La rentrée du ministre Jeholet: “L’argent facile, c’est fini”

"Les citoyens ont démontré qu’ils en ont assez de ce discours selon lequel la Wallonie souffre parce que c’était une région industrielle."
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Le ministre MR de l’Economie et de l’Emploi, Pierre-Yves Jeholet, entame les grands chantiers de rationalisation du paysage économique wallon. Sans tabous. “Il va falloir du courage et de la détermination, j’en suis conscient, nous dit-il. On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Mais l’argent facile, c’est fini.”

C’est l’homme fort du gouvernement wallon. Avec l’économie et l’emploi, Pierre-Yves Jeholet porte les dossiers majeurs de la nouvelle équipe MR – Engagés du ministre-président Adrien Dolimont (MR, aussi en charge du budget). S’il y a bien un sujet sur lequel on attend ce gouvernement sans le PS, c’est celui-là : concrétiser le redressement de la Région, relever le taux d’emploi, poser des choix tranchés… L’ambition est là, mais la concrétisation ne sera pas chose aisée. Il en est conscient.

TRENDS-TENDANCES. La révolution wallonne est-elle en marche avec cette majorité MR – Engagés ?

PIERRE-YVES JEHOLET. Je ne parlerais pas de “révolution” parce que ce mot fait peur. Mais il y a eu un momentum important le 9 juin : le message des citoyens est très clair, les attentes sont énormes pour le gouvernement. Notre déclaration de politique régionale est ambitieuse. A nous de procéder à de vraies réformes qui engendreront un choc culturel et un changement de mentalité en Wallonie.

Est-ce une libération, sans le PS, même si ce n’est pas la première fois ?

La précédente coalition sans le PS, durant deux ans (entre 2017 et 2019, ndlr), était intervenue en cours de législature, avec une majorité très étriquée. Cela nous avait empêchés de mener à bien des réformes ambitieuses, en matière d’aides à l’emploi par exemple. Cette fois-ci, les citoyens ont démontré qu’ils en ont assez de ce discours selon lequel la Wallonie souffre parce que c’était une région industrielle. C’est vrai, mais nous n’en sommes plus là, nous avons reçu une manne importante de fonds européens et publics. Quel est leur impact ? Nous avons des indicateurs qui n’ont pas assez évolué…

Comme le taux d’emploi qui reste famélique ?

Oui, un taux d’emploi à 66,2%, c’est totalement insuffisant. Il en va de même pour le PIB par habitant ou le taux d’exportation en comparaison avec la Flandre. Nos entreprises sont de trop petite taille. La Région ne s’est pas développée à la hauteur des moyens investis. Vous avez publié une analyse dans Trends-Tendances dans laquelle Jean-Yves Huwart (auteur de l’ouvrage «Pourquoi la Wallonie ne se redresse pas, ndlr) exprimait le fait que l’on agit surtout en Wallonie pour dire que tout ne va pas si mal. C’est exact ! Je suis surpris de voir le nombre de structures et leurs interventions, sans remise en question ou évaluation de l’impact en matière d’emploi ou de croissance. C’est une lacune wallonne incroyable ! Moi, je me fous du nombre d’heures de formation données au Forem ou ailleurs. Ce qui m’importe, c’est le nombre de personnes remises à l’emploi.

Le premier travail à faire, c’est cette évaluation ?

Oui et c’est vrai pour tous les secteurs. Je suis surpris de voir le nombre de structures publiques ou semi-publiques qui reçoivent des subsides, mais qui font la même chose. Il y a de la redondance voire parfois, et plus souvent qu’on ne le croit, de la concurrence. Tout cela avec l’argent des citoyens. Nous devons redéfinir le rôle précis de chaque acteur et mesurer son impact précis, et cela vaut dans tous les domaines. Même chose pour le plan de relance ; nous devons l’évaluer pour ne garder que les mesures structurantes.

Vous voulez repartir d’une page blanche ?

C’est impossible de repartir d’une page blanche. Par contre, évaluer chaque opérateur et chaque dispositif, c’est possible. C’est le travail que j’ai entamé.

Cela a déjà été fait, non?

On sait ce qui fonctionne et je ne dis pas qu’il faut faire appel à des consultants pendant des mois. Il s’agit de responsabiliser tout le monde, y compris les responsables des structures publiques. Chacun doit se remettre en question et arrêter de me dire “tout va bien, monsieur le ministre, regardez ce que l’on a fait”. Seuls les indicateurs m’intéressent. Les outils mis en place fonctionnent-ils ? Comment peut-on les améliorer ? Après évaluation, on peut supprimer, rassembler, réorienter… Les structures sont pléthoriques et beaucoup trop tournées vers elles-mêmes. La formation et l’emploi, ce sont 3 milliards annuels en Région wallonne, avec un paysage très complexe que l’on doit simplifier. Il va falloir du courage et de la détermination, j’en suis conscient. On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Mais l’argent facile, c’est fini.

Vous avez dit, à votre arrivée, que la Région n’était pas un Mister Cash…

Voilà, je change de temps en temps de formule. Dans le contexte budgétaire que l’on connaît, on ne peut plus se permettre cette gouvernance. Je veux rassurer en même temps : je veux être aux côtés des entreprises, de celles et ceux qui créent de l’activité et de l’emploi.

