La majorité MR-Engagés a fait le ménage au sein de Wallonie Entreprendre et veut y appliquer ses méthodes : rationalisation, culture du résultat et de l’évaluation. Cela se concrétise par des objectifs précis et revus à la hausse. Le bras financier du gouvernement wallon va injecter 2,5 milliards dans l’économie wallonne d’ici la fin de la législature.
La nouvelle histoire de Wallonie Entreprendre a débuté par une polémique. Sur le plan politique, l’ancien Conseil d’administration a été prié de faire ses valises. La majorité Azra renouvelé l’ensemble des instances et a mis à la tête du CA Jean Hilgers, étiqueté Engagés, en lieu et place de Pierre Rion, débarqué. Le gouvernement wallon a le pouvoir de révoquer les conseils d’administration des organismes public à sa guise, mais ce nettoyage a suscité de vives critiques de l’opposition.
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Selon le député wallon Stéphane Hazée, chef de groupe Ecolo, qui n’est plus représenté au CA, il s’agit de “méthodes de cowboys” qui sapent la confiance et rompent avec la tradition. Celle-ci veut qu’on laisse les mandats des administrateurs aller à leur terme, à savoir 5 ans. La difficulté, ici, c’est que ces mandats n’étaient pas calés sur la législature actuelle, comme ça peut être le cas dans d’autres organismes publics, comme le Forem.
De plus, la fusion des trois outils économiques wallons – SRIW, Sowalfin et Sogepa – pour former WE a eu lieu sous la précédente législature, en 2022. À l’époque, le gouvernement avait même décidé d’ajouter un délai de 2 années supplémentaires, histoire de digérer cette fusion. Au bout du compte, le renouvellement des instances aurait été porté à 2029, mais la nouvelle majorité a balayé ce calendrier, préférant directement partir sur de nouvelles bases.
À une exception, toutefois. Le comité de direction sera toujours piloté par Olivier Vanderijst, pourtant d’obédience socialiste. Le CEO de Wallonie Entreprendre prendra sa retraite dans 18 mois et il a visiblement été jugé apte à poursuivre sa tâche, jusqu’à son remplacement, par un libéral, plus que probablement.
En conférence de presse, le ministre de l’Économie, Pierre-Yves Jeholet (MR) a loué le travail effectué par Wallonie Entreprendre, malgré les critiques qui ont pu être entendues en début de législature. Ces dernières sont venues de Georges-Louis Bouchez, mais aussi de Maxime Prévot, qui avait même qualifié WE de “Forem de l’investissement” lors des consultations qui ont précédé la formation du gouvernement.

Rationalisation et autofinancement
Les choses semblent depuis aplanies. C’est en tout cas le message qu’a voulu faire passer Jean Hilgers, aux côtés du ministre et du CEO. Le nouveau président du Conseil d’administration a présenté la nouvelle feuille de route du bras financier wallon, qui est passé à la moulinette de la rationalisation.
Concrètement, la structure de WE passera de 13 à 9 business units. Par exemple, le département qui s’occupe des entreprises du secteur des “life sciences” sera regroupé avec celui du “Digital et Deeptech”. “Parce qu’on s’adresse surtout à des startups et des spin-offs”, justifie le président du CA, et “qu’il y a de plus en plus d’interdépendances entre ces deux secteurs et qu’on peut créer énormément de synergies”. C’est le mot d’ordre : cesser de travailler en silo et regrouper ce qui peut l’être.
D’un point de vue organisationnel, les centres d’expertise et de services partagés (la reconversion des sites industriels, la gestion des invests wallons, le monitoring de la stratégie, etc…) compteront un seul responsable, aux contraires des business units qui conserveront deux responsables. “C’est un choix qui pourra être réévalué”, insiste Jean Hilgers, qui le motive par la nécessité de maintenir le “principe des quatre yeux”. Les choix d’investir dans certaines entreprises sont parfois décidés uniquement par ces responsables, si l’investissement ne dépasse pas un certain montant, nécessitant l’accord du CA, voire du gouvernement.

