Vieillissement: “Sans réformes, la Belgique fonce droit dans le mur”

Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Koen De Leus, le chief economist de BNP Paribas Fortis, regarde depuis des années la vulnérabilité des divers pays industrialisés face aux coûts du vieillissement. Et la Belgique, qui était en milieu de peloton en 2003, se retrouve presque lanterne rouge aujourd’hui.

On sait que la situation des finances publiques est très mauvaise, et que l’une des causes, à côté de la hausse des dépenses de défense ou de celle des taux d’intérêt, est le coût du vieillissement. Rien de neuf sus le soleil. Mais ce que vient montrer Koen De Leus, l’économiste en chef de BPP Paribas Fortis, c’est que malgré la création d’un (éphémère) fonds pour le vieillissement, malgré les rapports et les rapports du Comité pour le vieillissement, malgré les avertissements de la banque nationale… le problème n’est pas seulement laissé en jachère. Non, il empire.

L’économiste de BNP Paribas Fortis a en effet construit un indice de vulnérabilité au vieillissement. Ce baromètre évalue la capacité des pays industrialisés à faire face aux coûts croissants liés au vieillissement démographique. Et son constat est inquiétant : la Belgique figure, qui était encore dans le milieu du classement en 2003, est désormais parmi les pays les plus vulnérables.

 « Notre dernier indice de vulnérabilité au vieillissement montre que les pays scandinaves sont les mieux préparés, alors que les pays anglo-saxons présentent une vulnérabilité faible à modérée », explique Koen De Leus. « En bas du classement, on retrouve des pays d’Europe du Sud… et la Belgique. Tandis que d’autres ont entrepris des réformes pour réduire les coûts du vieillissement, notre pays est resté immobile, ce qui l’a relativement fait reculer. »

Mauvais en presque tout

Koen De Leus. © D.R.

L’indice de Koen De Leus repose sur cinq paramètres-clés :  les revenus du gouvernement, l’évolution du ratio de dépendance entre 2025-2050 (il mesure le nombre de personnes dépendantes, comme les jeunes ou les retraités, par rapport aux actifs), la dette publique nette, la part des pensions publiques dans le montant de pension moyen, et la valeur actualisée des futurs coûts complémentaires à ceux des pensions, comme les soins de longue durée pour les personnes âgées.

Or, dans presque tous les domaines, la Belgique est au taquet. Au niveau des revenus gouvernementaux, nous avons un niveau de taxation (impôts et cotisations sociales) qui atteint 50% du PIB, soit un de plus élevés d’Europe. « Nous ne pouvons donc pas augmenter davantage les taxes pour compenser les coûts supplémentaires du vieillissement », résume Koen De Leus. Notre dette nette (la dette brute moins les liquidités et els actifs disponibles) atteint 93% du PIB, mais devrait atteindre 114% en 2030, soit une hausse de 21 points de pourcentage en 5 ans selon le FMI. Aucun autre pays considéré par l’économiste de BNPP Fortis ne fait aussi mal. Notre système repose encore en très grande partie  sur le système de répartition (les actifs paient pour les pensionnés), qui évidemment n’est pas l’idéal quand la proportion des actifs s’effondre. En Belgique, 86 % des pensions proviennent du premier pilier (pensions publiques), contre moins de 40 % dans des pays comme les États-Unis ou les Pays-Bas.

« Dans la majorité des pays européens, les pensions publiques représentent plus de 75% des retraites, alors qu’elles restent sous les 50% dans les pays anglo-saxons (et aux Pays-Bas), à cause de la grande part des pensions d’entreprises », souligne Koen De Leus.

Quant aux coûts futurs, leur trajectoire est tout sauf rassurante. Entre 2024 et 2070, les coûts supplémentaires liés aux pensions et aux soins de santé (notamment les soins de longue durée pour les plus de 80 ans) pourraient faire bondir la dette belge. Selon un rapport de la Commission européenne, d’ici à 2070 la Belgique afficherait une augmentation des coûts de 5 points de pourcentage sur 50 ans, dont 3,5 points pour les pensions (et le reste pour les soins de santé, les soins de longue durée, etc…).

Il n’y a que finalement sur le ratio de dépendance que la Belgique se trouve au milieu de la classe. « Ce ratio augmente, mais la situation est moins critique qu’en Italie ou en Espagne, où la charge sur les actifs est encore plus lourde », souligne Koen De Leus.

« Dans le mur »

Les problèmes sont connus, ajoute l’économiste : une surconsommation dans les soins de santé (selon les estimations de l’Organisation mondiale de la santé un tiers des coûts pourrait être évité), mais aussi le faible taux d’emploi et le déficit budgétaire actuel, de 5 à 6 %, qui doit être ramené à 3 %, un effort qui se complique encore en raison des dépenses additionnelles liées à la défense.

« Je partage l’avis de la Banque Nationale, ajoute Koen De Leus : sans réformes, la Belgique va droit dans le mur ». Le chief economist de BNPP Fortis Koen De Leus insiste donc sur l’urgence de réformes structurelles. Parmi les pistes envisagées, il y a celle de lier l’âge de la pension à l’espérance de vie. « De nombreux pays européens ont déjà adopté cette mesure, qui, bien que susceptible de provoquer des manifestations à court terme, stabilise le système à long terme. Une réforme unique et durable éviterait des ajustements répétés sources de tensions sociales », dit-il. Il y a aussi la nécessaire réduction des coûts des soins de santé, en réformant cette tendance à la surconsommation médicale, par exemple en sensibilisant à une utilisation plus responsable des services de santé. Il y a aussi le renforcement des deuxième et troisième piliers des pensions. « Il faut encourager les entreprises à développer des plans de pension professionnels (deuxième pilier) et promouvoir l’épargne privée (troisième pilier), ce qui permettrait de réduire la dépendance aux pensions publiques. Actuellement, le deuxième pilier reste marginal en Belgique pour la majorité  de la population », souligne Koen De Leus. Et il y a enfin l’augmentation du taux d’emploi : Porter le taux d’emploi des 25-65 ans à 80 % allégerait la charge sur les actifs et renforcerait les recettes fiscales. « Ce sont des mesures politiquement sensibles, mais  indispensables pour garantir la soutenabilité des finances publiques face au défi du vieillissement », souligne Koen De Leus.

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