Mais vous avez aussi dit que c’était la fin de l’assistanat aux entreprises, non?

On évoque souvent la fin de l’assistanat pour dénoncer la générosité de notre système social ou la nécessité de mettre fin aux allocations sans contrôle. J’adhère tout à fait à cette formule. Au niveau des entreprises, c’est la même chose. Dans le même dossier de Trends-Tendances, vos interlocuteurs soulignaient que l’on fait appel à la Région pour tout : quand on créé une entreprise, quand on la développe, quand cela ne va pas… Stop! Il faut un projet crédible et une rigueur de gestion tout de même. Là aussi, il faut responsabiliser les acteurs.

Il y a trop de structures dans le soutien aux entreprises, là aussi ?

Prenons le paysage de l’innovation: un chat n’y retrouverait pas ses jeunes ! Les pôles de compétitivité, c’était une bonne idée, initialement, pour faire en sorte que les entreprises, les acteurs de la recherche et le monde de la formation se parlent. Mais aujourd’hui, le nombre de clusters ou d’incubateurs est démesuré. Nous investissons plus que la Flandre dans la recherche, mais cette dernière investit de façon mieux coordonnée. Nous, nous saupoudrons bien trop, nous ne sommes pas assez focalisés sur les résultats. Tout euro public investi doit avoir un impact, en considérant bien sûr que le risque fait partie du développement économique.
C’est la même chose, je l’ai dit, en matière de formation. On ne peut pas dire que l’on prend huit ou dix ans pour former un public, même très éloigné, aux frais de la collectivité, sans résultats. D’une part, le travail est émancipateur, mais d’autre part, on doit répondre aux besoins des entreprises, qui cherchent des talents dans tous les secteurs. Il en va aussi de notre compétitivité. On ne forme pas par plaisir, mais avec des objectifs concrets.

Il pourrait y avoir un acteur unique de formation ?

Je n’ai pas de tabou. Mais je n’ai pas de baguette magique. Le nombre d’opérateurs, peu importe, mais cela doit fonctionner, ce qui n’est pas assez le cas aujourd’hui. Je n’aurai pas d’états d’âme.

C’est la même chose pour Wallonie Entreprendre et les invests?

Tout à fait. Wallonie Entreprendre est déjà l’objet d’un rapprochement de structures, on doit poursuivre le travail. Avoir autant d’invests sur un territoire aussi petit, est-ce pertinent? Je compte mener une réflexion et une réforme si nécessaire. Très souvent, ces opérateurs de financement n’assurent d’ailleurs pas que cette mission, ils font aussi de l’immobilier, de l’accompagnement d’entreprises… ce qui est l’objectif de Wallonie Entreprendre. Je n’épargnerai aucune structure qui se trouve dans mes compétences!
On y revient : les socialistes et les écolos ne sont pas là, cela crée une opportunité. Ce sont deux partis qui n’aiment pas les entreprises et qui sont suspicieux à leur encontre. Nous, nous voulons soutenir les aéroports ou le Grand Prix de Formule 1, appuyer le secteur de la défense, développer celui de la cybersécurité… Ce n’est pas qu’une question d’argent, mais aussi de volonté politique. Quand on décide de revenir sur le décret d’exportations des armes, c’est un choix clair ! Nous serons offensifs pour l’octroi des permis d’environnement pour les aéroports. Ce sont des enjeux stratégiques et le risque, à un moment donné, c’est que des acteurs proches de chez nous s’emparent de l’activité – en générant les mêmes nuisances. Voilà pourquoi nous avons défendu l’aéroport de Liège.

Et le permis d’environnement pour l’aéroport de Charleroi va suivre…

Exactement. Ecolo et le PS n’ont pas toujours été clairs sur ces sujets. Voilà un dossier sur lequel nous étions en phase avec les syndicats. Cela ne signifie pas que nous ne nous soucions pas de la stratégie européenne de décarbonation ou que nous ne nous préoccupons pas de la qualité de l’environnement. Il faut un équilibre. Dans la déclaration de politique régionale, c’est clairement exprimé, tout comme nous exprimons le fait de ne pas aller au-delà des normes européennes. En étant plus vertueux que les autres, on se tire une balle dans le pied et on pénalise nos entreprises en générant une concurrence déloyale. C’est fini! Nous avons également parlé de la Formule 1. Moi, que ce soit clair, je n’aime pas la Formule 1…

Au contre de votre président de parti qui est un passionné de ce sport…

C’est vrai, mais nous sommes en phase sur l’aspect économique. On doit considérer le Grand Prix de Spa-Francorchamps comme un investissement par rapport aux retombées économiques que cela génère. D’ailleurs, l’activité du circuit produit de l’activité toute l’année. Et là aussi, tout le monde nous envie cet outil. Soyons fiers! Mais je veux aussi que l’on fasse un effort pour diminuer les dépenses. C’est un rêve d’arriver à l’équilibre, mais le coût doit être le plus réduit possible. Cela vaut pour tout.

