le 15 juillet dernier : Cécile Neven, CEO d’Akt for Wallonia, devenait ministre de l’Énergie, du Logement et du Plan Air-Climat. A la tête du patronat wallon, elle avait porté le changement de visage de l’Union wallonne des entreprises et la demi-fusion avec les Chambres de commerce et d’industrie. De quoi se faire un nom, entre charisme souriant et détermination efficace. Le grand saut vers la politique ? Elle l’a décidé en deux heures. Depuis, elle a pris le temps de plonger dans ses dossiers.

Voilà le premier grand entretien qu’elle accorde, en exclusivité pour Trends-Tendances.

TRENDS-TENDANCES. Pourquoi avez-vous accepté de devenir ministre?

CÉCILE NEVEN. C’était une surprise complète pour moi et c’est une décision qui a été prise dans un délai très rapide. Ma nature me pousse tout de même à réfléchir : j’ai demandé deux heures. Mais je suis quelqu’un qui aime changer les choses.

C’est cela votre moteur ?

Oui, mais je suis aussi convaincue que l’accord de gouvernement va dans le bon sens, sinon je n’aurais pas accepté. Il est de nature à nous remettre sur une trajectoire positive. Cette déclaration de politique régionale (DPR) est plus courte que les précédentes, mais les grands objectifs sont enthousiasmants. Les leviers évoqués dans la DPR sont les bons, à mes yeux.

Comment voulez-vous changer la façon de faire de la politique ?

L’expression “faire de la politique” ne me parle pas beaucoup, mais nous devrons tenir un langage vérité à l’attention de la population. C’est important, nous devons avoir ce courage politique et je vais m’y atteler. La réalité est complexe. Il n’y a pas de solutions simples face à des enjeux de plus en plus complexes et intégrés. C’est particulièrement vrai pour mes compétences : on ne peut pas traiter l’énergie, le logement ou le climat en silo. Un autre élément qui me semble important, c’est d’avoir une intégrité absolue concernant l’argent public : il faut maximiser l’effet levier pour avoir de l’impact.

La politique est un monde brutal, cela vous a-t-il fait hésiter?

Ce sera comme ce sera. Je suis réaliste, je l’ai effectivement observé de l’extérieur, mais ce qui est au cœur de ma décision, c’est la volonté de trouver des solutions optimales en maximalisant l’efficacité et en minimisant les effets d’aubaine.

Une des clés en Wallonie, n’est-ce pas le développement du secteur privé ?

En Wallonie, le poids du secteur public – sans le dénigrer – est trop important, c’est évident. Parmi les 27 pays de l’Union européenne, nous sommes devant la Norvège. Or, cette dernière en a les moyens, pas nous. Qui plus est, il est incontestable que nous ne sommes pas aussi efficaces que nous devrions l’être. Il y a un problème de saupoudrage en Wallonie, énormément d’institutions et de structures qui font toutes un peu la même chose, mais pas tout à fait. Cela manque de lisibilité, beaucoup de gens ne savent plus qui fait quoi. Cette nécessité de simplifier, je vais m’y consacrer.

Vous allez soutenir les entreprises depuis un autre poste?

Pas uniquement, je veux être la ministre de tout le monde. J’ai en effet défendu le monde des entreprises avec conviction, parce que ce sont elles qui créent la prospérité. Je ne renie pas cela. Mais je suis aussi convaincue qu’il faut sortir de l’opposition stérile entre travailleurs, entreprises, citoyens, parce que je suis intimement convaincue que les intérêts sont convergents.

Comment mobiliser tous les Wallons dans un contexte budgétaire compliqué ?

Tout le monde, quel que soit son emploi, a un rôle politique au sens large. Cette prise de conscience doit avoir lieu. Par ma fonction, j’aimerais contribuer à réduire le fossé entre le monde politique et le citoyen. Nous avons un effort de pédagogie à faire pour expliquer les enjeux.

D’où viendra l’électrochoc pour redresser la Wallonie, au-delà des slogans?

Je n’ai pas envie de réfléchir en termes d’électrochoc. S’il fallait une enième crise pour le provoquer, ce serait dommage. Les urgences successives de ces dernières années ont déjà changé la façon dont on voit les choses. Je crois davantage aux projets. Gouverner, c’est prévoir, il faut avoir le courage de décrire la réalité telle qu’elle est et expliquer les raisons pour lesquelles nous allons agir. Or, le premier constat que j’ai posé en arrivant, c’est que l’on manque de données. Pour définir une politique, j’ai besoin d’indicateurs et de savoir d’où je pars. C’est du bon sens. Or, nous ne disposons ni d’un cadastre des logements ni d’un cadastre des primes ou des aides… Comment réorienter une politique sans cela ? Cela ne me prendra pas des années, mais je veux avant tout pouvoir disposer d’indicateurs permanents.

C’est un constat préoccupant, non?

Indéniablement, mais on va le résoudre.