Du côté du comité de direction, le changement ne saute pas aux yeux. On passe de 11 à 10 directeurs, suite à un départ à la retraite. Il en sera ainsi pour les suivants : ils ne seront pas remplacés, promet-on. Le nombre de représentants au comité de direction – et leurs rémunérations – a également fait l’objet de vives critiques, à l’époque de la fusion. Une situation qui est héritée de l’existence des trois outils économiques avec leurs directeurs respectifs. Le gouvernement précédent n’a pas fait de choix. Celui-ci non plus.
Jean Hilgers a aussi insisté sur la maîtrise des coûts. Lors de son premier budget, le gouvernement wallon avait déjà fixé une cure d’amaigrissement de 45 millions d’euros par an à Wallonie Entreprendre. Le ministre Pierre-Yves Jeholet veut aller plus loin et fixe un objectif d’autosuffisance pour le bras financier wallon, en ce qui concerne sa capacité d’investissement. Ce sera simple, les années où WE peut se permettre de vendre 2% de ses parts chez Odoo pour 100 millions d’euros. “Mais chaque année ne sera pas si florissante”, prévient Olivier Vanderijst. “C’est un défi”, ajoute le ministre libéral.
Objectifs à la hausse
Au niveau de ses missions, l’ambition de WE est revue à la hausse. À savoir investir 2,5 milliards sur la période 2025-2029. À titre de comparaison, “les trois précédents outils n’ont jamais dépassé les 500 millions d’euros d’investissement”, précise le CEO. Quant aux garanties, le but est de les faire grimper à 1,25 milliard d’euros.
Olivier Vanderijst a présenté une liste d’objectifs très précis. À savoir que 700 millions d’euros d’investissements devront être liés à l’industrialisation ou à la réindustrialisation. 250 millions d’euros devront être alloués à des projets d’infrastructures liés à la transition énergétique (production, stockage, SMR). WE vise également à financer la décarbonation et la transition digitale de pas moins de 1.300 PME et hôpitaux.

Le reste des objectifs est tout aussi précis : des investissements dans au moins 50 opérations de croissance externe, visant à aider les entreprises wallonnes à racheter d’autres acteurs en vue de leur croissance. De même, 175 millions devront être consacrés à des opérations d’internationalisation. Au niveau de l’aide au financement, WE veut permettre par l’octroi de garanties la création de pas moins de 2.500 entreprises et la transmission de 1.750 entreprises.
Bout à bout, “cela correspond à une hausse de 15 à 20% de nos objectifs”, résume Olivier Vanderijst, qui y ajoute un objectif de rentabilité : un résultat cumulé d’au moins 750 millions d’euros, soit 150 millions d’euros de bénéfice par an. C’est ambitieux, mais c’est une condition sine qua non qui empêchera de remplir ces objectifs uniquement dans le but de les remplir, en finançant des structures qui n’en auraient pas besoin.
Chaîne de valeur
Ce qui change par rapport à avant ? Le ministre insiste sur la notion de “chaîne de valeur”, c’est-à-dire tout l’écosystème de PME qui gravite autour d’un secteur d’activité. “Autrefois, le critère de l’emploi monopolisait trop l’attention”, explique Pierre-Yves Jeholet. Il reste important pour atteindre les 80% de taux d’emploi en Wallonie, mais il ne doit plus être le seul et unique critère.”
Le libéral veut que les futurs choix de WE visent “à développer et à compléter” ce réseau de sous-traitants qui renforce inévitablement l’ancrage wallon. WE doit également cibler les entreprises avec un potentiel de croissance. Pour aider les PME à s’agrandir, voire à s’internationaliser. À certains égards, les entreprises wallonnes ont parfois manqué d’ambition ou un manque d’attention du monde politique, a reconnu le ministre.
En tout cas, c’est tout à l’honneur de WE et du ministre de se fixer des objectifs chiffrés si précis. Parce que la presse ne manquera pas de les ressortir en fin de législature. “Je prends des risques”, sourit le libéral, qui veut responsabiliser tous les acteurs, en ce compris le monde politique. C’est également propre à l’activité de WE qui est par définition de prendre des risques : tout ne peut pas fonctionner quand on décide d’investir. “Mais Wallonie-Entreprendre doit devenir une machine de guerre pour l’économie wallonne“, ajoute le libéral.
Revoir la liste des participations
Malgré ses belles réussites, WE s’est aussi fait remarquer par certains mauvais choix. On pense bien sûr à Air Belgium, mais aussi aux dossiers Hamon, Deltrian ou à la débâcle de Mythra.
Il est d’ailleurs prévu de réaliser un état des lieux complet de chaque participation de l’invest wallon. “L’ADN de Wallonie Entreprendre, c’est d’être présent sur le long terme, mais pas forcément de manière perpétuelle”, conclut Pierre-Yves Jeholet, qui promet d’agir sans dogmes, pour réévaluer la hauteur et le nombre de participations.
Quant aux nouvelles participations, elles devront être réalisées dans les secteurs prioritaires. À savoir, la défense, l’aérospatial, les biotechs, la cybersécurité, l’IA, la transition énergétique et l’agroalimentaire. Il en va de l’autonomie stratégique de la Belgique et de l’Europe.