Biotech: Liège et Charleroi ensemble pour faire grandir la Wallonie
Les CEO des B2H et Biopark, Amel Tounsi et Dominique Demonté, racontent à Trends-Tendances les coulisses de leur rapprochement. Ils annoncent d’autres initiatives en matière de formation et soulignent que d’autres secteurs suivront.
C’est une première en Wallonie: le Biopark de Charleroi et le Brigde2Health liégeois vont collaborer à l’international pour attirer les gros acteurs de la biotech. Amel Tounsi et Dominique Demonté, leurs CEO, expliquent leur démarche à Trends-Tendances et annoncent d’autres développement, notamment en matière de formation pour lutter contre les métiers en pénurie.
Ils soulignent aussi que leur exemple devrait être suivi dans d’autres domaines, notamment la cleantech (qui fait référence aux entreprises et technologies favorisant le développement durable). Un dialogue plein d’enthousiasme et d’ambition.
– TRENDS-TENDANCES. Votre collaboration pour s’ouvrir au monde est une première qui dépasse la “guerre des bassins” de Liège et de Charleroi dans le secteur de la biotech qui a le vent en poupe. Un signal important?
AMEL TOUNSI. C’est un signal important pour s’ouvrir au monde mais aussi pour être à la hauteur au niveau mondial. La compétition qui existe soi-disant entre nous n’est rien par rapport à celle qui existe vis-à-vis de l’extérieur.
DOMINIQUE DEMONTÉ. Nous devons faire preuve de modestie: ce que nous avons construit à Liège ou à Charleroi sont des success stories – et nous devons l’assumer – mais nous devons aussi être conscients que la compétition est grande pour attirer des grandes entreprises internationales. Les rivaux, ce ne sont pas Liège ou Charleroi, mais Londres, Paris, Lyon, les pays scandinaves… Nous avons une capacité d’attraction, individuellement, mais pour aller chercher de plus gros gibiers, nous devons collaborer. Aux Etats-Unis, Liège ou Charleroi, ils ne connaissent pas… La Belgique ou la Wallonie, oui: le principal site de production de vaccins au monde se trouve en Wallonie.
A.T. A Liège, par exemple, nous arrivons à créer 10 nouvelles sociétés par an. Parmi celles-ci, huit viennent de l’étranger et deux du terreau liégeois. Nous devons conforter cette ouverture et c’est le bon moment pour le faire avec Charleroi: c’est un peu comme si les deux jambes de la Wallonie étaient enfin suffisamment solides pour avancer ensemble.
D.D. Avant, nous n’avions sans doute pas la maturité suffisante pour discuter de ce type de partenariat. Nous devions atteindre un certain niveau de solidité et nous nous regardions davantage en chiens de faïence pour voir combien d’entreprises nous étions capables d’attirer. Aujourd’hui, nous sommes arrivés à un stade où la question est de gérer le nombre de demandes qui nous sont adressées de façon professionnelle. Concrètement, avant, chaque délégation internationale passait une journée à Liège et une à Charleroi. On faisait deux fois le boulot. Désormais, on s’appelle et on se déplace.
– Vous avez signé ensemble fin octobre un premier mémorandum d’entente avec un parc de biotechnologie taïwanais. Ce fut le déclencheur de votre collaboration?
A.T. Non. La démarche remonte à plus de six mois. Nous nous étions rencontrés, Dominique et moi, avec les invests locaux Sambrinvest et Noshaq pour développer cette volonté de collaborer. Nous sommes sortis de cette réunion avec la conviction de pouvoir travailler ensemble dans pas mal de domaines. Très vite, il y a eu des cas concrets et il y en aura d’autres sur ce sujet évident: le marketing de la Wallonie à l’échelle internationale. Mais il y aura d’autres domaines dans lesquels nous collaborerons parce que nous avons les mêmes défis, par exemple en termes de financement ou de formation face aux métiers en pénurie. Nous sommes plus malins à deux.
“En mettant les deux jambes ensemble, on se dote d’un corps plus agile.”
D.D. Nous avons une masse critique plus significative. La signature du mémorandum avec Taïwan était une manière de rendre visible ce sur quoi nous travaillons depuis des mois. Ce qui m’a surpris, c’est le nombre de retours positifs que nous avons reçus des entreprises, des politiques, des organisations comme l’Union wallonne des entreprises… Cette collaboration va permettre à nos grosses entreprises wallonnes de jouer un rôle encore plus important au niveau international. Elles ne se soucient pas que l’initiative vienne de Liège ou de Charleroi. En mettant les deux jambes ensemble, on se dote d’un corps plus agile qui peut faire grandir la Wallonie.
– Votre collaboration va se structurer plus loin?
A.T. Il y a des choses assez évidentes à mettre en place et c’est une volonté de la Wallonie dans son ensemble. Nos sociétés travaillent déjà ensemble. Il y a de la sous-traitance et des collaborations qui se font, mais cela sera facilité grâce à une plus grande visibilité des services de l’un vis-à-vis de l’autre. Le but est qu’une entreprise se tourne d’abord vers ce qui est disponible en Wallonie avant d’aller ailleurs. Mais nous allons aussi travailler ensemble sur la formation des talents. Il y a un ancrage local à préserver parce que les demandeurs d’emploi ou les étudiants ne sont pas des gens mobiles, mais nous devons avoir une réflexion globale sur les nouveaux défis des métiers à venir, sur les datas… Nous avons l’ambition d’atteindre les 10.000 emplois d’ici 2030, il faut se donner les moyens de ses ambitions.
“Avant, nous étions asynchrones. Or, pour gagner, il faut absolument se synchroniser.”