En matière d’énergie, vous voulez définir un nouveau pacte…

C’est un enjeu stratégique majeur. Et ce n’est pas facile d’agir car il s’agit d’une compétence partagée avec le fédéral, mais aussi l’Europe. Notre grand objectif, c’est d’assurer la sécurité d’approvisionnement avec l’énergie la plus décarbonée possible et à un coût abordable. La sécurité d’approvisionnement, c’est une compétence fédérale. La distribution et le soutien au renouvelable, ce sont des compétences régionales. Sans un pacte entre entités, on n’y arrivera pas. Je compte bien m’investir, à mon niveau, pour développer un mix renouvelable avec un mécanisme de soutien qui n’entraîne pas de sur-subsidiation parce que cela, tout le monde le paye. Je veux aussi éviter tout tabou scientifique, pour utiliser au maximum nos potentiels. Il s’agit encore de veiller à ce que nos réseaux soient à niveau.

“Mes mots-clés sont : simplification, impact et soutenabilité. C’est cela qui m’anime !”
Cécile Neven

Cécile Neven

Ministre wallonne de l’Énergie, du Logement et du Plan Air-Climat

La DPR parle de fusionner les gestionnaires de réseaux…

Oui, mais ce n’est pas une fin en soi : l’objectif, c’est la lisibilité et l’efficience. C’est d’ailleurs le leitmotiv de toutes mes actions dans ces compétences intégrées.

Pour soutenir les énergies renouvelables, ne faut-il pas simplifier les règles et lutter contre le syndrome Nimby qui rend impossible l’octroi de permis?

Derrière le Nimby, qui est un vrai problème, il y a sans doute la difficulté pour un certain nombre de personnes d’accéder à une information claire et lisible, ce qui engendre de la peur. On peut améliorer la façon dont on explique les projets, en amont. Cela étant, il y a aussi une part d’irréductibles pour qui on ne peut rien construire, à côté de rien, et pour eux, on ne pourra rien faire. Par ailleurs, il faut aussi reconnaître qu’il y a des projets d’envergure régionale.

La Boucle du Hainaut, par exemple?

Par exemple, oui. Cela doit être traité à un niveau autre que le communal. Sans nier la participation citoyenne. Il n’est pas question de cacher l’information, c’est tout le contraire que je préconise.

La facture énergétique est, aussi, une feuille d’impôt déguisée et une augmentation des coûts est annoncée pour les réseaux. Comment rassurer le citoyen?

La facture énergétique a quand même une transparence réelle, même si je conçois qu’elle pourrait être plus lisible. Il est évident que la question de l’adaptation des réseaux de transport, au niveau fédéral, et de distribution, à notre niveau, va coûter très cher. Notre rôle, c’est de les adapter au moindre coût et les régulateurs doivent nous aider en ce sens. Cela impactera la facture, c’est évident, mais il faut pouvoir dire que reporter ces investissements, c’est reporter le problème. Dans la DPR, il est prévu d’avoir un suivi des différentes composantes de la facture, et de mettre en place un système de soutien plus efficace, modulé en fonction du niveau de précarité. Il faut savoir que ce niveau est de 30% chez nous contre 15% en Flandre.

Vous êtes ministre du Climat. Un de premiers actes du gouvernement fut de supprimer l’extension du tram à Liège, n’est-ce pas un mauvais signal ?

Je ne pense pas. Je suis convaincue que c’est une bonne décision, tant d’un point de vue budgétaire que climatique. Il fallait que la quantité de passagers prévue soit suffisante et nous n’étions pas dans ce contexte-là, même en tenant compte de l’effet d’attractivité. L’impact climatique n’aurait pas été négatif. Je sais que des études disaient le contraire, mais leur hypothèse de départ devait être modifiée.

Certains épinglent le fait que la DPR met en avant le soutien au Grand Prix de F1 de Francorchamps ou aux aéroports: comment gérer l’équilibre entre économie et environnement ?

Je suis persuadée que c’est possible. Je préfère avoir des aéroports sur le territoire wallon et les soutenir pour qu’ils atteignent la neutralité carbone, que de les fermer en encourageant leurs concurrents à l’étranger. Jamais on ne fera disparaître nos aéroports! Nous avons la chance de les avoir et nous avons des mesures de protection de l’environnement importantes. Il faut être pragmatique.

Le permis d’environnement de l’aéroport de Charleroi sera un dossier important ?

C’est évident qu’il faut traiter cette question dès lors que l’on arrive à la fin de la période de 20 ans. Mais on peut dire que la procédure d’octroi de ce permis est suffisamment balisée et cadrée pour prendre en considération les questions environnementales.

“Je pense précisément que le climat, ce ne doit pas être un chapitre ! Cela doit percoler dans toutes les politiques que nous allons mener.”

Mais on peut développer davantage son activité, non ?

Oui, dans le respect des législations environnementales. Mais il faut clairement donner tous les moyens à Charleroi de se développer.

Les grèves à répétition de ces derniers temps sont-elles un frein pour la Région?