Le Puy du Fou, un parc d’attraction français, voulait s’installer en Belgique, mais a fini par reculer, après une pétition, contre la teneur idéologique du projet. Vous l’auriez soutenu?

Il n’y a pas de tabou idéologique, mais les projets doivent être également en phase avec les valeurs que l’on défend. On doit tout faire pour accueillir les investisseurs étrangers : trouver un terrain, former du personnel, aider s’il le faut… Dans tous les cas de figure, on doit se demander si l’argent public que l’on dépense est un investissement et rapportera davantage demain.

Ce que les entreprises demandent surtout, ce sont des permis accélérés, des contraintes moins fortes…

La simplification administrative, c’est une priorité absolue. Nous devons donner un signal très rapidement à cet égard. Nous devons raccourcir les délais, repenser les possibilités de recours… Pour les projets ayant une importance économique majeure, on ne peut pas permettre à un citoyen de bloquer tout. Il faut associer cela à une gouvernance forte, mais nous voulons le principe de confiance, on ne doit pas demander 10 fois les mêmes informations. L’idée, c’est aussi d’avoir des contrôles assortis de sanctions, le cas échéant.

“Moi, je me fous du nombre d’heures de formation données au Forem ou ailleurs. Ce qui m’importe, c’est le nombre de personnes remises à l’emploi.”

Allez-vous revenir sur des participations publiques de la Wallonie dans les entreprises comme la FN, la Sonaca, Prayon…?

Là encore, ce sera sans tabou. Cela ne veut évidemment pas dire que je souhaite vendre nos bijoux de famille. Ce sont des fleurons pour la Wallonie, qui sont dans le top européen. Mais il faut une stratégie claire, un maintien ou un développement de l’emploi. L’argent public doit avoir un retour sur investissement. On peut se poser la question de savoir s’il y a un intérêt ou pas à conserver une participation ou à en prendre une. Il ne faut rien exclure. Si un partenaire privé marque un intérêt et peut challenger l’entreprise, pourquoi pas ? Tout dépend des opportunités.

En en parlant publiquement, vous allez susciter des intérêts…

Peut-être. On examinera chaque entreprise en particulier et sa capacité à se consolider.

Des cas sont plus faciles que d’autres : céder votre participation dans Ethias à Belfius, par exemple?

Oui, Belfius ou pourquoi pas quelqu’un d’autre? Tout est ouvert. L’important, c’est de voir quel est le projet. Et dans le calcul, il ne faut pas oublier non plus que chaque entreprise génère des dividendes.

Vous avez déjà été ministre de l’Economie, vous savez qu’il y a des écueils à ces réformes que vous voulez mettre en œuvre ?

L’écueil principal, c’est la résistance au changement. Tout le monde, ou presque, dira que la vision est la bonne. Mais dès que l’on est concerné par une décision, la suppression d’un subside ou d’un dispositif, alors on s’y oppose.

Craignez-vous des mouvements sociaux ? Faut-il responsabiliser les syndicats?

Je ne crains rien. Mais quand on parle de la responsabilisation des forces vives wallonnes pour redresser l’économie, cela concerne tout le monde. Le politique, en premier lieu, doit avoir la détermination et le courage de changer les choses. Mais il faut une mobilisation générale. Les entreprises doivent y adhérer. Les syndicats doivent être conscients que nous sommes dans une situation compliquée : un budget limité, une concurrence internationale forte… J’ai toujours été ouvert au dialogue, mais les syndicats doivent être des acteurs du changement et pas de l’immobilisme.

En amont de tout ce dont on parle, la qualité de notre enseignement joue un rôle fondamental. Les premiers qui souffrent, ce sont les employeurs. Mais quand on parle de l’alternance ou de l’enseignement qualifiant, il y a une résistance invraisemblable. J’adhère à 1.000% à l’idée de rapprocher les entreprises des écoles, mais le monde de l’enseignement pas : il considère être le seul à pouvoir former les élèves. Je ne dis pas cela contre les enseignants, je les soutiens, mais ils doivent aussi concevoir que l’on peut aussi former dans les entreprises. Quand j’étais ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles pendant cinq ans, je n’ai pas senti une grande ouverture sur le monde et la modernité.

La question climatique est-elle la grande oubliée de votre déclaration ?

C’est clair que l’écologie punitive, qui sanctionne et culpabilise les citoyens ou les entreprises, c’est fini. Cela ne signifie pas que nous ne sommes pas préoccupés par la transition environnementale. Dans notre déclaration, on parle très souvent de notre volonté de respecter les objectifs de décarbonation européens, du développement durable des entreprises ou des aéroports. C’est un défi majeur qui nous concerne tous. Mais à nouveau, se mettre des contraintes plus fortes que les directives européennes, c’est fini. Les entreprises ne le comprennent pas parce que cela induit une concurrence déloyale avec les pays voisins. C’est fini d’être plus catholiques que le pape.

Quelle sera votre première mesure forte ?

Je n’ai pas envie d’évoquer un dossier précis. Tous les chantiers dont je parle, je les initie et cela fait partie d’un ensemble. Sans oublier le défi budgétaire : c’est aussi pour cela que nous devons aller vite.

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