D.D. Quand nous avons décidé de travailler ensemble, la première personne que nous avons été voir, c’est Pascale Delcomminette, CEO de l’Agence wallonne pour l’exportation (Awex). Elle était ravie de notre démarche. Avant, les gens de l’Awex devaient envoyer un e-mail à Liège et un à Charleroi. Maintenant, ils peuvent nous mettre en copie. Nous avons également parlé avec le pôle de compétitivité Biowin et Essentia afin que l’on construise ensemble un narratif de positionnement du secteur. Avant, pour prendre l’exemple de l’aviron, nous avions de très bons rameurs, nous allions dans la même direction… mais nous étions asynchrones. Or, dans ce sport, pour gagner, il faut absolument se synchroniser.
– Votre démarche est vertueuse. On se demande pourquoi elle n’a pas eu lieu avant… Ce n’était pas mûr?
D.D. Il y a de cela, mais c’est aussi une question de personnes conscientes du fait qu’ensemble, on peut aller plus vite et plus loin. J’ai travaillé avant cela au niveau national et régional à Agoria Wallonie: un des enseignements que j’ai retenus, c’est que ces trois niveaux sont importants. Le niveau sous-régional permet de créer les organisations comme le Biopark ou B2H, des universités, des intercommunales, des invests, des entreprises… Ne pas reconnaître cette force serait une erreur. Par contre, il y a des choses que l’on doit faire à l’échelle régionale ou nationale.
A.T. Dominique et moi, par pur hasard, nous sommes tous les deux immunologistes. Or, l’immunologie, c’est un système dans le corps qui se base sur les interactions et la force des collaborations entre les cellules. Un bon système immunitaire est un système qui sait bien se coordonner.
“L’idée est bien de travailler ensemble pour faire grandir le gâteau plutôt que de se distribuer les miettes.”
D.D. Je suis d’accord avec toi et je ne suis pas sûr que ce soit un pur hasard. Nous sommes des biologistes et cette notion d’écosystème nous est naturelle.
– Vous dites-vous que cette collaboration est une voie à suivre dans d’autres secteurs, au-delà de la biotech… Dites-vous à d’autres de vous suivre?
D.D. Nous sommes déjà en train de le faire!
A.T. Oui, l’idée est bien de travailler ensemble pour faire grandir le gâteau plutôt que de se distribuer les miettes. C’est possible dans d’autres secteurs. La fédération Agoria réfléchit à une démarche similaire, notamment pour la cleantech.
“Nous commençons à être suffisamment sérieux et visibles.”
D.D. Sur Charleroi, il y a un cleantech district qui est en train de se mettre en place, Liège s’organise aussi et des discussions ont lieu en lien avec Agoria. Nous sommes des constructeurs d’écosytèmes. D’ailleurs, ma fonction n’est plus CEO dans le sens traditionnel mais “chief ecosystem officier”. Je leur dis: “de grâce, ne reproduisez pas en cleantech l’erreur que nous avons commise en biotech!”. Si dès le début nous avions mis un minimum de gouvernance commune entre ces deux pôles, nous serions bien plus loin que là où nous sommes aujourd’hui. Si on peut servir de modèle, on le fera avec plaisir. Et si cela fonctionne, cela va essaimer dans d’autres secteurs. Vous voyez que nous sommes très enthousiastes!
– Parce que cela répond à une ambition pour la Wallonie?
A.T. Oui. Je me suis rendue au salon Bio-Europe après l’annonce de cette collaboration et les entreprises étaient ravies de cette officialisation.
– Quelles sont les prochaines étapes?
D.D. Nous voulons avancer aussi vite que possible. Une des premières étapes opérationnelles consistera à construire ce narratif conjoint pour communiquer à l’international. Liège et Charleroi, ce sont 250 entreprises, 7.400 emplois, près de 100.000 m2. Ensemble, nous serons plus forts. Et les Flamands vont avoir peur! Dans notre domaine, ils voient que nous avons autant d’appétit et d’ambition qu’eux.
A.T. Nous commençons à être suffisamment sérieux et visibles, en effet.
D.D. L’emploi global dans le secteur, c’est 43.000 personnes et en Wallonie, nous sommes à près de 20.000. Nous sommes quasiment à la parité et ce n’est qu’un début. C’est un des rares secteurs où le poids de la Wallonie est aussi important. Un de nos moteurs, c’est cette ambition forte et cet alignement de nos deux pôles doit y contribuer.
“Il n’y a plus de guerre des bassins”
“Il n’y a plus de guerre des bassins, c’est fini ce temps-là, souligne une source proche du rapprochement entre le Biopark et B2H. Mais en termes de collaboration, nous n’avons pas encore d’autres éléments probants à mettre en avant. Dans l’aérospatial, le numérique ou l’industrie classique, il n’y a pas de collaboration équivalente à celle qui vient d’être nouée dans le domaine de la biotech. Cela n’existe pas encore, il faut laisser un peu de temps…” Mais l’intention est là.
“Cette collaboration est un bon signal, salue l’historien et prospectiviste Philippe Destatte, président de l’Institut Destrée. Mais le renforcement d’une stratégie régionale wallonne doit passer à l’avenir par une meilleure contractualisation entre la Région et ses territoires impliquant que les stratégies de ces derniers s’intègrent mieux et davantage dans celle de la Wallonie.”
Il se réfère à un texte écrit… en 2016, au moment de la fermeture de Caterpillar, dans lequel il plaidait en faveur de “jardins d’innovation” pour créer un “nouveau tissu industriel en Wallonie”. “Si en Wallonie le cœur de notre développement actuel s’inscrit dans le Brabant wallon, d’autres jardins d’innovation pourraient se développer davantage autour de nos deux aéroports régionaux que sont Liège et Charleroi”, soulignait-il en insistant sur les collaborations sous-régionales mais aussi sur une structuration au niveau wallon. La route est tracée.
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