Une grève, c’est toujours regrettable. Avant toute chose pour les voyageurs qui ont économisé pour leurs vacances et perdent tout.

Il fut un temps où l’on parlait de service minimum…

C’est facile à dire, moins facile à faire. Je ne saurais dire l’importance de relancer la concertation sociale. Je suis satisfaite qu’on ait renoué le dialogue.

Ecolo regrette que le climat ne fasse pas l’objet d’un chapitre en tant que tel dans la DPR. Comment allez-vous faire vivre cette question transversale ?

Je pense précisément que le climat, ce ne doit pas être un chapitre ! Cela doit percoler dans toutes les politiques que nous allons mener. Je comprends mon rôle de ministre du Plan Air-Climat comme celui de coordination de nos actions pour atteindre nos objectifs. Or, je rappelle que l’objectif reste d’atteindre une diminution de 55% de nos gaz à effet de serre. Il est confirmé. Nous allons analyser les mesures de façon à préserver les plus efficaces et revoir celles qui le sont moins. L’idée n’est pas d’être moins exigeant, mais davantage pragmatique. Il faut quand même avouer que pendant les cinq dernières années, on n’a pas fait grand-chose.

Les entreprises sont des acteurs importants : faut-il les soutenir davantage dans leur transition?

La question de ce soutien se pose tant pour les entreprises que pour les citoyens. Il doit être calibré. On doit cibler celles qui en ont vraiment besoin. Dans l’absolu, une entreprise n’a pas besoin d’être aidée si on définit un cadre clair et prévisible, donnant la stabilité qu’elle demande. Nous n’y sommes pas encore, c’est clair, mais on ne part pas de zéro. Un soutien restera toutefois nécessaire dans le cas de technologies qui restent trop chères.

“Dans l’absolu, une entreprise n’a pas besoin d’être aidée si on définit un cadre clair et prévisible, donnant la stabilité qu’elle demande.”
Cécile Neven

Cécile Neven

Ministre wallonne de l’Énergie, du Logement et du Plan Air-Climat

Le budget compliqué de la Région est omniprésent, en toile de fond, non?

C’est bien pour cela qu’il faut maximiser les effets leviers. On doit cibler davantage, on ne peut plus avoir un système de primes à ce point complexe que l’on ne s’y retrouve plus, ou avec des niveaux de subsidiation équivalents parfois à 90%, au risque de limiter le champ de l’intervention.

La rénovation du bâti est un enjeu colossal en Wallonie…

Oui, on doit atteindre le PEB A en 2050. Nous sommes à des années-lumière de cet objectif. Pour y arriver, on doit faire preuve de pragmatisme et c’est pour cela que je disais que nous devons avoir un cadastre. Le calendrier doit être réaliste, cela ne sert à rien d’imposer les choses aux gens en les mettant au pied du mur. Il y a une vision que j’aimerais construire, mais je suis en train de collecter les données de base. Je le répète : cela ne prendra pas des années.

Le secteur du bâtiment a déjà exprimé des inquiétudes…

Oui, mais parce qu’il craint que l’on supprime toutes les primes, ce qui ne sera pas le cas. L’idée, c’est de calibrer. Nous voulons réanalyser l’ensemble du dispositif pour produire des résultats. Moi, la seule chose qui m’intéresse, c’est d’avoir de l’impact.

Simplifier les structures, mobiliser les acteurs et avoir de l’impact sans casser l’outil : c’est tout l’enjeu complexe de cette législature ?

Clairement. Mes mots-clés sont : simplification, impact et soutenabilité. C’est cela qui m’anime ! L’urgence climatique est là, j’en suis parfaitement consciente, d’où la nécessité d’aller chercher les mesures dont l’impact est le plus fort. J’entends trop souvent dire que l’on n’y arrivera pas, ce qui augmente le niveau d’anxiété. Moi, je pense que tout ce qui peut être fait doit être fait.

Quel sera l’accent de la Wallonie des prochaines années ?

Ce qui me motiverait en tant que citoyenne, c’est de savoir que l’on mène des actions bien calibrées, dont je sens qu’il ne s’agit pas de coups de pub et qui fonctionnent sur le terrain. L’impact est le mot le plus important à mes yeux. Un autre élément qui redonnerait de l’enthousiasme, c’est que les politiques arrêtent de s’invectiver. Je compte bien sortir des débats stériles pour être constructive.

Êtes-vous préoccupée par la lenteur du gouvernement fédéral?

Bien entendu. Au vite, au mieux : cela nous permettrait d’avancer sur les plans climatiques ou énergétiques. Mais pas à n’importe quel prix.

Profil
• 1991 : Ingénieure agronome, diplômée de Gembloux 
• 2005 : Conseillère “énergie” à l’Union wallonne des entreprises 
• Août 2023 : CEO de l’Union wallonne des entreprises 
• Juillet 2024 : Ministre wallonne de l’Energie, du Logement et du Plan Air-Climat

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